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France Inter : « L’inflation va redescendre sous 2% d’ici fin 2022 »

On n'arrête pas l'éco (France Inter)

9 octobre 2021

Invité : François VILLEROY de GALHAU, Gouverneur de la Banque de France

 

Alexandra BENSAID

Notre invité vient de s'installer dans le studio 521, c'est le gouverneur de la Banque de France, François VILLEROY de GALHAU. Bonjour à vous.

François VILLEROY de GALHAU

Bonjour Alexandra BENSAID.

Alexandra BENSAID

Gouverneur pour sans doute deux mandats puisque celui-ci arrive à échéance fin octobre. Cette semaine, on a appris que l'Elysée souhaite vous reconduire dans vos fonctions pour les six prochaines années. Une mission que vous acceptez comme dirait James BOND ? Et quelle sera le défi d'ici 2027 ? Questions sérieuses.

François VILLEROY de GALHAU

Merci beaucoup de me comparer à James BOND, mais c'est une proposition du président de la République. Elle est maintenant soumise au Parlement. Donc je serai auditionné le 20 octobre et, si vous voulez bien, je réserverai mes commentaires pour le Parlement. C'est le fonctionnement normal de notre démocratie.

Alexandra BENSAID

Alors si vous voulez bien, on va parler de l'actualité si vous voulez qu'on ne parle pas de ce prochain mandat éventuel. L’actualité ce matin, c'est cet accord pour la taxation mondiale des multinationales avec un taux minimum à 15 %. Vous qui avez ce regard sur la planète finance, est-ce que ça va vraiment changer la vie des Etats qui ont besoin d'argent et des citoyens ? Est-ce que c'est historique ?

François VILLEROY de GALHAU

Je crois que c'est une très bonne chose. Souvenez-vous, cela fait des décennies qu'on se plaint des distorsions de concurrence, de la course vers le bas de la part de certains Etats, souvent des petits pays d'ailleurs, qui offrent un refuge commode pour les multinationales. Donc l'idée qu'on va taxer à 15 % au moins, c'est un facteur d'égalité fiscale dans le monde. Maintenant le diable est dans les détails. Il y a énormément de travail devant nous, et puis il va falloir que cet accord soit ratifié dans chacun des pays, y compris aux Etats-Unis. On parlait à l'instant des discussions très difficiles aux Etats-Unis sur le plafond de la dette: c'est un problème qu’heureusement nous n'avons pas en Europe. Mais faire passer cet accord au Congrès américain va supposer un gros travail. Il faut souhaiter que cela avance, c'est un élément d'égalité de concurrence économique et fiscale dans le monde.

Alexandra BENSAID

Donc pas la fin du chemin mais le bon chemin.

François VILLEROY de GALHAU

Oui.

Alexandra BENSAID

François VILLEROY de GALHAU, ce matin on va parler ensemble si vous voulez bien de l'inflation qui est largement nourrie par la flambée des prix de l'énergie. C'est un choc que doivent encaisser les entreprises. On va y revenir en longueur, mais d'abord on écoute ensemble le reportage de Marion FERRERE. (…)

- Le gouverneur de la Banque de France est notre invité ce matin. François VILLEROY de GALHAU, on a écouté ce reportage ensemble. On entend par exemple que le prix de l'eau va augmenter dans certains endroits à cause de la flambée de l'énergie. Il y a aussi la hausse des matières premières. Alors cette inflation, on a entendu ces derniers mois : ˝ c'est temporaire ˝, mais là est-ce qu'on n’est en train de se rendre compte que le temporaire va durer plus que prévu ?

François VILLEROY de GALHAU

Ce sujet est évidemment très présent dans notre débat  public, et dans la vie des Français et des industriels. Je crois qu’il faut à la fois y être vigilant et garder la tête froide. Il faut être vigilant parce qu’incontestablement les prix de l'énergie ou de l'essence sont très sensibles dans notre portefeuille. Je rappelle juste que l'énergie représente un peu moins de 10 % de notre panier de consommation, mais c'est évidemment très sensible d'autant que c’est très humain : chacun ressent plus les prix qui montent que les prix qui ne bougent pas ou qui baissent. Il y a donc une perception très forte de cette inflation. Puis pour les industriels, vous parliez des matières premières, je rencontre beaucoup d'industriels. J'étais hier à Orléans, j'étais jeudi à l'événement BIG organisé par Bpifrance, ils m'en ont parlé. 

