Jean-Pierre ELKABBACH : Peut-on parler de rebond et de reprise avec un chômage qui dépasse la barre des trois millions et demi ? Bonjour Christian NOYER.
Christian NOYER : Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH.
Peut-être que oui, on peut ?
On peut, certainement. Je pense qu’avec les réformes qui ont déjà été faites - et surtout avec celles qu’on peut faire et qu’on doit faire maintenant - on peut retrouver un taux de croissance l’année prochaine qui nous permette enfin de créer plus d’emplois que ce dont on a besoin, donc de faire baisser le chômage.
Vous voulez dire qu’on peut atteindre 1,5 % de croissance comme le croit Manuel VALLS ?
On peut atteindre et dépasser 1,5 % de croissance l’année prochaine, oui, si on fait hardiment les réformes. Donc il faut appliquer ce qu’on a décidé et il faut continuer à en faire, et en faire de façon plus décidée, plus déterminée, plus complète que ce qu’on a mis dans les tuyaux.
Vous dites même dépasser 1,5 et atteindre autour de 2.
On peut être entre 1,5 et 2.
On n’est pas en train de rêver ou de créer des illusions supplémentaires ?
Non. Non, non. Quand on voit les prévisions qui sont faites, toutes les institutions internationales et nous-mêmes à la Banque de France nous pensons qu’on peut dépasser 1,5 l’année prochaine si on fait de façon résolue les réformes, si on applique ce qui a été décidé et si on arrête de créer des complexités supplémentaires pour les entreprises.
Quel est l’intervalle, Monsieur le gouverneur de la Banque de France, entre les signes de reprise et les créations réelles d’emploi ? C’est six ou neuf mois ou jamais ?
Les signes de reprise, on les a maintenant ; la création d’emploi qu’il faut pour faire baisser le chômage, je pense qu’on peut l’avoir dans le courant de l’année 2016. Donc vous voyez, c’est une bonne année d’écart en effet.
Et une bonne année avec les ventes actuelles et futures de Rafale, d’hélicoptères, et cætera… Les industriels de l’armement sont en train de créer des emplois ; ils rapporteront quinze milliards d’euros en 2015 – c’est les prévisions – c'est-à-dire le record absolu. C’est l’effet sans doute de Jean-Yves LE DRIAN. Et il y a un rapport de France Stratégie, un groupe de réflexion qui dépend de Matignon. Ce rapport est remis à François REBSAMEN. D’ici à 2022, il faudra pourvoir huit cent mille postes par an, d’abord grâce aux départs massifs en retraite. Et le rapport dit : “La France pourrait créer entre cent quinze mille et deux cent douze mille emplois par an.ˮ Est-ce que c’est crédible ?
Oui, c’est tout à fait crédible bien sûr. Et ce ne sont pas que des emplois peu qualifiés, ce sont aussi des emplois industriels, des emplois dans des services de haute valeur ajoutée. Franchement, regardez l’aéronautique ; vous citiez les industries de Défense. Il y a des technologies où la France est très bonne et où on peut créer des emplois. Maintenant, il faut évidemment donner les conditions nécessaires pour que les entreprises continuent à être très compétitives non seulement sur le plan technique mais sur le plan des coûts.
Là, j’ai l’impression que vous êtes un peu optimiste ! Mais est-ce que l’économie va créer des emplois et, j’ai envie de vous dire, à partir de quand puisqu’elle le peut ? À partir de quand ? Avant ou après l’élection présidentielle ?
Écoutez, ça ce n’est pas…
Ce n’est pas votre souci.
Oui. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’économie française bien sûr, et ce n’est pas mon rôle de positionner cela par rapport aux échéances politiques. Ce que je veux dire, c’est ce que j’ai dit tout à l'heure : que je pensais qu’on pouvait commencer à créer suffisamment d’emplois pour faire baisser le chômage dès l’année prochaine, mais il faut réformer hardiment. Il ne faut pas se poser des questions sur tous les articles de la loi Macron en essayant de minimiser leur effet ; il faudrait, au contraire, amplifier leur effet. Il faut briser les tabous dans le domaine du marché du travail par exemple. Est-ce qu’on veut vraiment s’attaquer aux rigidités dont on sait qu’elles créent du chômage.
Exemple ?
Exemple : les seuils sociaux. Est-ce que vraiment on veut baisser les bras ?
Exemple encore ?
Exemple : le contrat de travail. Pourquoi est-ce qu’on ne veut pas progresser dans l’unification du contrat de travail ? On sait que les jeunes aujourd'hui n’ont pas facilement de CDI. Ils vont de stage, en CDD, en emploi précaire. Le SMIC : est-ce qu’on veut continuer à avoir quelque chose d’aussi rigide alors qu’on sait que c’est une barrière à l’embauche surtout pour les jeunes non qualifiés ?
Vous recommandez qu’on fasse évoluer le SMIC.
Qu’on revoit les mécanismes d’indexation qui sont trop rigides ; qu’on réfléchisse à la régionalisation ; qu’on réfléchisse à un SMIC plus réduit, temporaire, pour les jeunes non qualifiés pour les aider à entrer sur le marché du travail.
Vous croyez qu’on peut faire ça à deux ans d’une élection présidentielle ?
En tout cas, on le fera plus facilement maintenant qu’on ne le ferait à un an de l’élection présidentielle. Si on veut faire des réformes c’est maintenant, c’est tout de suite, c’est urgent et c’est ça qui permettra d’avoir enfin une baisse du chômage significative en 2016.
Parce que la dernière année avant l’élection présidentielle, on croise les bras ou on fait des promesses, non ?
