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Interview de François Villeroy de Galhau, BFM Business

12H, L’HEURE H

Hedwige CHEVRILLON

Bonjour à tous et bienvenue dans « L’heure H » avec notre invité, le gouverneur de la Banque de France, François VILLEROY de GALHAU. François VILLEROY de GALHAU, bonjour.

François VILLEROY de GALHAU

Bonjour Hedwige CHEVRILLON.

Hedwige CHEVRILLON

Merci d’être avec nous. Vous avez adressé votre lettre au président de la République. C’est une tradition républicaine depuis 1945, je crois.

François VILLEROY de GALHAU

Oui.

Hedwige CHEVRILLON

Elle a été un peu décalée parce qu’il y avait des événements importants justement républicains en l’occurrence…

François VILLEROY de GALHAU

La Banque de France est indépendante du pouvoir politique et donc, comme cela s’était fait en 2012, nous avons décalé effectivement après les échéances électorales.

Hedwige CHEVRILLON

En même temps, on a retenu que vous demandiez des réformes. Ce qui est intéressant à regarder avec vous, c’est : 1) la situation économique de la France. Vous avez revu à la hausse votre prévision de croissance pour l’année 2017 à 1,6 %. Donc c’est un point important. On le voit ici, on l’a entendu beaucoup, il y a une sorte d’effet MACRON, il y a une croissance plutôt positive mais il y a aussi des interrogations depuis qu’on a entendu le discours de politique générale du Premier ministre, eh bien sur les réformes, un peu une forme de déception – on peut dire ça comme ça – en tous les cas du monde économique. Vous appelez à faire des réformes. Lesquelles et comment ?

François VILLEROY de GALHAU

Alors, commençons par le constat et il est résolument mobilisé : la France comme l’Europe connaissent un moment favorable. Ce moment favorable est issu d’une clarification politique à la suite des élections françaises mais aussi d’une embellie économique. Vous avez cité la prévision de croissance que nous avons actualisée sur 2017 à 1,6 ; nous disions précédemment au moins 1,4. Une précision technique, c’est que cette révision tient au fait que le 1er trimestre – donc avant le changement de gouvernement –, le 1er trimestre a été deux fois révisé à la hausse par l’Insee. Donc nous l’intégrons mécaniquement et ce « au moins 1,4 » devient 1,6. Parallèlement, la prévision de croissance pour la zone euro est à 1,9 % ; ceci situe donc le retard français et le besoin de réforme. La France est en amélioration mais reste en dessous de la moyenne de croissance de la zone euro.

Hedwige CHEVRILLON

Donc, si j’ai bien compris aussi votre message, c’est de dire : on est en dessous de la… croissance mais, en même temps, il y a un effet favorable et c’est le moment de faire des réformes.

François VILLEROY de GALHAU

C’est absolument le moment de saisir ce moment favorable. Nous ne pouvons pas nous en contenter, mais devons le saisir pour être audacieux, pour être ambitieux en s’inspirant des meilleurs exemples de nos voisins européens. Et nous le savons aujourd’hui, pas seulement en Allemagne, les réformes marchent en Europe ! Elles ont marché en Espagne, aux Pays-Bas, dans nombre de pays nordiques qui ont davantage de croissance et de créations d’emplois que nous. C’est parfaitement compatible avec le modèle social européen. C’est le moment d’avoir cette ambition globale, d’avoir confiance en nous-mêmes. Et pour le dire d’un mot, une France plus forte, c’est une France qui retrouve le contrôle de ses dépenses publiques – là, il y a une vraie anomalie française –, c’est une France qui a davantage de talents humains et c’est une France qui a moins de règles inefficaces. C’est dans cette direction-là – et on va sans doute le détailler et l’illustrer – que je propose d’avancer.

