Liste actualité
InterventionDiscours

La digitalisation du secteur financier : nouveaux enjeux, nouveaux leviers

4ème Assises des Technologies Financières

30 Septembre 2021

 

Discours de clôture de Denis Beau, Premier sous-gouverneur

 

Mesdames et Messieurs,

  • Je tiens d’abord à remercier Monsieur le Président Eric Woerth pour son invitation à clore ces 4èmes assises des Technologies Financières, afin d’apporter mon éclairage de banquier central et de superviseur sur les enjeux et défis que pose la digitalisation des services financiers.
  • Dans le cadre de notre mission générale consistant à veiller à la stabilité monétaire et financière, la question pour la Banque de France est de savoir comment faciliter et accompagner une digitalisation du secteur financier porteuse de gains d’efficacité, tout en préservant la stabilité de notre système monétaire et financier.
  • Pour vous présenter les réponses concrètes que nous nous efforçons d’apporter à cette question, je commencerai par rappeler les nouveaux défis que pose la digitalisation du secteur financier pour sa sécurité et son efficacité, avant de présenter les trois axes selon lesquels se développent nos actions pour aider à y répondre, conformément à notre mandat. 

 

I. La digitalisation du secteur financier pose de nouveaux défis

 

A) Du point de vue de la sécurité, le risque informatique, ou risque Cyber est un enjeu majeur lié à la transformation numérique en cours du système financier.

  • En effet, la transformation numérique augmente sensiblement la surface d’exposition des acteurs du système financier au risque cyber et donc leur vulnérabilité à ce risque. Ceci résulte notamment de la transformation interne des acteurs qui repose en grande partie sur l’émergence de systèmes d’information conçus comme des plateformes ouvertes, et sur le recours croissant à l’externalisation, notamment en matière d’informatique en nuage (externalisation via le Cloud).
  • La situation sanitaire a considérablement amplifié cette exposition : le large recours au télétravail s’est accompagné du déploiement massif de nouveaux outils collaboratifs, de nouveaux logiciels. Cette mise en place – parfois hâtive – de logiciels tiers et de nouvelles organisations du travail a amplifié la vulnérabilité générale du secteur.
  • Cette augmentation de la surface d’exposition appelle d’autant plus l’attention que la menace de cyber attaques évolue en permanence et se sophistique. Du point de vue technique, la diffusion des outils de piratage « clé en main » et la hausse généralisée des compétences informatiques expliquent une partie de cette évolution. Du point de vue économique, le caractère rémunérateur de ces attaques explique la multiplication des candidats au hacking.
  • Sous l’effet de cette double évolution, le risque cyber a ainsi changé de dimension : à l’échelle de l’entreprise, il est un risque opérationnel majeur, à l’échelle du système financier, il est désormais un risque systémique.

 

B) Du point de vue de l’efficacité, les innovations numériques dans le secteur financier offrent des opportunités, mais sont aussi porteuses de risques.

  • Ces innovations, et en particulier l’utilisation de technologies basées sur les DLT portent en effet un potentiel d’amélioration du fonctionnement des infrastructures de marché et des moyens de paiement dans le sens notamment d’une rapidité accrue des transactions, d’une réduction du nombre d’intermédiaires, et d’une réduction des coûts.
  • Cependant, ces innovations sont aussi porteuses de risques de recul sur le plan de l’efficacité du système financier dans son ensemble, si leur mise en œuvre débouche sur une fragmentation des process, et que la coexistence et l’interopérabilité entre les systèmes actuels et nouveaux n’est pas organisée, ou à contrario si elle débouche sur des situations monopolistiques. Ce dernier risque résulte de l’intérêt grandissant des géants internationaux du numérique pour les services de paiement numériques. Fort d’une base d’utilisateurs étendue et d’une expérience maîtrisée de bout en bout, les BigTech ont ainsi le potentiel pour concurrencer plus fortement des acteurs européens des paiements moins préparés sur les segments du numérique, d’accroitre la dépendance de l’Europe en matière de services de paiement à l’égard d’acteurs étrangers, avec les enjeux de protection des données personnelles et de souveraineté associés.
  • Cette ambivalence de l’innovation pour l’efficacité de notre système financier concerne en particulier la tokenisation des marchés financiers, et de manière générale les cas d’utilisation de la finance décentralisée (DEFI).

 

C) Enfin, l’innovation dans le secteur financier, en particulier l’apparition des BigTech et le développement de nouveaux actifs de règlement sous forme de crypto-actifs, soulève de nouveaux enjeux en matière de souveraineté et de stabilité monétaire.

  • En particulier, les stablecoins en cas de déploiement à grande échelle par des BigTech (projet Diem de Facebook), pourraient être adoptés comme actifs de règlement privés à l’échelle mondiale, en jouant sur d’importants effets de réseau. Comme leur arrimage à la monnaie de banque centrale, qui a seule cours légal et constitue l’ancre de notre système monétaire, est pour le moins complexe et fragile, la diffusion sans précaution de ces nouveaux actifs de règlement est susceptible d’affecter la transmission de la politique monétaire et de nuire à la stabilité financière.

 

II. Nos trois leviers pour répondre à ces défis

Je voudrais à présent partager avec vous ce que nous faisons pour répondre à ces défis.

La Banque de France développe son action selon trois axes complémentaires : la règlementation, la facilitation, l’expérimentation.  

 

A) Le premier axe vient du constat que la sécurité repose fortement sur un cadre règlementaire adapté qui garantisse la stabilité financière, tout en encourageant l’innovation financière pouvant servir à l’amélioration du service aux usagers et de la performance des systèmes.

