Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir à cette conférence co-organisée par la Banque de France et France Stratégie, et je vous remercie de votre présence. La question de la compétitivité est l’un des grands enjeux actuels de la zone euro.
Mais bien sûr, cette question n’est pas sans lien avec ce qui constitue le coeur de métier d’un banquier central : la définition et la conduite de la politique monétaire. Politique monétaire et politique de compétitivité se complètent mais ne sauraient se substituer l’une à l’autre.
La politique monétaire peut beaucoup, et nous avons fait beaucoup. Quelques mots sur l’actualité récente. Le 3 décembre dernier, le Conseil des gouverneurs de la BCE a encore accentué cette politique, en abaissant le taux d’intérêt de la facilité de dépôt à -0,30%, et en annonçant un renforcement de son programme étendu d’achats de titres (APP), sous la forme d’une extension de sa durée de six mois – soit 360 milliards d’euros d’achats supplémentaires – et du réinvestissement des remboursements au titre du principal sur les titres APP à leur échéance – soit 320 milliards d’euros supplémentaires jusqu’en 2019. L’importance même de ces montants additionnels montre combien la réaction immédiate des marchés a été excessive. La Federal Reserve américaine, symétriquement, prendra les décisions adaptées au vu de la situation économique américaine : son mandat comme le nôtre est d’abord domestique. Il ne s’agit donc pas de « grande divergence », et le taux de change n’est pas un objectif de la politique monétaire ; mais il est certain que la parité euro-dollar actuelle a des effets favorables sur notre compétitivité-prix.
L’efficacité de la politique monétaire se juge dans la durée, et pas dans la volatilité de l’instant ou la nervosité de ces jours-ci. Nous avons maintenant, avec le recul depuis juin 2014 et l’annonce de ces politiques non-conventionnelles, des mesures fiables et convergentes de leur efficacité. En dix-huit mois, le taux des crédits bancaires aux entreprises a baissé d’environ 80 pb en zone euro, et leur encours est passé d’un recul de -3,1% à une croissance à +0,6%. Un tel retournement de tendance est rare. La politique non conventionnelle augmente la perspective de croissance de la zone euro de 1% sur 2015-2017, et celle d’inflation de 0,5% en 2016 et 0,3% en 2017.
La politique monétaire fait beaucoup. Pour autant, gardons-nous de tout attendre de la politique monétaire. La mise en place d’une monnaie unique en Europe a rendu toute dévaluation nominale impossible. Dès lors, la compétitivité est « the rule of the game ». C’est le cas aujourd’hui comme lors de l’introduction de l’euro. Nous, Français, ainsi que nos partenaires du Sud de l’Europe, l’avons oublié pendant dix ans. Les succès allemands, puis la crise de la zone euro à partir de 2010, nous l’ont rappelé très fortement.
En 2015, la France figure parmi les trois États de la zone euro présentant des déséquilibres macroéconomiques excessifs au sens de la Commission européenne (avec l’Italie et le Portugal). Dans le cas français, ces déséquilibres concernent la détérioration de la balance commerciale et de la compétitivité, ainsi que le fort endettement du secteur public. Une telle situation française renforce encore l’intérêt de cette conférence sur la compétitivité, qui s’articule autour de trois impératifs :
La première session de cette conférence sera consacrée aux nouvelles mesures de la compétitivité. « Une mesure exacte vaut l’avis d’un millier d’experts » disait l’informaticienne Grace Hopper. Le déploiement actuel de nouvelles méthodes et de nouveaux indicateurs témoigne de la richesse et de l’actualité de la recherche. Une présentation des bases de données disponibles en ligne sera de plus proposée pendant les pauses.
Ces nouvelles mesures éclairent le constat du retard de compétitivité français. Par exemple, une étude de la Banque de France, présentée ce matin, propose une nouvelle mesure de la compétitivité, nettoyée des effets de composition sectoriels et géographiques, pour expliquer les variations de parts de marché des exportateurs. Elle montre que, depuis 2006, la France perd 3,2% de parts de marché en valeur, en moyenne chaque année. Ce chiffre était seulement de 1,2% pour la zone euro sur la même période. Cette perte ne résulte pas d’une mauvaise spécialisation sectorielle ou géographique française. Les pays européens souffrent tous d’un effet de composition géographique négatif puisqu’ils échangent entre eux et que l’Europe croît moins vite que le reste du monde. En outre, contrairement à une idée répandue, la spécialisation par produits a peu d’impact sur les variations de parts de marché et elle ne constitue pas un désavantage pour la France.
Les évolutions du taux de change de l’euro, communes à la France et à l’Allemagne et en dépréciation tendancielle depuis l’été 2008, ne permettent pas d’expliquer la dégradation de la compétitivité française par rapport à nos partenaires européens. Le premier élément de réponse se trouve bien sûr dans l’évolution des coûts unitaires du travail (CUT) dans les années 2000. Entre 1999 et 2007, ces coûts ont en effet progressé plus rapidement en France qu’en Allemagne, avec 17% de hausse relative cumulée. Cela a été pire encore pour l’Espagne et l’Italie, avec +30% de hausse relative par rapport à l’Allemagne.
À cela s’ajoute le fait, souligné par le rapport Gallois, que « confrontée à la concurrence, l’industrie française a été conduite à préserver sa compétitivité-prix au détriment de sa compétitivité hors-prix ». Les marges réduites dans le secteur industriel auraient donc limité les moyens disponibles pour l’amélioration de la compétitivité hors-prix. Ce cercle vicieux prix/hors prix explique-t-il le décrochage français par rapport au voisin allemand pour ce qui est des parts de marché ? Vous en discuterez dans la deuxième session.