Hedwige CHEVRILLON

Oui, en même temps, on voit bien, il y a eu la réforme du code du travail qui est lancée, le top départ a été donné. On attend de voir les ordonnances. Peut-être là aussi une petite déception du point de vue du milieu des affaires, comme on dit, économique. Et puis aussi un peu une autre déception peut-être sur la réforme de la fiscalité : on a l’impression que tout est un peu repoussé à 2018-2019, voire plus loin, pour ce qui touche, par exemple, la réforme de l’ISF. Est-ce que… ? Pour vous, qu’est-ce qui est le plus important ? Ce sont les 3 % ou c’est de faire les réformes ?

François VILLEROY de GALHAU

D’abord, tout ceci est parfaitement compatible et va dans la même direction qui est la mobilisation française pour la croissance et l’emploi. Vous me permettez peut-être un petit mot par rapport au climat que vous décrivez de la part du milieu des affaires.

Hedwige CHEVRILLON

Oui.

François VILLEROY de GALHAU

Sur cette « déception » : pour transformer la France, il faut la durée et attention au court-termisme – je le dis, y compris si cela vient de milieux économiques –, à l’impatience et à dire qu’on jugerait tout en deux jours. Ce qui était vérité la semaine dernière serait devenu faux ce jeudi. Je crois qu’heureusement, la France dure pour plus longtemps ; heureusement, nous pouvons être mobilisés collectivement dans la durée. Aucun de nos partenaires européens n’a transformé les choses en 48 heures.

Il y a donc compatibilité totale, convergence totale entre retrouver le contrôle de nos dépenses publiques et réformer la France sur les fronts de l’éducation, du marché du travail, du marché des biens et services. Nous pouvons être assez forts pour faire tout ceci en même temps. Si vous me permettez un mot sur les finances publiques, la France se caractérise par le fait qu’elle a le même modèle social européen que ses voisins mais que cela lui coûte beaucoup plus cher : chez nous, 56 % de dépenses publiques par rapport au PIB ; chez nos voisins de la zone euro, 46 %. Ces 10 points d’écart, Hedwige CHEVRILLON, cela fait 220 milliards d’euros de surcharges dans le fonctionnement de l’économie française.

Hedwige CHEVRILLON

Oui, donc il faut des réformes.

François VILLEROY de GALHAU

Et donc il faut effectivement faire des réformes ; cela commence par retrouver le contrôle de la dépense publique, c’est-à-dire probablement le fait qu’elle soit stabilisée en volume. Au passage, cela ne veut pas dire des coupes sauvages, cela veut dire qu’elle augmente comme l’inflation chaque année. Et pour cela des réformes à l’intérieur du service public. Je crois profondément au service public, nous essayons aussi de l’appliquer à la Banque de France, mais il n’y a vraiment pas de raison qu’il n’y ait pas d’innovation publique, de responsabilisation publique, de choix de priorités plus clairs.

Hedwige CHEVRILLON

Oui, mais en même temps, choix de priorités, donc ça veut dire de respecter ces fameux critères de Maastricht, retrouver un contrôle de nos dépenses publiques. Cela dit, la dette de la France, elle est de plus de 2 000 milliards d’euros.

François VILLEROY de GALHAU

Oui.

Hedwige CHEVRILLON

Donc il y en a certains qui disent : « Quitte à emprunter 15 milliards pour être dans les clous des 3 %, c’est dommage, on peut le faire facilement, surtout avec des taux d’intérêt très bas et peut-être il fallait mieux enclencher des réformes. » Parce que vous dites : il ne faut pas juger à l’aune d’un mois ou deux mois. Mais les gens ont de la mémoire. Lorsque vous regardez l’arrivée de Nicolas SARKOZY, il voulait faire des réformes qui n’ont pas été faites. Vous regardez… Il y a une réforme de déception un petit peu habituelle en tous les cas.

François VILLEROY de GALHAU

Hedwige CHEVRILLON, regardons l’histoire longue de notre pays qui est un grand pays. Je crois à l’avenir de la France en Europe et dans le monde.

Hedwige CHEVRILLON

Oui.

