Marc FAUVELLE
Bonjour François VILLEROY de GALHAU.
François VILLEROY de GALHAU
Bonjour Marc FAUVELLE.
Marc FAUVELLE
On va parler dans un instant des nuages qui approchent au-dessus de l’économie française et de l’économie mondiale avec notamment la flambée des prix de l’énergie. D’abord la reprise économique après un an et demi de montagnes russes, de yoyos, de crise sanitaire, est-ce que l’économie française aujourd’hui a entièrement redémarré ?
François VILLEROY de GALHAU
Les derniers chiffres que nous suivons confirment une reprise forte de l’économie française. Nous venons d’abord de publier ce que nous disent les consommateurs, l’enquête du commerce de détail : elle montre sur le mois de septembre une hausse de 3%, et on a retrouvé les niveaux historiques d’achat. Et puis nous interrogeons de l’autre côté les entreprises sur leur niveau d'activité, 8 500 entreprises. Nous avons publié cela la semaine dernière et on est presque revenu à 100% d'activité, c'est-à-dire le niveau pré Covid. On est à 99,75 dans leurs estimations pour le mois d'octobre. Tous les secteurs vont bien avec deux points d'attention, on va en reparler, ce sont les difficultés d'approvisionnement et les difficultés de recrutement ; mais sur les difficultés d'approvisionnement, il y a un seul secteur industriel qui ralentit aujourd'hui à cause de cela, c'est le secteur automobile.
Marc FAUVELLE
Qui souffre beaucoup ?
François VILLEROY de GALHAU
Qui souffre, lui, avec une utilisation partielle des capacités de production. Partout ailleurs, il y a des difficultés d'approvisionnement, dans l'industrie et le bâtiment mais qui ne pèsent pas sur l'activité.
Salhia BRAKHLIA
Le gouvernement a prévu une croissance de 6,25% pour 2021, vous êtes aussi optimiste que lui ?
François VILLEROY de GALHAU
D'abord, les prévisions de la Banque de France sont totalement indépendantes du gouvernement et je souligne beaucoup cette indépendance. C'est une force de la Banque de France. Il se trouve que nous avions publié avant des prévisions de croissance qui étaient de 6,3% pour cette année…
Marc FAUVELLE
Là encore, on est dans un écart assez minime.
François VILLEROY de GALHAU
…et de 3,7% pour l'an prochain. Je le dis ce matin au vu des chiffres que je viens de citer : nous confirmons cette prévision de croissance.
Marc FAUVELLE
Est-ce que la France s'en sort mieux ou moins bien que ses voisins en Europe ?
François VILLEROY de GALHAU
La France a un peu plus souffert que ses voisins européens du premier confinement, vous vous souvenez, au printemps 2020.
Marc FAUVELLE
Je crois qu’on ne l’a pas oublié !
Salhia BRAKHLIA
On s’en rappelle !
François VILLEROY de GALHAU
Depuis, la France rattrape plutôt mieux que ses voisins européens. Donc quand vous regardez sur la photo finish aujourd'hui, tout le monde est à peu près sur la même ligne,...
Marc FAUVELLE
Donc au final, on ne s’est pas fait décrocher par nos voisins ?
François VILLEROY de GALHAU
On ne s’est pas fait décrocher. Cela veut dire qu'en France comme en zone euro, c'est important, nous aurons rattrapé le niveau d'activité pré Covid d'ici la fin de l'année, c'est-à-dire un peu plus tôt que ce qu'on imaginait il y a encore quelques mois.
Salhia BRAKHLIA
Alors quels sont les nuages qui peuvent apparaître sur notre économie ? Vous l’avez un peu évoqué tout à l'heure, le principal nuage qui peut gâcher ce ciel bleu ?