Une autre interrogation, moins fréquemment évoquée, porte sur la démographie des entreprises exportatrices. La France compte une moyenne d’environ 100 000 firmes et PME exportatrices ces dernières années. C’est beaucoup moins qu’en Allemagne où on en compte plus de 300 000. Une étude de la Banque de France montre en outre que ces firmes sont hétérogènes. Moins de 30% des entreprises entrant sur un marché étranger y survivent plus d’un an. Certaines participent au commerce international de manière occasionnelle. Enfin, la contribution des firmes à la croissance des exportations diffère selon leur âge et leur taille.
Les réformes introduites récemment par le Gouvernement ont cherché à soutenir la compétitivité-coût et ont principalement ciblé le marché du travail, à travers le CICE et le Pacte de responsabilité et de solidarité. Elles permettent une baisse visible des prix relatifs – les coûts unitaires du travail devraient être stables sur 2014-2017, contre +1% par an en zone euro et +2% en Allemagne – et une amélioration effective du taux de marge des entreprises qui passerait de 29,5% en 2014 à 32,3% en 2017. Ceci favorise l’offre des entreprises exportatrices. Elles sont, en outre, susceptibles d’avoir un impact à un horizon plus long au travers d’un renforcement de la R&D, soutenue notamment par le Crédit d’impôt recherche.
Toutefois, ces réformes ont un coût et ne sont que partielles. En témoigne l’exemple de la difficile réforme des règles de revalorisation du SMIC, qui sont pour partie à l’origine de l’augmentation relative des coûts salariaux unitaires en France et de la faiblesse de l’emploi. Mais il n’est pas de réforme plus importante pour notre compétitivité que celle de notre système d’éducation et de formation, à commencer par l’apprentissage. Selon une enquête conduite par l’Eurosystème, sur la période 2010-2013, en pleine crise donc, plus de 70% des entreprises françaises disent ne pouvoir recruter par manque de travail qualifié : c’est le taux le plus élevé d’Europe, et cette exception française est la plus choquante de toutes alors que, parallèlement, le chômage frappe des millions d’adultes et de jeunes.
Il faudrait en outre élargir le débat pour concevoir la compétitivité-prix dans un cadre plus large, plus structurel, et rechercher une meilleure efficacité des secteurs abrités de la concurrence internationale. La valeur ajoutée provenant des services domestiques représente une part importante des exportations manufacturières des pays riches, notamment en France, où elle dépasse les 30%. La moindre pression concurrentielle pouvant résulter de certaines régulations protectrices accroît le pouvoir de négociation des entreprises des secteurs réglementés non-exposés à la concurrence internationale. Ces entreprises abritées peuvent alors accaparer une partie de la valeur ajoutée de leurs clients et dégrader leur compétitivité-prix.
La loi dite « Macron » notamment, a allégé les régulations pour certaines professions. Beaucoup reste cependant à faire. Globalement, les réformes d’ouverture des marchés, des biens et services comme du travail, sont potentiellement très bénéfiques pour les échanges extérieurs comme pour les perspectives de croissance de l’économie. Une étude de la Banque de France, fondée sur les réformes des pays étrangers, montre que des gains pouvant aller jusqu’à 6% de productivité supplémentaire pourraient être obtenus à long terme pour notre pays par ces réformes d’ouverture.
Le redressement de nos économies est d’autant plus délicat qu’il est mené dans une période de bas de cycle. C’est pourquoi il doit être coordonné au niveau européen. C’est ce que prévoit la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (MIP : Macroeconomic Imbalances Procedure), mise en oeuvre dans le cadre du semestre européen. Elle doit constituer un instrument beaucoup plus efficace pour surveiller et limiter les écarts de compétitivité entre pays membres.
Dans son ensemble, la zone euro affiche un excédent courant de 2,5% de son PIB sur un an, en avril 2015. Ce chiffre n’est bon qu’en apparence. Il est trop haut pour une économie en retard de croissance et d’investissement, et il recouvre des disparités importantes. En effet, cet excédent est largement influencé par les chiffres élevés en Allemagne et aux Pays-Bas et par une dégradation de la demande lors de la crise, notamment dans les pays du Sud de l’Europe. Mais ce chiffre dit aussi, notamment pour l’Espagne, la réussite de réformes structurelles mises en oeuvre durant la crise, avec un retour des excédents commerciaux en 2013, après plus de quarante ans de déficits. Au-delà des questions de compétitivité, ces disparités intra-zone euro témoignent d’un défaut de coordination des politiques de demande des différents pays. La mise en oeuvre d’un salaire minimum légal en Allemagne et la prise en charge courageuse d’un grand nombre de réfugiés dans ce pays contribueront, en partie seulement, à atténuer les effets de ce défaut de coordination.
Le 21 octobre dernier, la Commission européenne a adopté une recommandation – trop peu remarquée – dans laquelle elle appelle à la création de conseils nationaux de la compétitivité, constitués potentiellement en réseau européen. Ces conseils devraient être chargés de surveiller l'évolution des salaires, des prix, de l'emploi et de la croissance, ainsi que des comptes extérieurs, puis de fournir des recommandations aux autorités nationales et aux partenaires sociaux. Selon les termes du rapport des cinq présidents, ces conseils, avec d’autres éléments, contribueront à l’émergence d’une Union économique de la convergence, de la croissance et de l'emploi. Je crois celle-ci très souhaitable. Mais soyons clairs : contrairement à ce qu’on veut parfois croire en France, la nécessaire coordination européenne ne remplace en rien les indispensables réformes domestiques. Les réformes domestiques sont la condition de notre compétitivité, et de notre crédibilité dans le débat européen qui est impérativement devant nous.
Je laisse maintenant la parole aux participants de la première session et vous souhaite une très bonne conférence. Merci de votre attention.