Jean-Pierre ELKABBACH : Bienvenu Christian NOYER, bonjour.
Christian NOYER : Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH.
Deux mandats, douze ans qui se terminent donc dans deux jours et vous partez. Vous en avez connu des dirigeants, vous.
Oui. J’ai connu deux présidents de la République, cinq Premier ministres, neuf ministres de l’Économie et des finances. C’est vrai, c’est une tranche de vie.
Et deux présidents de la BCE dont vous êtes membre.
Deux présidents de la BCE.
Est-ce que vous avez connu des périodes sans crise ?
Les premières années où j’étais gouverneur de la Banque de France, oui. Disons entre 2003 et 2006, on était dans une période de bonne croissance, une période assez facile.
Où on ne voyait rien venir.
On ne voyait rien venir. On voyait un peu d’exubérance des marchés mais c’est vrai que le début de la crise, en 2007, était un peu comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu.
Cette grande crise 2007-2008 avait effrayé tous les dirigeants. Est-ce qu’elle est terminée ? Vraiment ?
On est vraiment en train d’en sortir. Elle est largement finie dans l’ensemble du monde. Il faut bien sûr réparer les stigmates de la crise mais elle est finie dans l’ensemble du monde. On a eu un épisode spécial en Europe avec les pays périphériques, la crise des dettes souveraines. Aujourd'hui c’est terminé ; je crois qu’on a tout réparé. On a donc une période qui s’ouvre et qui est une formidable opportunité de croissance.
Là, 2015 et peut-être les années qui viennent, c’est ça ?
Oui, les mois et les années qui viennent. En 2015, on fera une croissance de l’ordre de 1,2 % probablement. L’année est largement faite, mais l’année prochaine, on doit pouvoir accélérer et on fera sans doute 1,6-1,7 % de croissance, peut-être mieux si on accélère les réformes. Ça, c’est très important.
Hier, la Fed américaine n’a pas changé ses taux alors que tout le monde le prédisait. En quoi c’est important et est-ce que ça nous concerne ?
La Fed a ouvert la porte à éventuellement changer ses taux en décembre. Ça nous concerne. Pourquoi ? Parce que si la Fed remonte ses taux - et elle le fera certainement à un moment donné - cela veut dire que l’économie américaine est très forte, qu’elle tourne à plein régime, que le chômage est très bas (il est aujourd'hui à 5 % aux États-Unis). Si l’économie américaine va bien, elle tire l’ensemble du monde. Elle tire l’Europe et nous aide à accélérer notre croissance. Moi, je trouve que c’est une bonne nouvelle.
Et la Chine qui vient de passer commande pour dix milliards de dollars de cent Airbus A320, c’est formidable. Le président de la République sera en Chine lundi et mardi.
Oui. C’est une bonne nouvelle, bien sûr. Ce qu’il faut voir, c’est que la Chine est en train de changer de modèle de croissance. Elle vivait sur les exportations du reste du monde et elle est en train de développer sa consommation interne. Ça veut dire entre autres choses bien sûr plus de voyages d’avion pour les particuliers chinois ; plus de besoins d’avion, c’est des opportunités d’exportation pour nous.
Tout ça, c’est bon pour nous si on sait en profiter ?
Tout ça, c’est bon pour nous si on sait en profiter !
Donc, vous confirmez que l’économie démarre. Elle démarre lentement peut-être mais elle démarre, et cette brise d’optimisme que l’on sent même dans ce pays est fondée ou pas ?
Oui, elle est fondée. Elle est fondée parce que l’économie mondiale va mieux, l’économie française commence à aller mieux. Évidemment, la vitesse à laquelle on va accélérer - et donc la vitesse à laquelle on serait capable de réduire le chômage - dépend d’une poursuite hardie des réformes. Il ne faut donc pas se croiser les bras. Si on travaille sérieusement, si on fait les réformes à temps, on aura des résultats. Personnellement, je trouve que ce qu’a annoncé Manuel VALLS sur la réforme du Code du travail, c’est très important. Il faut le faire très vite et il ne faut pas se rater.
