Nicolas DEMORAND
Léa SALAME, votre invité ce matin est le Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE.
Léa SALAME
Et bonjour François VILLEROY de GALHAU.
François VILLEROY de GALHAU
Bonjour Léa SALAME.
Léa SALAME
Merci d’être avec nous ce matin. Vous avez entendu Dominique SEUX, inflation qui grimpe, croissance atone, déficit commercial qui explose. Les prévisions économiques pour 2022 ne sont plus au beau fixe, comme on pouvait l’espérer en début d’année. Monsieur le Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE, vous êtes là pour nous donner en exclusivité les chiffres de la conjoncture économique pour le mois de mai. D’abord, comment qualifiez-vous ce matin la situation économique, diriez-vous qu’elle est décevante, qu’elle est inquiétante ou qu’il y a des raisons d’espérer ?
François VILLEROY de GALHAU
Il y a un peu de tout cela. Nous savions depuis février que le choc de la guerre en Ukraine, c’était un choc négatif pour l’économie française, avec moins de croissance, plus d’inflation, et beaucoup plus d’incertitudes. Ce que nous voyons ce matin avec cette enquête qui est faite par les hommes et les femmes de la BANQUE DE FRANCE, auprès d’à peu près 8.500 entrepreneurs, c’est que les incertitudes commencent à diminuer. Et donc j’apporte une photographie plus précise. Pour le dire en un mot, je crois que l’activité et l’emploi résistent, mais que l’inflation augmente fortement, et c’est d’ailleurs la préoccupation numéro un des Français.
Léa SALAME
On va en parler, mais vous dites, moins d’incertitudes, il y a deux, trois mois, vous étiez un peu dans le brouillard, tous, c’est-à-dire de voir les conséquences…
François VILLEROY de GALHAU
Il reste, soyons clairs, beaucoup d’incertitudes, et ce n’est pas facile pour les chefs d’entreprise, les patrons de PME, de s’adapter à cet environnement, en particulier à leurs difficultés d’approvisionnement, qui sont très réelles. Mais sur l’activité, il y a une certaine résilience de l’économie française, ce qui fait que nous avons d’ailleurs une prévision pour le deuxième trimestre de croissance, qui est modérée, mais positive, à plus 0,2 %.
Léa SALAME
Ce n’est pas brillant…
François VILLEROY de GALHAU
Ce n’est pas brillant, mais après un choc comme celui-ci, c’est résilient.
Léa SALAME
On était à 0 % au premier trimestre, là, on est à 0,2…
François VILLEROY de GALHAU
C’est intéressant de regarder, parce qu’il y a des grosses différences entre secteurs, et d’une certaine façon, c’est l’inverse du Covid, c’est-à-dire que les secteurs qui souffraient le plus, souvenez-vous, les services et le tourisme repartent bien aujourd’hui.
Léa SALAME
Aujourd’hui, les touristes reviennent en France…
François VILLEROY de GALHAU
Exactement, avec la levée des restrictions sanitaires. Si on regarde dans l’industrie, l’aéronautique, qui avait beaucoup souffert, il y a deux ans, aujourd’hui, se redresse plutôt bien. A l’inverse, des secteurs, comme l’automobile, la chimie ou l’industrie agroalimentaire souffrent beaucoup des difficultés d’approvisionnement.
Léa SALAME
Les prévisions initiales de croissance pour l'année 2022 du gouvernement, de la BANQUE DE FRANCE, de l'INSEE, étaient très optimistes au début de l'année, vous espériez 4 % de croissance cette année, finalement, avec ces difficultés d'approvisionnement, avec la guerre en Ukraine, aujourd'hui, vous misez, vous tablez sur combien pour 2022 ?
François VILLEROY de GALHAU
Nous avions dit au mois de mars qu’il y avait notamment un scénario à 2,8, qui restait une croissance positive, mais nous actualiserons tout cela le 21 juin.
Léa SALAME
Mais donnez-nous une tendance, est-ce que de toutes les manières, ce sera moins que 2,8 ?
François VILLEROY de GALHAU
Je ne sais pas le dire aujourd'hui.
Léa SALAME
Vraiment ?
François VILLEROY de GALHAU
On a donc, je vous dis, une croissance modérée, mais positive, et en face de cela un problème qui est aujourd'hui le souci numéro un des entrepreneurs, et le souci numéro un des Français, c'est l'inflation.
Léa SALAME
Alors justement, croissance atone, plus grosse inflation, en général, on appelle ça la stagflation, est-ce qu’on y est ?