François VILLEROY de GALHAU

Je pense d’ailleurs que la France est attendue aujourd’hui par ses partenaires européens. J’étais hier au Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, à Francfort. Je vous confirme qu’il y a un rôle, il y a une place pour la France au centre de la table européenne. Qu’est-ce que nous avons fait depuis 15 ans, tous régimes politiques confondus ? Nous avons fait ce que vous venez de rappeler, c’est-à-dire qu’on a commencé par creuser les déficits en faisant des baisses d’impôts non financées ou en faisant des dépenses publiques supplémentaires…

Hedwige CHEVRILLON

Où sont les baisses d’impôts en France ? …

François VILLEROY de GALHAU

Et on s’est dit : ça, ça va améliorer la croissance française. Si les dépenses publiques, si les déficits étaient la clé de la croissance française, la France, avec l’Italie, serait la championne de la croissance en Europe ; au contraire, elle est malheureusement aujourd’hui en dessous de la moyenne. Donc la clé, ce sont des réformes durables pour, d’un côté, rendre notre service public plus efficace, et puis de l’autre, rendre un peu les clés de la croissance économique aux Français. Cela veut dire quoi ?

Hedwige CHEVRILLON

Oui, après réformes. Par rapport aux réformes qui sont sur la table, qui ont été définies par le président MACRON, quelles sont les réformes qui vous semblent à ce moment-là prioritaire, Monsieur le Gouverneur ?

François VILLEROY de GALHAU

On a parlé des réformes à l’intérieur du service public. Si je regarde le fonctionnement de l’économie et de la société française, là, je crois qu’il y a trois réformes absolument prioritaires qu’il faut mener parallèlement. Et d’ailleurs, si l’ambition est globale, elle sera à la fois plus efficace et elle sera plus équitable. La première, c’est l’éducation et la formation professionnelle.

Hedwige CHEVRILLON

Oui, c’est clair mais c’est de longue haleine.

François VILLEROY de GALHAU

Il faut donner à chaque Français et à chaque jeune davantage de chance. Il y a une partie qui n’est pas de longue haleine, la formation professionnelle, ou nous dépensons entre 30 et 35 milliards d’euros chaque année. Il s’agit non pas de mettre davantage d’argent, mais d’être beaucoup plus efficace là-dessus. Et puis sur l’apprentissage, vous savez, Hedwige CHEVRILLON, que nous avons deux fois et demie moins d’apprentis qu’en Allemagne et nous avons symétriquement – et je le regrette – trois fois plus de jeunes au chômage. Il y a évidemment un lien entre les deux et ça, ça peut aller vite. Donc, première grande réforme, éducation, formation professionnelle, apprentissage. Et deux autres grandes réformes qu’il faut mener en parallèle : le marché du travail, avec la décentralisation de notre dialogue social et la sécurisation de notre droit du travail. Il y a une réforme qui est en cours…

Hedwige CHEVRILLON

Est-ce qu’elle va dans le bon sens ? …

François VILLEROY de GALHAU

On verra exactement ce qu’il en ressort, mais cette réforme-là est clé contre le chômage. Là aussi, regardons ce qui s’est passé chez nos voisins. Et en parallèle du marché du travail, agir sur ce que les économistes appellent le marché des biens et services. Il reste aujourd’hui un certain nombre de rentes qui pénalisent les consommateurs, qui accroissent les inégalités parce que ces rentes bénéficient à des producteurs.

Hedwige CHEVRILLON

Par exemple ?

François VILLEROY de GALHAU

On peut regarder sur certains secteurs de transport, sur le secteur de la santé ou de certaines professions médicales. Et pour prendre un grand exemple qui va d’ailleurs faire le lien avec le service public, sur le secteur du logement, nous dépensons beaucoup. Une partie de ces dépenses probablement est peu efficace parce qu’elle conduit à augmenter les prix et les loyers et à alimenter une rente immobilière.

Aucune de ces réformes n’est facile, elles doivent toutes être instruites techniquement, elles doivent être débattues politiquement, mais si nous avons cette ambition globale – moins de dépenses publiques, davantage de talents humains, moins de règles inefficaces –, nous aurons une France globalement beaucoup plus compétitive.

