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La Croix : « L’économie française résiste mieux que prévu »

La Croix

Interview de François Villeroy de Galhau

 

La Banque de France vient de présenter ses perspectives de croissance jusqu’en 2024. À quoi doit-on s’attendre pour les années à venir ?

L’économie française devrait traverser trois phases distinctes : une meilleure résistance que prévu en 2022, un net ralentissement en 2023 et une reprise en 2024. Résilience cette année, car les Français ont toujours envie de consommer, et que les entreprises continuent d’investir, avec un marché de l’emploi solide. Sur le terrain, nos enquêtes montrent que les chefs d’entreprises sont bien plus pénalisés par des problèmes d’offre, du fait des difficultés de recrutement et d’approvisionnement, que par un manque de demande et de commandes.

Vous prévoyez un ralentissement en 2023, mais sans exclure une récession…

L’économie européenne devrait subir le contrecoup de la guerre en Ukraine et de l’arrêt des livraisons du gaz russe. Nous envisageons donc une fourchette de prévisions pour 2023, allant d’une inflation plus contenue (4,2%) avec une croissance de +0,8 %, à une inflation plus élevée (6,9%) avec une croissance négative (-0,5%). Mais nous ne prévoyons pas de scénario catastrophe comparable à la récession post-Covid. Si une récession devait arriver, elle serait limitée et temporaire, avec un net rebond en 2024. 

Comment faire des prévisions dans un environnement si incertain ?

C'est pourquoi nous donnons cette fois une fourchette. Mais dans l’histoire économique, les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel : même si la guerre devait malheureusement perdurer, les prix de l’énergie finiront inévitablement par se stabiliser voire baisser. C’est déjà ce que l’on constate sur le pétrole, et ce qui devrait arriver sur le gaz, si l’Europe diversifie bien ses approvisionnements et accélère sur la sobriété énergétique.

Selon vous, il n’y aura donc pas de boucle inflationniste, la hausse des prix entraînant celle des salaires, et ainsi de suite ?

Les salaires augmentent, légitimement, mais nous ne voyons pas à ce stade de spirale. Quant à l’inflation, nous sommes particulièrement vigilants sur sa composante « sous- jacente », hors énergie et donc plus généralisée aux biens et services : celle-ci dépasse aujourd’hui 4% en France et en Europe, et c’est surtout cela que les banques centrales ne doivent pas laisser déraper et persister. Une inflation durablement trop élevée ne serait pas seulement un poison social pour les ménages, ce serait aussi un poison économique, qui rendrait l’environnement beaucoup plus incertain, et empêcherait donc l’investissement et la croissance. Plus nous réagirions tard, plus il faudrait agir fort.

La BCE n’a-t-elle pas tardé en augmentant ses taux plusieurs mois après la Fed aux États-Unis ?

Certains nous reprochent d’agir trop fort au risque de freiner la croissance, d’autres d’agir trop tardivement : notre réaction semble donc proportionnée!  Personne n’avait anticipé l’invasion russe de l’Ukraine. Pour les États-Unis, l’inflation hors énergie y est plus élevée, et le marché du travail beaucoup plus tendu. Nous allons dans la même direction que la FED américaine, mais avec un rythme et un niveau qui peuvent être différents. Et nous sommes fermement engagés à ramener l’inflation vers 2% dans les deux-trois ans qui viennent.

Comment répartir l’effort entre État, entreprises et ménages ?

Lors de la crise Covid, l’État a pris tous les coûts sur lui. Aujourd’hui, un tel « quoi qu’il en coûte » n’est plus justifié. D’abord parce que le choc n’est pas du tout de la même ampleur - en 2020, le PIB avait chuté de 8% !- , ensuite parce que la crise actuelle se traduit essentiellement par un problème d’offre, que ne pourraient pas résoudre des politiques monétaires et budgétaires qui soutiennent la demande. En outre, la dette publique coûte aujourd’hui plus cher avec la remontée des taux.

Face à ce surcoût énergétique, l’État prend encore une part significative avec le bouclier tarifaire ; mais il est justifié que les entreprises, et les ménages prennent aussi, si c’est avec équité, une part de l’effort. Celle-ci sera relativement faible : nous prévoyons que les marges des entreprises, qui étaient l’an dernier à des plus hauts historiques, retrouvent leur niveau d’avant Covid. Quant au pouvoir d’achat des ménages, après un recul de -0,5% cette année, il serait stable en 2023 et repartirait nettement à la hausse en 2024.

Reste que certains Français sont plus touchés que d’autres : c’est pourquoi les aides devront être cibléeset rester temporaires autant que possible de manière à en limiter le coût total. Si aujourd’hui on parle à juste titre des inégalités créées par l’inflation, il faut aussi dire qu’en creusant la dette, on creuse également les inégalités vis-à-vis des générations futures.

Pour financer ces mesures, êtes-vous favorable à une taxe sur les superprofits ?

Je n’ai pas à prendre position sur tel ou tel impôt. C’est un objet légitime du futur débat budgétaire, en tenant compte des discussions européennes en cours.

Dans quel état les finances publiques sortiront de cette nouvelle crise ?

 L’idée circule parfois selon laquelle l’inflation serait bénéfique aux finances publiques. C’est faux. Certes l’inflation rapporte de l’argent à l’État, puisqu’elle augmente les recettes fiscales, mais elle est également coûteuse en dépenses, a fortiori avec le bouclier tarifaire.

Par ailleurs, les marchés et les prêteurs ne sont pas aveugles à l’inflation. Ils font payer aux États le prix de cette incertitude, au travers de coûteuses primes de risque. Il reste donc nécessaire de mettre en place une stratégie de désendettement, qui doit être dans la durée. Sinon, nous ne pourrons pas financer les projets d’avenir, et notamment la transition énergétique.

Pour cela, une réforme des retraites est-elle indispensable ?

Cette question relève du débat politique. Mais elle se situe dans un enjeu plus large: comment « muscler « notre capacité de produire plus et mieux en France? Nous pourrions ainsi à la fois augmenter la croissance et réduire l’inflation. Il faut sortir de ce paradoxe français qui veut que nous ayons à la fois un taux de chômage encore trop élevé, et des difficultés de recrutement qui freinent 57% des entreprises ! En réformant les retraites, on pourrait avoir plus de compétences des seniors dans les entreprises.

Mais cette réforme devrait être juste, et engager les entreprises à mieux reconnaître la place des seniors au travail. Elle ne doit pas non plus masquer une autre priorité : améliorer les chances des jeunes par l’apprentissage et l’éducation. En France 12% des jeunes n’ont ni formation, ni emploi: c’est la plus grave des inégalités. Ces transformations-là ne dépendent que de nous et de notre travail : sachons nous mobiliser ensemble. Dans les lourdes incertitudes actuelles, la France et l’Europe ont plus d’atouts qu’elles ne le croient.

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
La Croix : « L’économie française résiste mieux que prévu »
  • Publié le 15/09/2022
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