Il faut donc soutenir Manuel VALLS et Emmanuel MACRON.
Il faut les soutenir à fond. Regardez le travail du dimanche, cela fait déjà des embauches. Là aussi, il faut mettre en oeuvre la réforme qui a été votée et il ne faut pas tergiverser.
Monsieur le gouverneur de la Banque de France et membre de la BCE, qu’est-ce qui vous a le plus inquiété quand vous étiez en fonction pendant ces douze années ?
On a souvent parlé des banques…
La vérité, la vérité.
La vérité : on a souvent parlé des banques françaises. Moi, honnêtement, je n’ai jamais été inquiet sur les banques françaises que je trouve très solides. Sauf un épisode qui est celui qu’on a appelé « l’affaire KERVIEL », les problèmes de la Société Générale où là, effectivement, j’ai été averti un dimanche qu’on avait découvert une énorme fraude d’un trader.
De combien ? Beaucoup de milliards.
Il y avait des risques qui étaient pris pour une cinquantaine de milliards, c’était donc un risque de pertes considérables qu’il a fallu réparer, parer en quelques jours.
Oui, mais comment vous avez fait ? C'est-à-dire qu’à ce moment-là, est-ce que la Société Générale pouvait disparaître ou s’effondrer ?
La Société Générale était effectivement menacée dans son existence. Il fallait absolument dénouer les risques en quelques jours et dans le secret.
Et trouver en urgence les milliards. Combien ?
Finalement, les opérations ont été dénouées. Il n’y a eu que, si j’ose dire, cinq milliards de perte mais ç’aurait pu être beaucoup plus et la Société Générale a été capable en trois jours non seulement de dénouer tous les risques mais de monter une augmentation de capital pour combler le trou.
Et il vous a fallu trouver combien ?
La Société Générale a trouvé les cinq milliards qui étaient nécessaires.
Vous avez dit “en secretˮ, Christian NOYER. À l’époque, je me souviens de la colère du président de la République qui était Nicolas SARKOZY et du Premier ministre, François FILLON, parce que vous ne les aviez pas informés. Est-ce que ce n’était pas une faute ?
Non. J’ai considéré d’abord que moins il y avait de personnes dans la confidence et mieux on était pour dénouer les opérations – il fallait absolument que ça se fasse dans le secret -, que c’était une information d’initiés, donc moins il y avait de personnes et plus ceux qui ne le savaient pas étaient protégés.
Et même le président de la République ne doit pas savoir ?
Je considère que la tâche du gouverneur de la Banque de France était de surveiller les banques, c’était de s’assurer que la solution était apportée. C’était ma responsabilité et je voulais dire les choses une fois qu’on aurait apporté la solution. Il nous a fallu trois jours, ce n’est pas un délai si important que ça.
Est-ce que si c’était à refaire, vous feriez la même chose, même avec un autre président de la République, un autre Premier ministre ?
Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose, avec n’importe quel président de la République et n’importe quel Premier ministre.
Les politiques ont du mal à l’accepter, comme par exemple le Livret A régulièrement. Son taux est fixé deux fois par an et ça provoque constamment des drames. On en parle dans toutes les rédactions et ici à Europe 1. La décision, Monsieur le Gouverneur, est-ce qu’elle est prise selon des critères économiques ou des raisons politiques et parfois électorales ?
Il y a un fond de raisons économiques puisqu’on demande au gouverneur de la Banque de France de donner son opinion, d’être un peu le chef d’orchestre de la procédure. Mais en réalité la décision finale est inspirée par des considérations politiques et ça, c’est absurde. Le Livret A, c’est un instrument économique, c’est un instrument d’épargne et il devrait suivre les taux d’intérêt de la BCE.
Mais quels que soient les gouvernants, de droite, de gauche, vous proposez et la réponse vient de Bercy, Matignon et souvent de l’Elysée.
Je trouve que cela n’a aucun sens. On a donné la politique monétaire à une banque centrale indépendante qui est la BCE avec l’ensemble du système. On devrait faire la même chose pour le Livret A.