François VILLEROY de GALHAU
Il y a deux alertes ou clignotants que nous suivons avec attention. Celle dont tout le monde parle, ce sont les difficultés d'approvisionnement et la montée des cours des matières premières et de l'énergie. Pour des raisons sur lesquelles on va revenir, nous y sommes très attentifs mais nous avons toutes les raisons de penser que cette alerte est temporaire. Ensuite, il y a un autre problème que nous retrouvons malheureusement parce que souvenez-vous, c'était le problème de l'économie française avant le Covid, ce sont les difficultés de recrutement. C’est probablement ce qu’il faut que nous soignions activement dans la durée. Nous avons plus de la moitié des entreprises (53%) qui nous disent qu'elles ont des difficultés de recrutement, alors que nous gardons malheureusement un chômage trop élevé. Le fait d'avoir les deux à la fois, c'est un paradoxe socialement et économiquement inacceptable !
Salhia BRAKHLIA
Et comment vous expliquez ça ?
François VILLEROY de GALHAU
Il y a plusieurs causes malheureusement, à ce qui est le frein numéro 1 de l'économie française, il faut développer la formation, c’est souvent un problème de qualification. Il faut développer l’attractivité du travail : dans certains secteurs, il faut augmenter les salaires et il y a la question de la réforme de l’assurance chômage. Et enfin il faut développer l'emploi des jeunes et des seniors, qui l’est beaucoup moins que dans les pays voisins. Il y a donc une boîte à outils, et on connaît les différents instruments ; si j'ai un souhait, c'est qu'on additionne ces différents instruments pour résoudre ce qui est le problème numéro 1 dans la durée de l’économie française.
Marc FAUVELLE
Mais en tout cas, les hausses de salaire, ce n’est pas un tabou même à la Banque de France ?
François VILLEROY de GALHAU
Ce n'est pas la Banque de France qui décide du niveau des salaires ; ce sont les employeurs, les secteurs ...
Marc FAUVELLE
Non mais quand vous dites qu’il va falloir les augmenter sans doute pour rendre attractifs à nouveau ...
François VILLEROY de GALHAU
...les négociations de branches. Les augmentations de salaires dans certains secteurs peuvent faire partie de la panoplie, ce n’est pas le seul instrument.
Salhia BRAKHLIA
On voit qu'en Allemagne où une coalition est en train de se former il est question d'augmenter le salaire minimum de 9,60 euros aujourd'hui à 12 euros, pourquoi c'est impossible ici ?
François VILLEROY de GALHAU
Il y a un salaire minimum en France, il est d'ailleurs plus élevé qu’en Allemagne !
Salhia BRAKHLIA
Oui mais une telle augmentation !
Marc FAUVELLE
Il n’a pas augmenté de 25% !
Salhia BRAKHLIA
Oui mais une telle augmentation !
François VILLEROY de GALHAU
L'Allemagne a un phénomène de rattrapage. Je vous rappelle que d’ailleurs jusqu’à il y a quelques années l'Allemagne n'avait même pas de salaire minimum. Donc il a été introduit à un niveau bas et puis il va être augmenté probablement dans l'accord de coalition mais, encore une fois, la situation française est plus favorable.
Marc FAUVELLE
Vous voyez sans doute ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis avec une traînée de poudre de grève dans tout le pays, il y a en ce moment 100 000 personnes en grève, ce qui est assez rare dans l'économie américaine. Est-ce que vous pensez que ça pourrait arriver en France ? Grève sur les salaires, je précise aux Etats-Unis aujourd'hui où de très nombreux secteurs, les supermarchés, tous ceux qu'on avait appelés les premiers de corvée pendant la crise du Covid disent aujourd'hui : maintenant, ça suffit.
François VILLEROY de GALHAU
Il se trouve que j'étais aux Etats-Unis la semaine dernière parce que nous avions les premières réunions internationales après deux ans de crise Covid. On voit effectivement dans certaines entreprises, on citait beaucoup la semaine dernière l’exemple de John DEERE, le fabricant de tracteurs, des mouvements de grève avec des demandes d'augmentation de salaires fortes. Là aussi cela dépend des différents employeurs. Les Etats-Unis ont une situation très différente de la nôtre, eux sont au plein emploi. Encore une fois, le paradoxe de la France, nous sommes à peu près le seul pays dans cette situation…
Marc FAUVELLE
Vous voulez dire, c'est plus facile pour des salariés de demander des hausses de salaire quand il n’y a plus de chômage !