Hedwige CHEVRILLON

Donc la réforme…

François VILLEROY de GALHAU

Il y a une bonne nouvelle si vous me permettez, Hedwige CHEVRILLON…

Hedwige CHEVRILLON

Oui oui oui…

François VILLEROY de GALHAU

Nous, nous avons appris ce qui ne marchait pas, c’est-à-dire de creuser sans cesse les déficits, d’augmenter sans cesse les dépenses publiques. Par contre, la bonne nouvelle, c’est que les réformes telles que je viens de les décrire, elles marchent chez nos voisins européens et elles sont pleinement compatibles avec notre modèle social, elles vont vers le plein emploi.

Hedwige CHEVRILLON

Justement, la question quand même à la clé de ces réformes, c’est : comment doper la croissance française ? Il y a un effet, il se passe quelque chose. Donc : 1) la grande réforme qui vous paraît essentielle, François VILLEROY de GALHAU, c’est la réforme du marché du travail, d’accord ? Celle-là, elle est en route.

François VILLEROY de GALHAU

C’est une des trois réformes que j’ai citées avec l’éducation et les biens et services.

Hedwige CHEVRILLON

Une des trois réformes, oui. Mais la deuxième, ça doit être quoi ensuite ?

François VILLEROY de GALHAU

Je crois qu’il ne faut pas les séparer…

Hedwige CHEVRILLON

Les deux simultanément, d’accord, on a compris.

François VILLEROY de GALHAU

Il faut avoir une ambition sur plusieurs fronts et cela, c’est une des grandes leçons aussi de la comparaison avec les autres pays européens, c’est qu’ils ont eu une ambition globale et dans la durée. D’où ce que je disais tout à l’heure : ne jugeons pas en 48 heures. Quand on regarde la France dans le passé, nous avons fait certaines réformes –il y a eu des réformes des retraites, il y a eu des progrès sur le droit du travail–. Mais nous les avons faites à très petit pas – le fameux gradualisme – et nous les avons faites sans donner l’ambition et la perspective d’ensemble. L’occasion que nous avons aujourd’hui avec ce moment favorable pour la France, c’est d’avoir une stratégie globale, audacieuse, ambitieuse. Osons les réformes !

Hedwige CHEVRILLON

Maintenant, reste à savoir aussi… Donc c’est booster la croissance en France mais évidemment au sein de la zone euro et aussi de l’Union européenne. Est-ce que vous pensez qu’il faut… ? On a eu, vous avez eu votre séminaire à Sintra des gouverneurs des banques centrales européennes. On a entendu les déclarations de Mario DRAGHI. Vous en parlez…

François VILLEROY de GALHAU

Sintra, au Portugal.

Hedwige CHEVRILLON

Au Portugal, absolument. Vous en parlez du reste dans votre lettre au président de la République. Est-ce qu’il faut modifier, changer un peu la politique monétaire ?

François VILLEROY de GALHAU

Sur la politique monétaire qui est notre responsabilité au sein du Conseil des gouverneurs, je dis trois choses très simples. La première, c’est qu’elle est nécessaire et efficace. Nous avons une cible d’inflation correspondant à la stabilité des prix qui est de 2 % à moyen terme. Nous avons dû lutter contre des tendances déflationnistes, vers l’inflation négative. Nous avons remporté des succès mais nous ne sommes pas encore à la cible. La politique monétaire est efficace. La deuxième chose, c’est qu’elle n’est pas éternelle. Ceci veut dire – et c’est une évidence, Mario DRAGHI l’a dit avant moi – qu’elle ne durera pas pour toujours mais ceci ne veut pas dire qu’elle s’arrêtera demain. Soyons clairs : la politique monétaire accommodante de l’Eurosystème durera aussi longtemps que nécessaire, en fonction des progrès vers notre cible d’inflation et vers la reprise économique. Enfin la politique monétaire n’est pas omnipotente, au sens qu’elle ne peut pas tout. Elle peut améliorer les progrès de la conjoncture, mais le potentiel de croissance de l’économie européenne dépend aussi, dépend surtout des réformes dont nous parlons.

