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RTL : « La France devrait avoir une croissance positive, non seulement cette année, mais aussi l’année prochaine et en 2024. »

RTL, le 22 Juin 2022

« Le 7h-9h »

Interview de François Villeroy de Galhau,

Gouverneur de la Banque de France

 

Alba VENTURA

Bonjour François VILLEROY de GALHAU.

François VILLEROY de GALHAU

Bonjour Alba VENTURA.

Alba VENTURA

Notre situation économique n’est pas aussi chaotique que la situation politique, mais enfin, la guerre en Ukraine, les difficultés d’approvisionnement continuent de peser lourdement sur notre économie. Vous venez de publier vos chiffres de prévision, vous avez dû d’ailleurs abaisser, Monsieur le Gouverneur, vos prévisions de croissance. Ce n’est pas fameux, on peut le dire comme ça ?

François VILLEROY de GALHAU

C’est évidemment compliqué. Tout n’est pas rose, à cause principalement de la guerre en Ukraine, mais je dirais que tout n’est pas noir non plus, et que nos prévisions comportent trois meilleures nouvelles. La première, c’est que la France devrait avoir une croissance positive, non seulement cette année, mais aussi l’année prochaine et en 2024. La France devrait échapper à la récession : cela, souvenez-vous, c’est une question qu’on s’est beaucoup posée.

Alba VENTURA

D’accord, pas de risque de récession ?

François VILLEROY de GALHAU

On ne peut pas exclure des scénarios plus défavorables, mais notre scénario central, c’est celui-là, croissance positive chaque année. Il y a une deuxième nouvelle importante, c’est sur l’inflation, qui est évidemment un souci très important des Français : l’inflation est trop forte en France cette année, à plus de 5 %. Mais l’inflation devrait revenir à 2 % en 2024. Et je dirais que c’est non seulement une prévision de notre part pour 2024, mais c’est un engagement dans la durée, comme Banque centrale. Avec Christine LAGARDE, la Banque centrale européenne et la BANQUE DE FRANCE, nous ferons ce qu’il faut.

Alba VENTURA

C’est-à-dire que là, aujourd’hui, nous sommes à 5,6 % pour 2022, et donc d’ici à 2024, vous pensez ramener l’inflation ?

François VILLEROY de GALHAU

Sous 2 % en France et autour de 2 % dans la moyenne euro…

Alba VENTURA

Sous 2 %...

François VILLEROY de GALHAU

J’en profite d’ailleurs pour dire que l’inflation est évidemment trop élevée en France, mais que c’est en France qu’elle est la moins élevée parmi les grands pays de la zone euro. Cela, c’est l’efficacité du bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité qui a été mis en place. Et puis, si vous me permettez, il y a une troisième nouvelle…

Alba VENTURA

Je voulais juste terminer, pardon… enfin, continuer…

François VILLEROY de GALHAU

On parlera du chômage qui reste bas…

Alba VENTURA

On va en parler, sur l’inflation, mais il y a un an, vous disiez que tout cela était temporaire, les spécialistes avaient du mal à appréhender. Donc là, aujourd’hui, vous nous dites que ce sera durable, à partir de 2024 ?

François VILLEROY de GALHAU

Cela dépend ce qu’on appelle temporaire et durable, mais évidemment, il y a eu depuis l’an dernier le gros choc très inattendu de la guerre en Ukraine, qui a pesé sur l’énergie. Donc il y a une bosse d’inflation qui est plus haute et plus longue que prévu, mais on reviendra vers ce qui nous paraît être le bon objectif, autour de 2 % d’inflation à partir de 2024.

Alba VENTURA

Et quand vous dites : avec Christine LAGARDE, on fera tout pour, ça veut dire que le bouclier anti-inflation, c’est vous et elle ?

François VILLEROY de GALHAU

Je ne sais pas si nous sommes le bouclier anti-inflation, mais Alba VENTURA, vous avez tout à fait raison, c’est notre mission. C’est notre mandat d’assurer la stabilité des prix. Quand il n’y avait pas assez d’inflation, c’est-à-dire une économie un peu anémiée, on appuyait sur l’accélérateur, avec des mesures exceptionnelles, vous vous souvenez peut-être, les taux négatifs, et ce qu’on appelait les achats d’actifs. Là, nous levons le pied de l’accélérateur, nous normalisons la politique monétaire. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu’on revient progressivement vers des taux d’intérêt plus normaux, pour le financement des Etats, des entreprises, des ménages.

Alba VENTURA

Vous nous parliez du chômage.