François VILLEROY de GALHAU
Non, mais il y a des difficultés de recrutement plus fortes aux Etats-Unis parce qu'ils sont au plein emploi. La France a à la fois des difficultés de recrutement et un chômage élevé alors que certains de nos voisins qui ont un chômage élevé mais pas de difficultés de recrutement, c'est le cas de l'Italie et de l'Espagne. En sens inverse, il y a beaucoup de pays qui ont des difficultés de recrutement mais qui sont au plein emploi. En France, il faut qu'on soigne ce problème très spécifique.
Salhia BRAKHLIA
Et donc quand le président MACRON dit que les Français ne travaillent pas assez, il a raison de dire ça ?
François VILLEROY de GALHAU
Je ne commente jamais, Salhia BRAKHLIA, les propos de dirigeants politiques. Cela fait partie de l’indépendance de la Banque de France !
Salhia BRAKHLIA
D’après les données que vous avez ?
François VILLEROY de GALHAU
Cela vaut sur les différentes déclarations et nous sommes dans une période préélectorale. Il y a donc beaucoup de déclarations.
Marc FAUVELLE
Est-ce que l’avis de la Banque de France, c’est que les Français travaillent assez ou pas ?
François VILLEROY de GALHAU
L’avis de la Banque de France, c’est que les Français travaillent beaucoup dans l'ensemble y compris, si vous me permettez de le dire, les femmes et les hommes de la Banque de France que je veux saluer à votre micro. Après je redis que notre problème numéro 1, c'est qu'il n’y a pas assez d'offre de travail disponible pour les entreprises. Et c'est très important non seulement par rapport à ces questions immédiates de difficultés de recrutement, mais aussi par rapport à notre trajectoire de croissance. Si vous me permettez une minute Marc FAUVELLE, aujourd'hui, on a une reprise très forte, on a des bons chiffres, très bien. Mais le danger que nous avons à moyen terme, une fois rattrapée la trajectoire pré Covid, c'est qu'on retrouve un niveau de croissance un peu faiblard si vous me permettez l'adjectif, c'est-à-dire autour de 1,25%. Or, nous devons viser 2% par an et cela changerait tout sur le pouvoir d'achat et les revenus, sur la capacité à gérer la dette publique, et pour aller vers le plein emploi. Donc il n’y a pas de réformes, au pluriel, plus urgentes dans notre pays que celles qui augmentent l'offre de travail disponible pour les entreprises.
Le fil info
Marc FAUVELLE
Vous nous disiez il y a quelques instants que la pénurie de matières premières qui touche de nombreux secteurs aujourd'hui, et notamment l'automobile, était pour vous temporaire. Est-ce que la hausse de l'énergie qui touche à la fois les particuliers et les entreprises l'est également temporaire ? Est-ce que pour vous ça va se régler dans les mois qui viennent ?
François VILLEROY de GALHAU
Les Français qui nous écoutent sont évidemment et normalement très sensibles, au prix de l'énergie et de l’essence, nous le sommes tous. Historiquement, c'est souvent associé à des phases de reprise ; il y a un lien entre ce que nous disions tout à l'heure sur la croissance très forte et puis la montée des prix de l'énergie et des matières premières. Historiquement aussi, ces tensions sont toujours temporaires. Cela peut durer un peu plus longtemps quand la reprise est plus forte comme aujourd'hui. C'est au gouvernement de voir s'il faut prendre des mesures face à cette hausse temporaire du prix de l’énergie.
Marc FAUVELLE
Mais c’est du temporaire jusqu'à cet hiver, jusqu'au printemps ou toute l'année prochaine ?
François VILLEROY de GALHAU
Je ne suis pas là pour faire un pronostic exact sur la durée…
Marc FAUVELLE
Parce que la croissance selon les prévisions de la Banque de France, elle est très bonne l’an prochain aussi ?