Est-ce qu’on peut changer aujourd'hui la manière de décider du taux du Livret A ?
Oui. Cela devrait être entièrement délégué au Gouverneur de la Banque de France ou alors totalement indexé sur les taux de la BCE, que cela suive la politique monétaire et les gens s’y habitueraient très vite. On saurait que ce n’est pas le gouvernement qui décide, que ce n’est pas sa responsabilité. Quand la BCE monte ses taux ou baisse ses taux, on ne va pas accuser le gouvernement français ou allemand. On considère que ce n’est pas leur responsabilité.
C’est une idée de réforme lancée et elle sera difficile. Lundi, vous passerez vos pouvoirs à votre successeur, François VILLEROY DE GALHAU. Vous lui donnez quoi ? La clef d’une forteresse, d’un coffre ? Est-ce qu’il est vide ou plein, et qu’est-ce qu’il y a dedans ?
Je lui donne d’abord les clefs d’une institution, si j’ose dire, qui se porte bien, qui a un rôle très actif autour de la BCE et qui met en oeuvre la politique monétaire en France. C’est ça le plus important. Bien sûr, je vais lui donner la clef de mon bureau ; accessoirement, on peut dire symboliquement, la clef des réserves d’or de la Banque de France.
Il y en a beaucoup ?
Oui, oui. Il y a deux mille trois cents tonnes à peu près.
Deux mille trois cents tonnes d’or ?
Oui, un peu plus. Et encore beaucoup plus, enfin beaucoup de réserves de change. On a des milliards de dollars et d’autres devises.
On peut être tranquille ?
On peut être tranquille effectivement.
Quelles sont les qualités essentielles pour un gouverneur ? Ce que vous dites à monsieur François VILLEROY DE GALHAU ?
Les qualités essentielles, c’est être indépendant vis-à-vis des politiques mais aussi vis-à-vis des lobbies économiques et financiers. C’est beaucoup de sang-froid et c’est sûrement être au plus près des besoins de la société, de l’économie, pour injecter dans la politique de la BCE ce qu’il faut.
Et il a ces qualités ?
Il a vraiment toutes ces qualités. Je suis très, très content de le voir me succéder.
Vous partez, vous avez beaucoup de secrets. A qui vous allez les transmettre ?
Vous savez, les secrets on les garde en général très peu de temps. Tout est connu de nos jours, donc s’il y a de petites choses à aller dire à quelqu'un, je les dirai à lui. Mais franchement…
Thomas SOTTO : Vous pouvez parler à Jean-Pierre, c’est un homme de confiance.Jean-Pierre ELKABBACH : C’est aujourd'hui.
Aujourd'hui je vous dis tout, mais franchement tout est connu. Les secrets, on les garde deux ou trois jours.
Rapidement, quel est votre message ? Quel est votre message destiné aux citoyens, à nous et aux politiques s’il y en a ?
Le message, c’est plus d’Europe, plus de réformes.
Surtout que l’Europe risque d’être cassée avec la crise… Plus d’Europe vous dites ?
Oui, plus d’Europe. Il faut continuer résolument dans cette voie. Comme disait Che GUEVARA : “Si on n’avance pas, comme une bicyclette on tombeˮ. Non, il faut aussi arrêter le repli sur soi, la tentation du repli sur soi, le déclinisme, les discours défaitistes. Soyons optimistes, allons de l’avant, serrons-nous les coudes et faisons les réformes qu’il faut. Il n’y a aucune raison qu’on ne fasse pas descendre le chômage de 10 à 7 % en quatre, cinq ans si on bosse.
De 10 à 7 % ? On n’est pas condamné aux 7 % de chômage ?
On n’est pas condamné du tout si on va hardiment dans la bonne direction.
Jean-Pierre ELKABBACH : Christian NOYER qui cite Che GUEVARA, c’est quand même un événement.
Thomas SOTTO : C’est pas mal, c’est pas mal.
C’est pour vous, Jean-Pierre ELKABBACH.
Merci Monsieur le gouverneur Christian NOYER. Au revoir et à bientôt.
Merci à vous.