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Interview de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, France 24

Stéphanie Antoine :

L’ombre de Donald TRUMP a plané pendant le forum de Davos et aujourd’hui, bien sûr, on en parle beaucoup. Mon invité est François VILLEROY DE GALHAU. Il est gouverneur de la Banque de France. Merci beaucoup d’être avec nous. Alors, vous, Donald TRUMP vous inquiète-t-il, François VILLEROY DE GALHAU ?

 

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

François Villeroy de Galhau :

Je crois qu’il est trop tôt pour des jugements définitifs sur ce que va faire Donald TRUMP. Beaucoup d’incertitudes demeurent sur son programme économique. Il y a en tout cas à Davos un souhait assez fort, qui est partagé par tous - y compris les pays en développement et les chefs d’entreprise américains : qu’on n’aille pas dans le sens du protectionnisme parce que ce serait un mauvais coup pour la croissance mondiale.

En quoi cela serait-il un mauvais coup pour la croissance mondiale, le protectionnisme ?

François Villeroy de Galhau :

Le commerce mondial doit être ordonné ; il doit obéir à des règles. On en parlera peut-être à propos du Brexit et de ce que le marché unique européen a construit : le développement du commerce mondial, équilibré, avec ses règles, a permis énormément de progrès économiques, y compris pour les classes moyennes et les plus pauvres. C’est cela qu’il faut garder, tout en aménageant les règles. Il ne faut pas fermer les frontières.

Ce serait un équivalent des années 30, peut-être, si justement les frontières commencent  à être fermées ?

François Villeroy de Galhau :

Nous n’en sommes pas là. Encore une fois, il y a beaucoup d’incertitudes. Il est à souhaiter que le petit regain d’optimisme qu’on a vu aux états-Unis depuis deux mois se prolonge et qu’il n’y ait pas, en sens inverse, de mesures négatives.

Alors le Brexit. C’est vrai que Theresa MAY était à Davos avant-hier. Est-ce que ce sera très coûteux pour la Grande-Bretagne ce Brexit ?

François Villeroy de Galhau :

Le Brexit est une mauvaise nouvelle pour tout le monde mais c’est d’abord un coût pour l’économie britannique. Le discours de Theresa MAY a au moins le mérite de clarifier certaines choses dans la position britannique. Mais, en face, les leaders européens - ils sont très unis là-dessus - ont rappelé un principe de cohérence très simple : le marché ne se divise pas. Vous ne pouvez pas choisir dans le marché unique ce qui vous arrange, c’est-à-dire l’accès aux marchés, et rejeter ce qui ne vous arrange pas, c’est-à-dire l’application de ses règles. Le libre accès et les règles vont ensemble.

Donc, là, ils renoncent au marché unique.

François Villeroy de Galhau :

Theresa MAY dit qu’elle renonce au marché unique parce que les Anglais ne veulent pas en appliquer les règles mais qu’elle demande un accord de libre-échange. C’est probablement une vraie difficulté dans la négociation à venir ; cela veut dire l’accès au marché sans en appliquer les règles.

Donc elle ne l’obtiendra pas ?

François Villeroy de Galhau :

Nous allons voir ce que donne la négociation. Mais si nous regardons par exemple les services financiers, il est probable que conformément au discours de Theresa MAY la City de Londres ait du mal à conserver ce qu’on appelle « le passeport européen ». Encore une fois, ce n’est pas notre souhait à nous, Européens, mais ceci peut représenter une opportunité pour la zone euro.

Maurice LEVY dit que c’est une opportunité pour Paris. Les banquiers vont peut-être délocaliser leurs employés à Paris.

François Villeroy de Galhau :

Cela peut être une opportunité pour la place de Paris. Au passage, il s’agit d’ailleurs plutôt d’une relocalisation, parce que cela concerne les affaires que les banques internationales développent à partir de l’épargne européenne. Les Européens produisent beaucoup d’épargne - c’est la matière première - et elle est en partie traitée à Londres. Si une partie est relocalisée en zone euro, cela peut être la conséquence positive de quelque chose que nous n’avons pas souhaité, qui est le Brexit.

Positive pour la place financière de Paris.

François Villeroy de Galhau :

Il y a une forte mobilisation pour attirer les acteurs financiers internationaux à Paris. Nous avons d’ailleurs des discussions discrètes mais sérieuses avec nombre de ces acteurs financiers internationaux. L’un d’entre eux, HSBC, a annoncé sa décision il y a deux jours de relocaliser 1.000 emplois à Paris.

Est-ce la fin de la mondialisation, François VILLEROY DE GALHAU ? Parce que si Xi JINPING, le président chinois, s’est fait le chantre de la mondialisation, au contraire on voit un TRUMP qui prône le protectionnisme. Est-ce qu’on est dans une fin de la mondialisation telle qu’on a pu la connaître depuis 20 ans ?

François Villeroy de Galhau :

Je ne crois pas que ce soit la fin de la mondialisation mais le souhait d’une mondialisation qui soit plus attentive au bien-être de tous et en particulier à ceux qui peuvent se sentir laissés pour compte. De ce point de vue, je crois que l’Europe a des choses à dire. L’Europe n’est pas très présente politiquement aujourd’hui mais l’Europe offre l’exemple de nombreux pays qui ont réussi sur le plan économique, avec beaucoup de croissance et d’emplois - ce sont l’Allemagne, les pays nordiques, les Pays-Bas - et qui en même temps ont un modèle social - le modèle social européen - avec beaucoup de services publics, de la protection sociale et moins d’inégalités. Cet exemple de l’Europe par rapport à ce débat sur la mondialisation est très intéressant, à commencer par la France. Nous pouvons faire encore mieux sur le plan économique, sans perdre ce modèle social. Il s’agit de le réformer, pas de l’abandonner.

Il n’est pas menacé, ce modèle social ?

François Villeroy de Galhau :

Un de nos problèmes en France est que ce modèle social nous coûte plus cher que nos voisins. Nous pouvons donc le réformer, l’adapter, mais garder cet équilibre européen entre le succès économique et la cohésion sociale. Au-delà de l’Europe, ce message peut porter dans des pays - on l’a vu dans le débat américain ou dans le débat britannique - où se pose la question des inégalités. L’Europe a quelque chose à dire. Ce n’est vraiment pas le moment de baisser le drapeau européen ou [de renoncer à] la fierté d’être européens. Il n’y a pas non plus de place pour la complaisance ou la négligence. La France doit amplifier ses réformes, elle doit créer davantage d’emplois pour lutter contre le chômage. Cela ne viendra pas tout seul mais nous avons autour de nous nombre de voisins européens qui nous montrent la voie du succès économique et social. Nous n’avons pas à choisir entre les deux.

Merci François VILLEROY DE GALHAU, gouverneur de la Banque de France, d’avoir été avec nous.

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Interview de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, France 24
  • Publié le 20/01/2017
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