François VILLEROY de GALHAU
Revenons sur notre prévision d'inflation. Il faut rappeler que nous, nous regardons et nous garantissions l'inflation totale, c'est-à-dire les prix de l'ensemble de ce que nous les Français achètent. Dans cette inflation totale, l'énergie représente un peu moins de 10%, le reste sont les prix alimentaires, les produits manufacturés (les ordinateurs, les automobiles, etc.). Et puis surtout les services que nous achetons, y compris les loyers.
Marc FAUVELLE
Tout ça augmente.
François VILLEROY de GALHAU
Les prix de tout ce reste, les 90%, augmentent de moins de 2% aujourd'hui. Par contre, l'énergie augmente d'environ 15%. Vous voyez, il a une grosse différence entre l'augmentation des prix de l'énergie et l'inflation totale. Pourquoi regardons-nous l'inflation totale ? C'est d'abord celle-là qui compte pour le pouvoir d'achat des Français, et puis c'est celle qui dit si notre économie est à la bonne température. Si l'inflation était durablement au-delà de 2%, c'est un peu comme les 37 degrés de la température du corps, cela veut dire fièvre, surchauffe et il faut que la Banque centrale intervienne ; si en sens inverse, l'inflation était durablement en-dessous de 2%, cela veut dire anémie, une économie qui est un peu en sous-régime. Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? L'inflation totale est un peu supérieure à 2%. Mais je le dis ce matin, clairement, l’inflation totale reviendra sous 2% d'ici la fin de l'an prochain. Et donc aujourd'hui, il n'y a pas de raison par exemple que la Banque centrale européenne augmente ses taux d'intérêt l'an prochain.
Salhia BRAKHLIA
Mais d’ici la fin de l'an prochain, ça veut dire que les ménages français vont quand même souffrir pendant plus d'un an ?
François VILLEROY de GALHAU
Il y a ensuite la question du pouvoir d'achat et là aussi, il y a des inquiétudes très légitimes de nos concitoyens. Nous tous, moi compris, nous voyons beaucoup plus les prix qui montent fortement comme ceux de l'énergie que les prix qui restent sages comme ceux des services ou des produits alimentaires. Mais ce qui détermine le pouvoir d’achat, c’est cette inflation d'ensemble.
Salhia BRAKHLIA
Plus d’un Français sur deux dit que son pouvoir d'achat a diminué pendant le quinquennat de François HOLLANDE, François HOLLANDE ...Emmanuel MACRON. Pardon ! Lapsus !
François VILLEROY de GALHAU
Encore une fois, les Français sont plus sensibles aux prix qui augmentent, donc il y a toujours des inquiétudes sur le pouvoir d’achat, ce n’est pas un point très nouveau aujourd'hui. Ce qui est nouveau, c'est la sensibilité aux prix de l’énergie. Quand on regarde la moyenne du pouvoir d'achat, il a été préservé en 2020, ce qui, honnêtement, était une bonne surprise dans une année de forte récession. Les dispositifs de soutien public ont fonctionné. Et il devrait être préservé en 2021 ; on verra précisément à la fin de l’année !
Marc FAUVELLE
Il y a également la question de l'épargne des Français, vous avez la main, François VILLEROY de GALHAU sur le taux du Livret A qui est aujourd'hui quasiment à son plus bas dans l'Histoire, il est à 0,5% de rémunération, autant dire que quelqu'un qui place ses économies sur son Livret A aujourd'hui se les voit grignoter par l'inflation puisque l'inflation, elle est autour de 2%. Est-ce que vous allez relever ce taux ou pas dans les mois qui viennent ?
François VILLEROY de GALHAU
Je vous précise juste ce qui est prévu par le droit sur la fixation du taux du Livret A. C'est le ministre des Finances qui le détermine deux fois par an…
Marc FAUVELLE
Je vous pose la question parce que quand on a posé la question au ministre des Finances il y a 15 jours, Salhia, 3 semaines, il a dit « c'est le gouverneur de la Banque de France » !
François VILLEROY de GALHAU
Si vous me laissez juste terminer sur la façon dont cela se passe ...
Marc FAUVELLE
Il va falloir se parler !