Alexandra BENSAID

Ils ne parlent que de cela et ils disent : ˝ ça va durer. ˝

François VILLEROY de GALHAU

Ils ne parlent pas tout à fait que de cela: ils parlent aussi d'une reprise qui est forte heureusement. Mais il faut garder la tête froide en même temps pour plusieurs raisons. D'abord parce que c'est un phénomène qui est largement lié à la reprise elle-même qui est très forte: c'est un phénomène habituel en période de reprise quand on regarde l’histoire économique. Comme la reprise est plus forte cette fois , cette poussée inflationniste est plus forte. Ensuite c'est un phénomène qui devrait rester temporaire, je voudrais expliquer pourquoi, et c’est un phénomène qui est focalisé sur l'énergie et sur certains biens et produits.

Alexandra BENSAID

Alors temporaire, dites-nous. Jusqu’à quand ?

François VILLEROY de GALHAU

Il faut bien comprendre ce qui s'est passé les dix-huit derniers mois, parce qu'on sort d'une période économique évidemment très exceptionnelle. Rappelons- nous il y a 18 mois, on craignait la chute libre de l'activité et des prix, ce qu'on appelle la déflation qui est une maladie économique très grave. Grâce aux politiques économiques qui ont été menées et aux politiques monétaires, on a pu arrêter la chute et on a même un fort rebond aujourd'hui, et on le voit aussi dans les prix. Mais si on regarde sur deux ans, Alexandra BENSAID, c'est-à-dire depuis septembre 2019 - en lissant donc cette chute et ce rebond - les prix n’évoluent que de 1,5 % en rythme annuel en zone euro. C’est même un peu moins en France, 1,4. Ensuite il faut regarder plus précisément ce qui se passe sur l'énergie et ces fameuses matières premières sur lesquelles il y a des tensions. Le cycle économique amplifie toujours  les prix pour l'énergie. On le disait dans le reportage : le gaz était à un plus bas historique au printemps 2020. Il y avait même eu un moment, c'était aberrant, où le prix du pétrole était à 0 ! Aujourd'hui il y a une remontée très forte, mais d’expérience ces phénomènes sont toujours une bosse passagère. Les industriels observent d'ailleurs, j'ai discuté avec eux, certaines matières premières sur lesquelles les prix ont recommencé à baisser….

Alexandra BENSAID

Absolument.

François VILLEROY de GALHAU

…C'est-à-dire que les tensions ont diminué. C'est le bois ou certains métaux. Il y a encore des problèmes sur le plastique ou sur les semi-conducteurs.

Alexandra BENSAID

François VILLEROY de GALHAU, ce que vous êtes en train de nous dire c'est que nous avons un phénomène d'inflation. On va être pendant les mois qui viennent à plus de 2 % d’inflation, c'est ça ? Il faut donner une idée aux Français de ce qui les attend jusqu’en 2022.

François VILLEROY de GALHAU

Je vais vous expliquer ce qui fonde pour nous cette prévision qui est d'ailleurs, je le note, la prévision de tous. Ce n’est pas seulement la prévision de la Banque de France ou de la Banque centrale européenne….

Alexandra BENSAID

Ça va durer combien de temps ?

François VILLEROY de GALHAU

…Tous les organismes internationaux aussi..  L'inflation va connaître un point haut dans les mois qui viennent mais va ensuite baisser.

Alexandra BENSAID

À combien ?

François VILLEROY de GALHAU

Je vais être précis : l’inflation va redescendre sous 2 % en rythme annuel d'ici la fin de l'année prochaine. Je voudrais appeler votre attention sur un point important. J'ai dit que l'énergie c'était très sensible. mais c'est  moins de 10 %. Le poste le plus important de notre consommation, la base, ce sont  les services qui représentent près de 50 % du panier de consommation. Et ceux-là connaissent une hausse beaucoup plus modérée, à 1,7 %. Pensez aux loyers, aux aides à domicile, enfin à tous les services que nous consommons, ils ne bougent pas beaucoup.

Alexandra BENSAID

Donc ça n'est pas le début d'une spirale, c'est ça que vous êtes en train de dire.

François VILLEROY de GALHAU

Je crois que ce n'est pas le début d’une spirale- même si nous sommes très vigilants-, pour ces deux raisons-là: le socle de notre consommation, lui, est sage; et que ce qui pousse fort - c'est vrai  -devrait être temporaire.