François VILLEROY de GALHAU
J'ai dit croissance modérée et pas croissance atone, elle reste positive. Qu'est-ce qui se passe sur l'inflation ? Il y a des grosses difficultés d'approvisionnement dans l'industrie et dans le bâtiment : les deux tiers des entreprises de l'industrie et la moitié des entreprises du bâtiment nous rapportent des difficultés d'approvisionnement, c'est sans précédent, et du coup, plus de la moitié de ces entreprises ont passé des hausses de prix au moins d'avril. Le fait d'avoir plus de la moitié des entreprises de l’industrie et du bâtiment qui augmentent leurs prix en un seul mois, c'est très rare. Les Français le voient, le résultat, c’est une inflation qui est autour de 5 %. Et ils le sentent dans leurs achats, et ce n'est pas seulement les prix à la pompe, c'est aussi l'alimentation, un certain nombre de biens…
Léa SALAME
Les prix alimentaires devraient dépasser les 6 % cet été.
François VILLEROY de GALHAU
On verra exactement… je crois qu'il faut être assez prudent sur les prévisions à court terme, parce qu'il y a des aléas. Mais ce qui est sûr, c'est que c’est plus difficile pour les familles plus défavorisées, c'est plus difficile, Dominique SEUX le disait tout à l’heure, pour ceux qui roulent beaucoup et qui habitent en milieu rural.
Léa SALAME
Mais est-ce que ça va continuer à monter en 2022 ?
François VILLEROY de GALHAU
C'est là-dessus que je veux essayer d'être précis, sur combien de temps va durer cette inflation plus élevée, et surtout, comment on combat l'inflation, parce que c'est notre responsabilité à nous, banque centrale. Quand on regarde devant nous, cette inflation élevée devrait durer encore cette année et commencer à baisser au début de l'année prochaine, en fonction des prix de l'énergie. Il faut évidemment aller au-delà de ce choc. Ce qui est très important, c'est que l'inflation devrait revenir autour de 2 %, qui est son bon niveau, d'ici 2024, dans les deux ans qui viennent.
Léa SALAME
C'est ça l'objectif, 2 % en 2024…
François VILLEROY de GALHAU
Je veux être tout à fait précis là-dessus, parce que c'est évidemment très important pour ceux qui nous écoutent : c'est leur priorité numéro un, et puis, je comprends qu'ils peuvent avoir un peu des doutes en disant, mais ces 2 % d'ici 2024, est-ce que c'est vrai ?
Léa SALAME
C’est ce que j’allais vous dire, c’est la phrase, vous connaissez la phrase de l‘ancien gouverneur de la Bundesbank dans les années 80, l'inflation, c'est comme le dentifrice, une fois sortie du tube, il est presque impossible de l’y faire rentrer, alors comment pouvez-vous nous assurer aujourd'hui que vous allez revenir à 2 % d’inflation en 2024 ?
François VILLEROY de GALHAU
On n'est pas dans la sortie du tube, mais on a des signes d'alerte. Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas seulement notre prévision, c'est notre engagement, avec Christine LAGARDE et la Banque centrale européenne. Cela passe par des réglages qui sont très fins, assez complexes, c’est ce qu'on appelle la politique monétaire, mais, qui visent à faire baisser l'inflation sans trop pénaliser l'activité. Qu'est-ce que ça veut dire dans la période qui vient ? L'argent va être un peu moins facile ; les taux d'intérêt vont monter mais très progressivement. Ils sont exceptionnellement favorables aujourd'hui, ils vont rester favorables. Mais la Banque centrale européenne, la BANQUE DE FRANCE, feront ce qu'il faut, ça, je veux le dire avec beaucoup de force, pour ramener l'inflation autour de 2 % dans les deux ans qui viennent.
Léa SALAME
Mais pardon, la FED américaine s’est montrée plus agressive que prévu la semaine dernière puisqu’elle a annoncé une hausse de ses taux directeurs d’un demi-point, ce qu’elle n’avait pas fait depuis l’an 2000, la Bank of England aussi, qu’est-ce qu’elle attend la Banque centrale européenne, il n’y a pas d’urgence ?
François VILLEROY de GALHAU
Il faut bien dire, Léa SALAME, c’est pour une raison qui est favorable à l’Europe, c’est parce que l’inflation est nettement plus élevée aux Etats-Unis, notamment l’inflation hors énergie. Mais, ce que je veux dire ce matin c’est que nous avons le devoir d’agir -parce que c’est notre mission-, nous en avons la volonté, -je crois que je suis très clair-, et puis nous en avons la capacité. Il y a des moyens efficaces de lutter contre l’inflation, nous allons les utiliser. On a un peu oublié des épisodes d’inflation plus forte, mais il y a des précédents : si je regarde dans la zone euro c’est ce qui s’est passé après 2005 ; si je regarde plus loin de nous, aux Etats-Unis, il y a eu un épisode réussi dans les années 90, encore une fois sans rentrer dans le détail de la technique. Mais nous avons la volonté et la capacité.