Hedwige CHEVRILLON

Mais est-ce qu’elle est aussi nécessaire aujourd’hui peut-être qu’hier ?

François VILLEROY de GALHAU

Oui, elle est nécessaire tant que nous ne sommes pas à notre cible d’inflation de façon durable. Nous en adapterons l’intensité en fonction des progrès de la situation économique. Nous avons déjà adapté l’intensité en avril dernier parce que nous avons réduit le montant mensuel des achats de titres. Ce que certains appellent le fameux QE – quantitative easing.

Hedwige CHEVRILLON

Oui oui, le QE. On connaît bien ici, sur BFM Business, quand même, oui.

François VILLEROY de GALHAU

Donc, comme je parle à BFM Business, nous sommes passés de 80 milliards à 60 milliards d’euros par mois. Nous avons, dans notre communication, réduit un certain nombre de risques et, encore une fois, de façon extrêmement pragmatique, nous adapterons l’intensité comme requis par l’analyse de la situation économique. On décrit parfois les débats au Conseil des gouverneurs comme des grands débats théoriques entre – vous savez, il y a des noms d’oiseaux – les faucons et les colombes.

Hedwige CHEVRILLON

Mais… Oui.

François VILLEROY de GALHAU

Moi, je crois au pragmatisme. C’est ça que nous avons fait et c’est le pragmatisme qui commande l’efficacité de notre politique monétaire.

Hedwige CHEVRILLON

Et alors certains, justement, ici même, des gérants disaient : « Mais il faut peut-être que la Banque centrale européenne, au lieu de n’acheter peut-être que des titres allemands ou français où il y a un bon risque, achète des titres italiens. » On sait que la situation est plus compliquée.

François VILLEROY de GALHAU

Mais elle le fait !

Hedwige CHEVRILLON

Oui, mais d’une manière plus intense, plus forte, plus soutenue que ce qu’elle ne fait aujourd’hui parce que ça crée une raréfaction sur le marché des titres allemands et pas sur les titres italiens.

François VILLEROY de GALHAU

Le principe de la politique monétaire et en particulier de ce fameux QE, c’est-à-dire les achats de titres, c’est que d’abord, nous raisonnons sur l’ensemble de la zone euro. Nous ne sommes pas là pour favoriser telle ou telle économie ou tel ou tel pays, nous sommes là pour soutenir l’ensemble de la zone euro.

Hedwige CHEVRILLON

Non, mais pour soutenir, oui.

François VILLEROY de GALHAU

Ces achats de titres obéissent donc à une règle simple, c’est qu’ils se font au prorata du poids de chaque économie…

Hedwige CHEVRILLON

Oui, mais est-ce que, justement, il ne faut pas changer ça ? …

François VILLEROY de GALHAU

… c’est-à-dire au prorata du poids du capital de chaque banque centrale dans la Banque centrale européenne, et je crois que c’est une bonne règle.

Hedwige CHEVRILLON

Là, on est au niveau européen. On reviendra peut-être si on a le temps sur les réformes nécessaires et que vous soutenez justement au niveau de la zone euro mais quand même, une question importante…

François VILLEROY de GALHAU

Oui, est-ce que je peux juste dire à ce propos très brièvement, Hedwige CHEVRILLON ?

Hedwige CHEVRILLON

Parce qu’il faut parler des États-Unis, oui.

François VILLEROY de GALHAU

À côté de cette union monétaire dont nous venons de parler, il faut maintenant vraiment optimiser ce qu’on appelé l’union économique, c’est-à-dire à partir de la France et de l’Allemagne puis de l’ensemble des 19 pays de la zone euro, avoir une meilleure stratégie économique collective. On joue ensemble pour avoir davantage de croissance et d’emploi. Et l’autre proposition que je fais dans cette lettre, c’est de construire vraiment une union de financement en Europe.

Hedwige CHEVRILLON

Oui.