On sait bien que c’est plus difficile de faire des réformes importantes juste avant une élection, d’autant plus qu’il faut toujours un peu de temps. S’il faut un an entre une réforme et l’effet qu’elle a sur le marché du travail, on ne va pas la faire au dernier moment. Ça, c’est clair.
Au dernier moment, surtout qu’on a envie d’arroser et de promettre en général. La situation internationale souffle dans la bonne direction, on l’a dit, sauf sur la Grèce. Quel reproche vous faites, vous gouverneur de la Banque de France, membre de la BCE, et Mario DRAGHI au gouvernement d’Athènes ?
Le reproche qu’on lui fait, c’est qu’il ne fait pas les réformes de fond. Pourquoi est-ce qu’on a besoin que le gouvernement fasse des réformes pour l’aider ? Parce que l’objectif, ce n’est pas de faire de l’assistanat permanent – ça n’a aucun sens qu’on dise pendant les vingt ou trente ou cinquante prochaines années : “On va faire un chèque à la Grèce pour payer ses fins de moisˮ. Ce que l’on veut, c’est que la Grèce retrouve le chemin de la croissance, de la création d’emploi, du succès économique et pour faire cela, il faut des réformes. Parce que l’économie de la Grèce est complètement non-compétitive, donc la condition du succès, c’est qu’elle fasse des réformes.
Si vous permettez Christian NOYER, vous êtes dans l’état-major de la BCE, vous en faites partie. La BCE a déjà prêté cent dix milliards aux banques grecques. Est-ce que vous allez continuer comme ça à prêter ? Jusqu’à quand ?
Nous ce qu’on fait, c’est qu’on prête pour financer le crédit en Grèce. Normalement, la majeure partie du crédit devrait être financée par des dépôts. Il se trouve que, comme il y a de l’incertitude politique et de l’incertitude économique, il n’y a pas de confiance en Grèce, les capitaux sortent.
C'est-à-dire que vous financez les retraits de dépôt et les fuites de capitaux.
Si vous voulez, on peut le présenter comme ça, et donc ça ne peut pas continuer indéfiniment en effet. Pour nous, c’est très clair : le programme doit être repris et les réformes économiques relancées, sinon il est clair que ça va… De toute façon, on ne prête que contre des actifs.
Si on vous entend, on va essayer de traduire la langue de la Banque de France.
Volontiers.
Vous n’acceptez pas d’être longtemps mené encore en bateau et vous dites : “Y’en a marre.ˮ
De toute façon, nos règles nous amènerons à ne pas pouvoir continuer à augmenter les refinancements assez rapidement.
Comment on dit : “Y’en a marreˮ à la Banque de France ? Dites-le !
Y’en a marre.
Voilà, on l’a obtenu. Les négociations avec Athènes vont peut-être changer. Aléxis TSÍPRAS vient de remanier l’équipe de négociateurs et Yanis VAROUFAKIS, le ministre arrogant, agressif et matamore est mis comme prévu sur la touche. Est-ce que c’est de bon augure ?
Il créait certainement beaucoup de crispation, donc cela peut certainement aider les négociations mais ça ne change rien sur le fond. Sur le fond, il faut que le gouvernement grec et son Premier ministre décident enfin de faire des réformes sérieuses qui permettent de redresser l’économie grecque.
A Paris, Manuel VALLS et Bercy ont adressé à tous les ministères des lettres de cadrage pour économiser 1,6 milliard de plus dans le budget 2016. Je sais bien que le choix des ministères prioritaires est politique, ça ne vous concerne pas directement, mais presque tous crient au tour de vis. Est-ce que le tour de vis est nécessaire ?
Ce qui est clair, c’est qu’on ne peut pas continuer à accumuler de la dette, à vivre avec des déficits importants. Indépendamment des règles européennes, il faut progresser vers le rééquilibrage du budget. On a un niveau de dette qui devient inquiétant et surtout on crée de la dette pour financer les dépenses courantes.
Donc vous voulez dire que plus on sert la vis, plus on donne des chances à la croissance ?
Absolument.
Alors deux questions très rapides. Vous qui savez tout, monsieur NOYER, les LE PEN ont-ils des lingots d’or dans les coffres de la Banque de France ?
Non. Ça, je peux vous dire que non. Nous n’avons de lingots d’or que l’or de la France et l’or de pays étrangers, de Banques centrales qui l’ont déposé chez nous.
Et vous saviez qu’ils avaient des comptes cachés en Suisse, en tout cas Jean-Marie LE PEN ?
Je n’ai aucune information de ce type et ça n’est pas la responsabilité de la Banque de France. Demandez aux services de Bercy.
Christian NOYER, fin octobre vous aurez réalisé une performance : douze ans, deux mandats de gouverneur de la Banque de France. Pour vous succéder, quel est le meilleur profil ?
Écoutez, en dehors des compétences économiques et des compétences de management qu’il faut avoir pour diriger cette institution, je dirais qu’il faut avoir deux qualités essentielles. D’abord être un Européen convaincu parce qu’être gouverneur de la Banque de France, c’est être membre du conseil de la BCE en même temps, et deuxièmement il faut être indépendant, vraiment indépendant, je ne veux pas dire agressif mais indépendant tant du pouvoir politique que des marchés financiers.
Bien. Il y a deux noms qui circulent : Benoit COEURÉ, qui est de la BCE, et François VILLEROY DE GALHAU, qui est ami de Jean-Pierre JOUYET, douze ans à la BNP. Vous avez un favori ? Le favori de Christian NOYER est…
Non. Sur les noms, je vous renvoie au pouvoir politique dont c’est la responsabilité.