François VILLEROY de GALHAU
On se parle, mais vous allez voir. Cela se passe deux fois par an au 1er août et au 1er février. Dans le mois qui précède, ce sera au mois de janvier, la Banque de France calcule ce que donne l'application de la formule, qui tient compte pour le Livret A du taux de l'inflation des mois précédents et des taux d'intérêt. Donc nous ferons ce calcul au mois de janvier sur la base des chiffres du mois de décembre. Au-delà du Livret A, je voudrais dire qu'il y a un autre produit d'épargne populaire, c'est le LEP, le Livret d'épargne populaire. Il est lui complètement garanti contre l'inflation et, malheureusement, il n'est pas assez développé, je voudrais le dire ce matin. Il y a 15 millions de Français qui ont droit au LEP et il y en a malheureusement un peu moins de la moitié seulement qui en bénéficient.
Marc FAUVELLE
Si l'inflation devait rester, et vous avez dit que ce sera sans doute le cas, à un tel niveau jusqu'à la fin de l'année prochaine, on va sans doute vers une hausse des taux du Livret A, très clairement ?
François VILLEROY de GALHAU
On verra au mois de janvier ce que donnent les chiffres ; encore une fois, ce n'est pas la peine de tirer des plans sur la comète. Je dis juste que nous sommes très vigilants sur l'inflation et que notre rôle comme Banque centrale – je crois que c'est très important pour les Français –, c'est de garantir que l'inflation totale sur l'ensemble de ce qu'ils achètent restera dans la durée autour de 2%. C'est la confiance dans notre monnaie qui est l'euro et c'est aussi la protection du pouvoir d’achat !
Salhia BRAKHLIA
François VILLEROY de GALHAU la dernière fois que vous êtes venu ici, vous avez dit : la confiance, c'est la clé de la reprise, la clé de la croissance. On devrait atteindre les 170 milliards d'euros épargnés par les Français à la fin de l'année, est-ce que c'est une mauvaise nouvelle pour l'économie française ?
François VILLEROY de GALHAU
C'est la conséquence de ce que nous disions il y a quelques minutes, c'est le fait que le pouvoir d'achat et les revenus ont été en moyenne préservés l'an dernier alors même qu'à cause des restrictions Covid, nous avons tous consommé moins. La différence entre des revenus en moyenne maintenus et une consommation qui baisse, c'est cette épargne supplémentaire. C'est donc une réserve de croissance pour l'économie française dans les années qui viennent.
Marc FAUVELLE
A condition que ça sorte des bas de laine.
François VILLEROY de GALHAU
La clé, cela sera comme vous le disiez la confiance. C'est d'abord la confiance sanitaire, soyons clairs et celle-ci est en train de revenir grâce au succès de la vaccination. Au passage, je le voyais dans ces réunions internationales où j'étais la semaine dernière, l'Europe peut avoir la tête relativement haute : c'est aujourd'hui le continent le mieux vacciné du monde, on ne le dit peut-être pas assez. La confiance sanitaire est donc aujourd'hui bien meilleure en Europe continentale, dont la France, qu’au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, c'est très frappant. Cela peut être des éléments favorables pour l'utilisation de cette épargne. Nous prévoyons, c'est une prévision assez prudente, que dans les deux années qui viennent, les Français consommeront à peu près un quart de cette réserve.
Marc FAUVELLE
Un quart de 170 milliards remis dans l’économie réelle ?
François VILLEROY de GALHAU
Il se trouve qu’on est à un plus de 150 milliards à la mi 2021. 170 milliards, c’est une prévision pour la fin de l'année mais vous voyez que cette réserve est déjà constituée pour l’essentiel.
Marc FAUVELLE
On va parler d'un autre sujet qui intéresse beaucoup les Français c'est l'immobilier dans un instant si vous voulez bien puisque la Banque de France a resserré les vis du crédit il y a quelque temps, ça vous fait sourire quand je dis ça, vous me direz pourquoi. D’abord, le fil info à 8h50 avec Mélanie DELAUNAY.
Fil info
Salhia BRAKHLIA
Toujours avec le Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE, François VILLEROY DE GALHAU. Pour le secteur de l'immobilier, on le disait, vous avez décidé d'un tour de vis dans l'attribution des prêts par les banques, quel était le risque ?