François VILLEROY de GALHAU

C’est la troisième nouvelle, je crois, un peu moins noire, dans le paysage, parce que tout n’est pas noir : c’est que le chômage resterait au niveau historiquement bas qu’on a aujourd’hui, on serait à moins de 8 % d’ici 2024, on avait rarement vu cela dans l’économie française. Cela correspond au fait que nous avons des entreprises qui veulent toujours embaucher aujourd’hui, malgré le choc de l’Ukraine, et qui ont d’ailleurs des difficultés de recrutement élevées. Il faut là-dessus que nous formions plus de jeunes avec l’apprentissage, que nous développions la formation professionnelle. Il y a un certain dynamisme des entreprises.

Alba VENTURA

Des entreprises, mais est-ce que cette pénurie de main-d’œuvre, c’est un frein pour l’économie française, est-ce que ça pourrait être un frein pour l'économie française ?

François VILLEROY de GALHAU

C'est un frein pour l'économie française. Je rencontre avec la BANQUE DE FRANCE énormément d’entrepreneurs, j’étais à La Rochelle vendredi soir : ils ont aujourd'hui une difficulté de court, terme qui est très forte, ce sont les difficultés d'approvisionnement, bien sûr, d'où l'inflation, mais la difficulté plus durable, c'est cette difficulté de recrutement. Mais ça, ça dépend de nous, on sait comment le traiter, c’est davantage d’apprentissage…

Alba VENTURA

Ça dépend de nous, de la politique…

François VILLEROY de GALHAU

Oui, enfin, de nos efforts collectifs. La politique, vous savez, reflète nos engagements et nos choix collectifs. Donc davantage d'apprentissage pour les jeunes, davantage de formation professionnelle pour tout le monde, et puis, la grande réforme de l'éducation. Je crois qu'il n’y a pas de bataille plus importante que l'éducation, parce que, en face de ces difficultés de recrutement, nous avons malheureusement 2.900.000 chômeurs dont des centaines de milliers de jeunes. Donc il faut arriver à mobiliser ces forces pour les entreprises.

Alba VENTURA

Vous parlez des entreprises et de leur dynamisme, est-ce que ces entreprises doivent augmenter les salaires ?

François VILLEROY de GALHAU

Cela relève de la négociation décentralisée, je le souligne : ce n’est pas au gouvernement ni à la BANQUE DE FRANCE de dire quelle est la norme d'augmentation des salaires. C'est très important de garder une négociation qui soit au plus près de la réalité économique et du dialogue social, cela doit se passer dans le dialogue social. C'est l'entreprise ou la branche. L'exception à ce que je viens de dire, et je crois que c'est une exception évidemment justifiée sur le plan social, c'est le SMIC qui en France est indexé à un peu plus que l'inflation : le SMIC a augmenté de 6 % depuis un an, donc plus que l'inflation.

Alba VENTURA

Les salaires, c'est un des leviers du pouvoir d'achat, ce pouvoir d'achat, il va baisser, il est estimé à combien ?

François VILLEROY de GALHAU

Il devrait dans notre prévision baisser de 1 % cette année. Les Français ressentent fortement cette baisse, on le sait, alors qu'il y avait eu une hausse de 2 % l'an dernier, et que la hausse reprendrait à partir de l'année prochaine. Comme les Français le ressentent fortement, au-delà même de la réalité statistique, cela justifie que ces mesures sont déjà prises par le gouvernement -c'est le bouclier tarifaire dont nous parlions-, soit à venir dans le projet de loi pouvoir d'achat.

Alba VENTURA

Justement, j’en viens à cette loi pouvoir d’achat qui était dans les tuyaux ou pour l’instant est au point mort compte tenu de la paralysie politique. C’est une loi qui représenterait des milliards. Vous, vous dites : il faut quand même un ‟quoi qu’il en coûte ” pouvoir d’achat ?

François VILLEROY de GALHAU

Non ! Il ne faut pas de ‟quoi qu’il en coûte ” parce que la situation est très différente de 2020. Vous parliez des chiffres de croissance, il faut se rappeler qu’en 2020, j’étais d’ailleurs venu à votre micro, nous avions une situation de récession, c'est-à-dire de croissance négative pour - 8 %.

Alba VENTURA

C’est ça.

François VILLEROY de GALHAU

Là, nous attendons cette année plus de 2 % de croissance : donc vous voyez que la situation est complètement différente et ne justifie pas du tout un ‟quoi qu’il en coûte ”. Elle peut justifier des mesures mais qui devraient autant que possible rester temporaires, et ciblées sur celles et ceux qui en ont le plus besoin.

Alba VENTURA

Oui, parce que sinon on fait de la dette. Est-ce que la crise politique risque de provoquer une crise de la dette ?

François VILLEROY de GALHAU

Je n'ai pas à commenter la situation politique parce que la Banque de France est indépendante. Mais la dette ne doit alerter pas seulement la Banque de France, elle doit alerter tous les Français à commencer par les plus jeunes d'entre eux parce que malheureusement, c'est eux qui « récupèrent » si j'ose dire cette charge, si nous ne la traitons pas, qui va obérer leur avenir. Alors je crois qu'il y a des solutions avec du temps, avec davantage de croissance en France - on parlait tout à l'heure d'accélérer la formation et les recrutements -mais aussi avec une meilleure efficacité des dépenses publiques. Il y a de la marge.