Alexandra BENSAID

Alors nous, nous sommes à 2 %, un peu au-dessus dans les mois qui viennent. En Allemagne, ils sont déjà au-dessus de %. Vous êtes au conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, certains aimeraient que la BCE elle calme un peu l'ébullition. On voit que dans certains pays, aux Etats-Unis, en Norvège, en Nouvelle-Zélande, les taux d'intérêt commencent à remonter. Est-ce que c'est le moment de faire remonter les taux d'intérêt en Europe ?

François VILLEROY de GALHAU

Au Conseil des gouverneurs, nous regardons  l'inflation moyenne de la zone euro. Il se trouve que l'Allemagne est un peu au-dessus, la France est un peu en dessous, il y a d'autres pays avec des dispersions encore plus fortes; mais nous regardons toujours l'intérêt commun européen. Et il y a deux erreurs qu'on pourrait faire en politique monétaire. La première, ce serait de surréagir à des variations temporaires. Si on resserre face à ce qui est simplement une bosse, alors on risque de casser la forte reprise en cours. Ce point est très important : une bosse même si elle haute, ne fait pas une tendance longue. Nous regardons la tendance longue et nous garantissons aux Français, aux Européens qu'on sera autour de 2 %. C'est cela qui préserve la valeur de la monnaie. L'erreur de sens inverse, ce serait de ne pas réagir s’il devait y avoir une spirale inflationniste durable. Mais objectivement, on n'en est pas du tout là aujourd'hui: le risque de la première erreur est plus important que celui de la deuxième erreur.

Alexandra BENSAID

François VILLEROY de GALHAU, on a vu le SMIC qui est corrélé à l'inflation augmenter mécaniquement. Est-ce que le taux du Livret À, je sais que c'est en février, mais mécaniquement avec vos prévisions il va augmenter ? On est à 0,5 aujourd'hui.

François VILLEROY de GALHAU

La Banque de France ne fera les calculs qu’au mois de janvier au vu de l'inflation  en décembre. Il serait donc prématuré de vous répondre. Je rappelle juste qu'il y a aujourd'hui deux formules différentes pour le Livret A, et pour un produit dont on ne parle pas assez qui est le livret d'épargne populaire , le LEP, dont je souhaite vraiment qu'il soit développé. Il y a quinze millions de Français qui pourraient  profiter du LEP mais il y en a juste la moitié qui y ont accès . Or le LEP est lui totalement protégé de l'inflation.

Alexandra BENSAID

Une question sur le chômage parce que l’étude qui disait que le taux de chômage 2021, ça serait au-dessus de 11 %, c'est celle de la Banque de France.

François VILLEROY de GALHAU

…Pas seulement.

Alexandra BENSAID

Alors écoutez, moi c'est celle que j'ai citée. C’était en juin 2020 et puis là, l'INSEE nous dit qu'on va descendre à 7,6 au troisième trimestre. Qu'est-ce qui explique un tel écart ?

François VILLEROY de GALHAU

Tout le monde a effectivement eu une bonne surprise le chômage parce que l'activité partielle a très bien fonctionné. Les entreprises ont gardé leurs liens avec leurs salariés, elles n'ont pas fait de licenciements et c'est bien. Par contre, elles ont réduit le nombre d'heures travaillées. Donc cela n’apparaît pas dans le taux de chômage, mais dans les chiffres de l'activité partielle. Maintenant, il reste un autre grand défi dans la reprise forte qu'on connaît, ce sont les difficultés de recrutement. En France, la moitié des entreprises nous disent avoir des difficultés de recrutement alors que nous avons encore un taux de chômage à 8 %, beaucoup trop élevé. Donc il n’y a pas de défi plus grand, et il n'y a pas de réforme plus nécessaire que de pouvoir augmenter l’offre de travail disponible pour les entreprises. C'est un paradoxe socialement inacceptable d'avoir des difficultés de recrutement alors qu'il y a deux millions et demi de chômeurs, dont des centaines de milliers de jeunes; et puis c'est le frein numéro un à la croissance économique en France.

Alexandra BENSAID

François VILLEROY de GALHAU, le gouverneur de la Banque de France, merci d'avoir accepté l'invitation d’˝On n'arrête pas l'éco˝.

François VILLEROY de GALHAU

Merci.

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  • Publié le 11/10/2021
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