François VILLEROY de GALHAU

Nous avons 350 milliards d’euros d’épargne excédentaire chaque année en zone euro. C’est un formidable atout, mobilisons-le pour l’investissement et l’innovation.

Hedwige CHEVRILLON

Est-ce qu’il y a… ? Est-ce que vous avez des inquiétudes par rapport à la volonté de Donald TRUMP, le président américain, de peut-être procéder – on ne sait pas encore très bien encore quel terme utiliser – à une nouvelle dérégulation financière, notamment par rapport aux banques américaines ?

François VILLEROY de GALHAU

Là, Nous arrivons sur le troisième terrain de jeu où se joue le succès de la partie française.

Hedwige CHEVRILLON

Oui, voilà.

François VILLEROY de GALHAU

Nous avons parlé du terrain français avec cette ambition audacieuse et globale de réforme, nous venons de parler du terrain européen, puis il y a le terrain international, au sens mondial. Là, nous voyons aussi une amélioration de l’économie mais il y a des fragilités. Une des fragilités, c’est celle que vous venez de citer, c’est l’incertitude sur l’orientation de la politique américaine. Globalement, l’ordre économique international, les relations économiques internationales, sont fondées depuis la dernière guerre sur des règles du jeu et des institutions collectives. Le mot technique qu’on emploie, c’est « multilatéral », mais ce sont des règle du jeu collectives appliquées par tous.

Hedwige CHEVRILLON

Oui.

François VILLEROY de GALHAU

Cela vaut aussi en matière financière. On marque ces jours-ci les 10 ans du début de la crise financière. Ces règles du jeu collectives ont été heureusement considérablement renforcées après 2007.

Hedwige CHEVRILLON

Voilà, mais il y a un nouveau joueur qui s’appelle Donald TRUMP.

François VILLEROY de GALHAU

Aujourd’hui, la nouvelle administration américaine a ouvert beaucoup de dossiers, a mis beaucoup d’interrogations sur la table, n’a pas encore apporté ses propres réponses. Ce que nous disons, nous, les Européens, les Japonais, les autres participants autour de cette réglementation financière, c’est que s’il s’agit de changement de règles du jeu américaines, purement américaines –et il y en a en matière financière : comment on traite les petites banques ou ce qu’on appelle la règle VOLCKER pour les portefeuilles de négociation de comptes propres des banques d’affaires–, la décision américaine : ils ouvrent le dossier, ils y apportent la réponse qu’ils souhaitent. Mais il y a une autre partie de la réglementation financière américaine qui est la transcription aux États-Unis de ces règles du jeu internationales, collectives dont nous sommes convenus. Cela s’appelle Bâle III pour les banques. Il y a toute une série de règles pour ce qu’on appelle le shadow banking, c’est-à-dire les non-banques qui participent au financement.

Hedwige CHEVRILLON

Les assurances, oui…

François VILLEROY de GALHAU

Là, nous ne savons pas encore quelle sera la réponse de l’administration américaine. Il est éminemment souhaitable que les États-Unis continuent à appliquer ces règles, restent autour de la table pour finaliser un certain nombre de discussions que nous devons avoir. Il y a eu des très grands progrès de la sécurité financière depuis 2009. Si jamais – et nous n’en sommes pas là aujourd’hui – les États-Unis devaient effectivement revenir en arrière, là, on aurait malheureusement augmenté le risque d’une prochaine crise financière qui pourrait naître aux États-Unis et puis on aurait fait une vraie régression par rapport aux progrès depuis 2009.

Hedwige CHEVRILLON

Mais vous avez une inquiétude.

François VILLEROY de GALHAU

C’est une question ouverte aujourd’hui. Nous poursuivons les discussions heureusement avec les partenaires américaines. Quand je dis nous, c’est aussi Mark CARNEY, le gouverneur de la Banque d’Angleterre…

Hedwige CHEVRILLON

Bien sûr ! …

François VILLEROY de GALHAU

Qui préside le Conseil de stabilité financière à l’échelle mondiale, qui sera d’ailleurs au G20 qui s’ouvre demain à Hambourg.