François VILLEROY DE GALHAU
Ce n'est pas un tour de vis, c'est une protection des ménages sur les conditions d'emprunt. C'est quelque chose que nous avons mené, pas moi tout seul, ce qu'on appelle le Haut Conseil de stabilité financière, qui réunit 8 personnes qualifiées, sous la présidence du ministre de l'Économie. Ce que nous constations jusqu'à la fin 2019, c'est qu'il y avait une augmentation constante de la durée des prêts, et ce qu'on appelle le taux d'effort, c'est-à-dire la mensualité rapportée aux revenus. On exposait donc un certain nombre de ménages à un risque de surendettement. Notre objectif n’a pas été du tout de fermer le robinet du crédit ou de rendre le crédit immobilier plus rare…
Salhia BRAKHLIA
Eh bien, c’est la conséquence immédiate !
François VILLEROY DE GALHAU
Non, ce n'est pas du tout la conséquence, vous allez voir.
Salhia BRAKHLIA
Allez-y…
François VILLEROY DE GALHAU
Au contraire, le crédit immobilier croît aujourd'hui à plus de 6 % l'an, donc il reste très dynamique. Mais c'est de rendre le crédit plus sûr, c'est-à-dire d'éviter d'exposer des ménages à des durées trop longues ou à des charges de remboursement trop élevées, parce que là…
Marc FAUVELLE
Avec une conséquence…
François VILLEROY DE GALHAU
… là, on mettrait des ménages en risque de surendettement.
Marc FAUVELLE
Avec une conséquence, c'est que ça exclut de fait des millions…
François VILLEROY DE GALHAU
Non, cela n'a pas exclu, parce que les banques ont adapté leur offre, et un certain nombre de ménages ont mobilisés l'épargne dont vous parliez tout à l'heure. Donc il n’y a jamais eu autant de crédits immobiliers, de nombre de dossiers en France…
Marc FAUVELLE
Mais il n’y a jamais aussi peu de primo-accédants, vous savez, notamment dans les grandes villes…
François VILLEROY DE GALHAU
Non, Marc FAUVELLE, là, il faut vraiment réagir par rapport, si vous me permettez l'expression, à certaines corporations, voire à certains lobbies…
Marc FAUVELLE
Eh bien, ça y est, je vais être le lobby des agents immobiliers ce matin…
François VILLEROY DE GALHAU
Oui, il peut y avoir tel ou tel lobby, que je ne citerai pas. La réalité, c'est que dans les mesures qui ont été prises, il y a une priorité aux primo-accédants justement, il y a une flexibilité qui est prévue…
Salhia BRAKHLIA
Donc il y a des dérogations possibles ?
François VILLEROY DE GALHAU
Il y a une flexibilité qui est prévue, qui est en priorité pour les primo-accédants, et plus largement pour les accédants en général. Donc il n’y a pas eu d'exclusion, mais il y a un crédit immobilier qui est aujourd'hui plus sûr qu'avant, et je crois que c'est une bonne chose. Le crédit reste disponible et est au passage à des taux qui restent très favorables.
Marc FAUVELLE
Puisqu’on parle des banques, il n’y a pas de risque aujourd'hui d'effet domino avec ce qui se passe en Chine où la grande entreprise EVERGRANDE, qui est l’un des leaders mondiaux de l’immobilier, enfin, des leaders chinois, et qui est en faillite…
François VILLEROY DE GALHAU
Vous savez, quand on est banquier central, ce qui est mon métier, on reste très vigilant tout le temps. Donc nous suivons avec attention ce qui se passe en Chine, mais je crois…
Marc FAUVELLE
On avait prononcé le syndrome LEHMAN BROTHERS, soi-disant, ça pourrait être la même chose…
François VILLEROY DE GALHAU
Non, je crois qu’il n’y aura pas de contagion en dehors de Chine. C'est un problème sérieux pour les autorités chinoises, je pense qu'elles le traiteront, il est probable que la principale conséquence sera un certain ralentissement de la croissance chinoise. D'ailleurs, il y a des chiffres qui ont été publiés hier qui le montrent. Dans les discussions que nous avions la semaine dernière, les Chinois étaient malheureusement à distance, ce qui ne facilite pas la discussion, mais c'est un des points à regarder, c'est : est-ce que l'économie chinoise ralentit, ce qui peut avoir d'ailleurs des effets variés sur l'économie mondiale, notamment cela peut ralentir un peu les prix des matières premières.