  • Dans cette perspective, au niveau européen, nous avons salué et nous soutenons l’ambition du projet de règlement Markets in Crypto-Assets (MiCA) et du Digital Operational Resilience Act (DORA), présentés en septembre 2020
    • L’Union européenne, avec la publication du projet MiCA, a été la première parmi les juridictions du G20, à répondre à l’urgence de règlementer le marché des crypto-actifs,
    • Nous soutenons également le projet de Règlement européen sur la résilience opérationnelle des acteurs financiers face au risque informatique (dit DORA). Ce texte permettra d’instaurer un cadre homogène pour renforcer la sécurité informatique de l’ensemble du secteur financier. Je pense en particulier aux acteurs du cloud, dont le rôle sur des segments critiques devrait poser la question d’une localisation dans l’Union Européenne. Nous pouvons espérer que les négociations au niveau européen aboutiront rapidement sur ces deux textes majeurs pour la régulation du secteur financier.
  • Sur le front règlementaire, je voudrais souligner également l’importance du régime pilote qui va être mis en place pour aider les acteurs des infrastructures de marché à expérimenter la DLT. Il aura vocation à permettre aux plateformes de négociation multilatérale et aux systèmes de règlement-livraison de titres opérés par un CSD de tester, dans de bonnes conditions de sécurité, certains usages des DLT grâce à un cadre règlementaire dérogatoire et temporaire, sous contrôle des superviseurs.
  • Mais pour être efficace la règlementation doit reposer sur une forte coordination internationale. C’est pour nous également une priorité pour limiter sinon éviter les risques d’arbitrage règlementaire. C’est pour cela que nous sommes fortement engagés dans les travaux des enceintes de coopération multilatérales (G7, G20, FSB, CPMI), en particulier sur les crypto-actifs et l’amélioration des paiements transfrontières.  

 

B) La seule adaptation du cadre règlementaire ne répond néanmoins pas à tous les défis de la digitalisation financière. Nous avons la conviction, à la Banque de France, que pour aider à les relever il nous faut être aussi un acteur de l’innovation.

  • Pour nous, cette intégration dans l’écosystème d’innovation européen prend d’abord la forme d’un engagement pour faciliter et accompagner les initiatives qui peuvent contribuer à assurer la diversité et la mise en concurrence de solutions efficaces et adaptées aux besoins des utilisateurs. Nos institutions –  comme le Lab de la Banque de France, sa direction des infrastructures, de l’innovation et des paiements (DIIP), le pôle Fintech-Innovation de l’ACPR, avec son forum de place Fintech commun ACPR-AMF – sont pleinement mobilisées pour faciliter et accompagner la croissance de ces initiatives.
  • Parmi ces initiatives, trois méritent particulièrement d’être mentionnées. En premier lieu, celles menées autour des paiements instantanés, qui ouvrent un nouveau chapitre dans les paiements. En second lieu, la poursuite de l’Open Banking grâce aux travaux de place européens sur les API. Enfin, la dernière et non la moindre de ces initiatives, c’est l’European Payments Initiative (EPI), qui offrira une solution paneuropéenne pour les paiements du quotidien, aussi bien grâce à une carte de paiement que sur téléphone mobile, couvrant ainsi tous les usages des citoyens européens. Alors que des décisions très importantes doivent être prises à l’automne sur le lancement effectif d’EPI, je veux rappeler ici le soutien de la Banque de France, aux côtés des autres banques centrales de l’Eurosystème et de la Commission Européenne. Nous comptons sur vous tous, acteurs de l’écosystème financier, pour assurer la concrétisation de cette opportunité absolument unique pour l’Europe des paiements.

 

C) Notre soutien actif à l’innovation financière a pris également la forme d’un programme ambitieux d’expérimentation d’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC).

  • De nombreuses banques centrales ont engagé un travail sérieux sur l’émission d’une MNBC, si elle s’avérait nécessaire, pour préserver le rôle d’ancrage de la monnaie de banque centrale à l’ère numérique. C’est une problématique forte face aux tendances à la numérisation des marchés financiers et des paiements, et à l’apparition de nouveaux acteurs non-bancaires en matière d’intermédiation financière.  
  • A la Banque de France, nous sommes convaincus de l’intérêt d’une approche expérimentale sur la MNBC : nous nous apprêtons ainsi à finaliser notre programme d’expérimentation sur la MNBC « interbancaire » ou « de gros », pour éprouver si et comment elle pourrait contribuer à améliorer la performance, la rapidité, la transparence et la sécurité des transactions entre grands acteurs financiers et notamment pour les paiements transfrontières.
  • En parallèle, la Banque de France est également fortement impliquée dans la phase d’investigation de l’euro numérique de paiement de détail, à destination du grand public pour les paiements du quotidien, que l’Eurosystème a décidé de lancer au mois de juillet.

 

Pour conclure, je souhaiterais partager avec vous cette observation : pour relever les défis de la transformation numérique du secteur financier vers plus d’efficience et de stabilité, il nous paraît primordial d’assurer la complémentarité, et la coordination de la mise en œuvre des actions publiques et privées, pour soutenir à la fois l’écosystème d’innovation, et la stabilité de notre système financier. Et c’est dans cet esprit que nous entendons continuer à développer nos propres actions.

Je vous remercie pour votre attention.

Télécharger la version PDF du document

DiscoursDenis BEAU, Sous-gouverneur de la Banque de France
La digitalisation du secteur financier : nouveaux enjeux, nouveaux leviers
  • Publié le 30/09/2021
  • 6 page(s)
  • FR
  • PDF (475.93 Ko)
Télécharger (FR)