Alba VENTURA

Traduction : avec des réformes.

François VILLEROY de GALHAU

Avec des réformes, des transformations, des solutions, vous prenez le mot que vous voulez. Mais nous Français, nous avons un certain nombre d'atouts pour réussir. Nous sommes face à une situation difficile…

Alba VENTURA

Vous êtes optimiste, Monsieur le gouverneur.

François VILLEROY de GALHAU

Non, ce n’est pas une raison d'optimisme. C’est que je suis mobilisé et je suis confiant dans nos atouts. Nous sommes un grand peuple, une grande histoire. Si nous nous mobilisons de façon lucide, juste - c'est important – persévérante, nous savons qu'il y a des solutions efficaces. Elles dépendent pour partie des choix politiques, elles dépendent aussi du travail des Français : les entreprises, les salariés, les partenaires sociaux.

Alba VENTURA

Vous vous étiez déclaré favorable à un coup de pouce au Livret À, au LLD, livret d'épargne populaire. Est-ce que vous allez proposer à Bercy une augmentation au 1er août ?

François VILLEROY de GALHAU

Sur le Livret A, ce n'est pas moi qui décide d’un coup de pouce : il se trouve qu'il y a une formule qui s'applique depuis plusieurs années et qui repose - c'est important de le préciser pour vos auditeurs - qui repose pour moitié sur l'inflation et pour moitié sur le niveau des taux d'intérêt. Donc mi-juillet, ma tâche sera de calculer le résultat de la formule et de le transmettre au ministre qui ensuite décide. Il y aura une nouvelle hausse du Livret A au 1er août prochain.

Alba VENTURA

Est-ce que le Livret A va atteindre 2 % ? Est-ce qu’on le sait ? Non ?

François VILLEROY de GALHAU

Je ne me prononce pas sur les chiffres parce que cela dépendra de ce que donneront les chiffres d'inflation et de taux d'intérêt mi-juillet.

Alba VENTURA

François VILLEROY de GALHAU, le taux d'endettement a un impact sur le pouvoir d'achat. Vous publiez aussi un observatoire de l'inclusion bancaire, c'est un outil qui vous permet de mesurer l'endettement des Français. Qu'est-ce que ça donne, qu’est-ce que ça dit ?

François VILLEROY de GALHAU

Cet observatoire de l'inclusion bancaire (OIB) n'est pas très connu mais, effectivement, nous allons en publier le résultat ce matin. Je peux en donner un peu la primeur à votre micro. D'abord c'est un organisme qui réunit autour de la table des gens très différents, pas toujours d'accord. Il y a les représentants des associations et notamment celles qui s'occupent de nos concitoyens les plus fragiles, il y a les banques et puis les pouvoirs publics. Au passage si vous me permettez une petite notation dans le paysage où nous vivons, c'est une preuve qu'en France aussi on peut se parler, dialoguer, même quand on a des opinions différentes. C'est cela la démocratie. L'action de l'OIB, c'est que depuis 4 ans nous nous occupons des frais bancaires payés par nos concitoyens les plus fragiles. Ces frais bancaires ont baissé de 30 %. Cela, c'est un beau résultat de ce travail collectif. Il y a un point d'attention que nous allons signaler ce matin parce qu'il faut être attentif à ce qu’il n’y ait pas de nouvelles situations d'exclusion, c'est ce qu'on appelle les mini-crédits ou les paiements fractionnés. C'est quoi ? Ce sont des crédits de petits montants, de courte durée, qui peuvent séduire notamment les jeunes. Je ne dis pas du tout qu’il faut les exclure mais il faut être très attentif à ce que cela ne crée pas de nouvelles situations de surendettement.

Alba VENTURA

J’ai une dernière question rapidement. La commission des Finances pourrait revenir soit au Rassemblement national soit à la coalition de Jean-Luc MELENCHON. Je sais que vous ne faites pas de politique mais c’est un changement qui vous inquiète ? Vous êtes parfois auditionné.

François VILLEROY de GALHAU

La Banque de France forte de son indépendance travaille avec tous les parlementaires de la Commission des finances et travaillera évidemment avec l'homme ou la femme qui en sera élu président. Je crois que la France comme les autres démocraties européennes doit pouvoir se parler et dialoguer. C’est cela que nous allons faire.

Alba VENTURA

Merci François VILLEROY de GALHAU, gouverneur de la Banque de France.

François VILLEROY de GALHAU

Merci.

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
RTL : « La France devrait avoir une croissance positive, non seulement cette année, mais aussi l’année prochaine et en 2024. »
  • Publié le 22/06/2022
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