Hedwige CHEVRILLON

Voilà, c’était la question…

François VILLEROY de GALHAU

Le message qu’il propose au G20, avec lequel nous sommes d’accord, c’est qu’il faut évidemment appliquer tout ce qui existe, qu’il faut finaliser un certain nombre de règles. Donc il y a eu évidemment des progrès depuis la crise financière mais il reste des risques et il n’est pas du tout question d’avoir un relâchement. Un exemple de risque que je cite dans ma lettre, c’est une montée des dettes publiques et privées qui, malheureusement, ne s’est pas arrêtée à l’échelle mondiale. Le total des dettes publiques et privées dans les pays avancés et dans les pays émergents était de 210 % du PIB mondial en 2007, juste avant la crise. Nous sommes à 230 % aujourd’hui. Vous voyez donc qu’il n’y a pas matière à relâchement, y compris dans les pays émergents parce que c’est surtout dans les pays émergents qu’on voit cette hausse.

Hedwige CHEVRILLON

Vous êtes aussi, vous avez aussi en charge évidemment la santé des banques françaises. Est-ce que vous avez une inquiétude justement pour les banques françaises en fonction de… ?

François VILLEROY de GALHAU

Non

Hedwige CHEVRILLON

Non, mais en fonction de cette dérégulation potentielle ? …

François VILLEROY de GALHAU

Non. Il faut répondre très directement à votre question :, le système bancaire français et le système assurantiel d’ailleurs – je peux dire la même chose des compagnies d’assurances qui sont sous notre supervision – est un système solide. C’est un atout de l’économie française, qui contribue à un financement d’ailleurs très dynamique de l’économie française. Nous surveillons même les chiffres. Alors, sur des évolutions de réglementation, nous souhaitons finaliser Bâle III, c’est-à-dire les règles du jeu collectives pour les banques. Nous souhaitons le faire dans l’intérêt à la fois de la stabilité financière parce qu’il faut vraiment diminuer les risques de crise…

Hedwige CHEVRILLON

Et Bâle IV, on oublie…

François VILLEROY de GALHAU

Dans l’intérêt de la stabilité financière et dans l’intérêt du bon financement de l’économie française et européenne.

Hedwige CHEVRILLON

Oui oui.

François VILLEROY de GALHAU

Bâle IV, pour revenir sur ce débat auquel vous faites allusion, cela serait passer sur un autre système de suivi des risques : c’est-à-dire qu’au lieu de les suivre à partir de modèles fins qui sont développés à l’intérieur des banques mais supervisés par nous, on passerait à ce qu’on appelle une approche standard, c’est-à-dire qu’on considère qu’un risque immobilier, c’est la même chose en Allemagne, au Japon, aux États-Unis…

Hedwige CHEVRILLON

Partout, oui, ou en Italie.

François VILLEROY de GALHAU

Ce qui n’a pas beaucoup de sens.

Hedwige CHEVRILLON

D’accord.

François VILLEROY de GALHAU

Donc, nous, nous disons oui à Bâle III et à une finalisation raisonnable…

Hedwige CHEVRILLON

Et non à Bâle IV…

François VILLEROY de GALHAU

Et non à Bâle IV.

Hedwige CHEVRILLON

Eh bien comme ça au moins, ça a le mérite d’être clair. Juste, il nous reste deux minutes. Rapidement, enfin rapidement et important, qu’est-ce qu’il faudrait à la France pour que la France atteigne une croissance de 2 % et est-ce que vous le voyez à moyen terme ?

François VILLEROY de GALHAU

Alors je n’ai pas cité de chiffres d’objectif en matière de croissance.

Hedwige CHEVRILLON

C’est le moment d’en faire !