Léa SALAME
C’est technique, mais en même temps les gens comprennent parfaitement, dans les prochaines semaines vous allez relever d’un quart de point le taux de la Banque centrale européenne.
François VILLEROY de GALHAU
Je ne vais pas me prononcer sur le calendrier, disons qu’à partir de l’été je pense que la Banque centrale européenne relèvera progressivement ses taux d’intérêt.
Léa SALAME
Pardon, mais c’est vrai que les mots restent, comment expliquez-vous que vous avez tous expliqué, ces derniers mois, que l’inflation ne serait pas durable ? Christine LAGARDE, à ce micro, en janvier dernier, disait « l’inflation va se stabiliser et baisser graduellement au cours de 2022. » Vous reconnaissez une erreur ?
François VILLEROY de GALHAU
Léa SALAME, entrer janvier et aujourd’hui il s’est passé un choc majeur qui est l’invasion de l’Ukraine. Cela, objectivement, personne ne l’avait prévu, y compris les prévisionnistes privés, y compris les organisations internationales, ce n’est pas seulement les banques centrales. Nous vivons dans un monde extrêmement incertain, je crois qu’il faut s’adapter, trouver le bon réglage de cette fameuse politique monétaire, pour faire baisser l’inflation sans trop pénaliser l’activité. C’est notre métier, et notre responsabilité.
Léa SALAME
Mais vous reconnaissez que vous avez collectivement mal vu les choses ?
François VILLEROY de GALHAU
Mais, personne n’a vu venir la guerre en Ukraine et ses effets, encore une fois, nous tous autour de cette table ce matin.
Léa SALAME
Vous avez raison, mais ce n’est pas seulement la guerre en Ukraine, c’est les difficultés d’approvisionnement aussi.
François VILLEROY de GALHAU
Les difficultés d’approvisionnement existaient à l’automne dernier et elles étaient en train de se résorber progressivement au début de l’année, ce que nous disaient dans la même enquête les chefs d’entreprise. Là-dessus arrive la guerre en Ukraine, qui évidemment fait repartir ces difficultés.
Léa SALAME
Avec la montée des taux qui arrivent, vous nous l’avez annoncé, on ne pourra dire la dette on s’en fiche, l’argent est gratuit, continuons à emprunter à taux zéro, à taux négatif, ça c’est fini. Quelle conséquence pour un pays comme la France qui est endetté à 110 %, ça veut dire que le « quoi qu’il en coûte » c’est terminé, vous le dites clairement ce matin ?
François VILLEROY de GALHAU
Le « quoi qu’il en coûte » c’était terminé depuis un moment, parce qu’il était justifié par ce choc très brutal qu’a été le Covid. Il n’est plus justifié par le retour à des circonstances plus normales, il faut des mesures plus ciblées face à la hausse des prix de l’énergie. C’est effectivement mon devoir de rappeler que l’illusion d’une dette qui est sans limite, et sans coût, c’est une illusion très séduisante, mais très dangereuse. Il y a donc des choix de priorités à faire en termes de dépenses. Il n’appartient pas à la BANQUE DE FRANCE de les faire, cela relève du débat démocratique, mais ces choix sont possibles, nous pouvons à la fois financer un certain nombre de dépenses nouvelles…
Léa SALAME
La transition écologique.
François VILLEROY de GALHAU
Dont la transition écologique, et puis essayer d’être plus efficaces sur les dépenses publiques. Mais globalement il faut dire qu’aujourd’hui « s’offrir » plus de dépenses ou moins d’impôts, cela veut dire plus de dette, plus de charges d’intérêts et donc moins de marge de manœuvre pour l’avenir.
Léa SALAME
Dernière question. Vous prévoyez le déficit public à combien cette année ?
François VILLEROY de GALHAU
Alors là aussi je vous renvoie…
Léa SALAME
A juin.
François VILLEROY de GALHAU
A nos prévisions du mois de juin, et cela dépendra de la croissance. Dans ce monde incertain dont vous parliez, ce n’est pas la peine de faire une nouvelle prévision toutes les semaines. Mais évidemment le fait qu’il y ait moins de croissance est un défi pour nos finances publiques et les choix vont être difficiles ; heureusement nous avons la démocratie pour les trancher.
Léa SALAME
Merci François VILLEROY de GALHAU d’avoir été avec nous, belle journée à vous.
François VILLEROY de GALHAU
Merci.