François VILLEROY de GALHAU

Non, mais je vais répondre tout à fait précisément à votre question. J’ai cité une comparaison par rapport à la moyenne de la zone euro. Nous l’avons relevé tout à l’heure, la France est aujourd’hui en dessous de la moyenne de la zone euro, il n’y a vraiment pas de raison dans la durée. Au contraire, nous avons une démographie meilleure que nos voisins. Donc il faut que la France rattrape, voire dépasse, la moyenne de la zone euro. Si je regarde les chiffres d’aujourd’hui – 1,6 en France, 1,9 dans la moyenne de la zone euro –, cela nous amènerait, dans les conditions d’aujourd’hui, autour de 2 %.

Hedwige CHEVRILLON

Et donc, ça, ce serait pour quand ?

François VILLEROY de GALHAU

Cela va dépendre de la situation économique mais dans… Je ne veux pas citer de chiffres absolus parce que cela dépend du cycle économique. Rattraper la moyenne de la zone euro, cela, nous pouvons le faire assez vite.

Hedwige CHEVRILLON

Dans un quinquennat, on peut le faire, à condition que les réformes soient là ?

François VILLEROY de GALHAU

On peut le faire, j’espère bien, même avant. Au fur et à mesure de notre audace sur les réformes. Je voudrais dire un mot du chômage.

Le chômage a commencé à baisser dans notre pays. C’est évidemment très bien parce que c’est une maladie économique mais aussi une maladie qui mine la cohésion de notre société, et c’est un drame pour les personnes concernées. Nous sommes descendus en dessous de 10 % parce que l’économie française, -il faut quand même le rappeler-, a créé beaucoup d’emplois en 2016. Mais si nous ne faisons rien, si nous attendons juste cette embellie, une espèce de France assoupie, nous resterons autour de 9 %, c’est beaucoup trop élevé. Si nous faisons ces réformes dont nous parlons, nous pouvons descendre, dans les années qui viennent, vers 7 %. Nous aurions alors rattrapé la moitié de notre écart par rapport à l’Allemagne.

Hedwige CHEVRILLON

Oui.

François VILLEROY de GALHAU

Et pour le dire très concrètement, passer de 9 % à 7 % de taux de chômage, Hedwige CHEVRILLON, cela veut dire que 600 000 Français retrouvent un emploi avec leur famille autour. Nous aurions vraiment changé le climat en France.

Hedwige CHEVRILLON

Voilà des bons objectifs... très rapidement mais à une question d’auditeur sur le Livret A. On sait que les règles ont changé : normalement, si on applique les nouvelles règles, on devrait avoir un taux plus élevé du Livret A, de rémunération du Livret A. Est-ce que vous y êtes favorable ?

François VILLEROY de GALHAU

Je ne peux malheureusement pas encore répondre à votre auditeur parce que cela dépend des chiffres que nous aurons le 13 juillet…

Hedwige CHEVRILLON

Ah ! …

François VILLEROY de GALHAU

C’est-à-dire exactement jeudi prochain, où nous aurons le chiffre définitif d’inflation et nous pourrons voir ce que donne la formule. Et donc, réponse, si vous le voulez bien, à compter du 13 juillet.

Hedwige CHEVRILLON

Merci beaucoup François VILLEROY de GALHAU. Donc on attend votre réponse évidemment avec beaucoup… Vous seriez favorable à une hausse du taux du Livret A ou ce n’est pas le moment ?

François VILLEROY de GALHAU

Je vous ai dit rendez-vous à partir du 13 juillet.

Hedwige CHEVRILLON

OK, merci beaucoup ! François VILLEROY de GALHAU, le gouverneur de la Banque de France, était notre invité.

François VILLEROY de GALHAU

Merci Hedwige CHEVRILLON.

Hedwige CHEVRILLON

Voilà, c’est la fin de « L’heure H ». On se retrouve ce soir avec Viviane CHAINE-RIBEIRO, elle est la présidente de la Fédération Syntec. C’est elle qui est en charge justement, vous savez, de fusionner toutes ces branches. Ça prend du temps, un peu de trop de temps. Elle nous dira qu’est-ce qui se passe. À ce soir.

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Interview de François Villeroy de Galhau, BFM Business
  • Publié le 06/07/2017
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