Marc FAUVELLE
Mais pour être très clair, si cette entreprise chinoise coulait demain matin, il n’y aurait pas de risque de contagion à d'autres secteurs en Europe et en France, notamment, au secteur bancaire ?
François VILLEROY DE GALHAU
Je pense que les autorités chinoises seront actives pour éviter…
Marc FAUVELLE
Les Américains ne l'avaient pas fait au moment de LEHMAN BROTHERS, et on se souvient des conséquences…
François VILLEROY DE GALHAU
Oui, mais l'histoire ne se répète pas, c'est dans un pays différent, et à l'époque, on avait une crise financière mondiale. EVERGRANDE, c'est plutôt un problème chinois, et c'est plutôt un sujet à conséquences économiques qu’à conséquences financières systémiques.
Salhia BRAKHLIA
Vous parliez à l'instant, il y a quelques minutes, du risque de surendettement des ménages français, est-ce que vous avez vu arriver une augmentation des dossiers de surendettement à la BANQUE DE FRANCE ?
François VILLEROY DE GALHAU
Non. Là, les chiffres sont très précis, nous les publions d'ailleurs maintenant chaque mois, avec un baromètre de l'inclusion financière. Il n'y a pas eu, et cela fait partie des bonnes nouvelles de cette sortie de crise, il n’y a pas eu de vague de rattrapage de dossiers de surendettement. On avait vu une forte baisse en 2020, parce que, l'activité s'était un peu arrêtée, mais même aujourd'hui, le nombre de dossiers de surendettement reste inférieur au pré-Covid, à 2019, de 15 %. Donc la BANQUE DE FRANCE est tout à fait engagée pour lutter contre le surendettement, mais nous ne voyons pas de contrecoup de la crise, heureusement.
Marc FAUVELLE
Un accord a finalement été trouvé après des mois, des années de négociations entre 136 pays de l'OCDE, pour taxer les multinationales à 15 % d'ici 2023.
François VILLEROY DE GALHAU
Au moins 15 %.
Marc FAUVELLE
Au moins 15 %. Dans un premier temps, les Etats-Unis avaient dit peut-être 21 %, finalement, c'est le taux minimum qui a été choisi à 15 %, est-ce que vous dites, comme beaucoup, comme certains, c'est un accord un peu petit bras ?
François VILLEROY DE GALHAU
Je pense que c'est un vrai progrès, et Marc FAUVELLE, il faut savoir saluer les progrès quand ils arrivent. Rappelez-vous, cela fait des années qu'on dénonce les distorsions de concurrence sur la taxation des multinationales, parce qu'on parle des multinationales ou des entreprises du digital. Là, l'ensemble des pays de la planète se sont engagés à taxer à au moins 15 %, et certains pays pourront faire plus. Au dernier moment, il y a 10 jours, cet accord a été rejoint par la Chine et l'Inde qui étaient réticents. Cela a supposé un énorme travail, qui n’est pas tout à fait fini, mais quand il y a un vrai progrès de la coopération internationale, il faut le saluer.
Marc FAUVELLE
Vous savez combien il va rapporter chaque année à la France, vous avez fait les comptes ou pas ?
François VILLEROY DE GALHAU
Je n’ai pas le chiffre…
Marc FAUVELLE
On parle de 4 milliards d’euros…
François VILLEROY DE GALHAU
Oui, c'est probablement de l'ordre de quelques milliards d'euros. Mais je crois qu'il ne faut pas tellement juger à cette seule aune. Il faut surtout juger au fait que la concurrence va être plus équitable à l'échelle mondiale, et qu’une entreprise n’ira pas s'installer dans tel ou tel pays simplement pour des raisons fiscales. Il y a une économie internationale, il y a du commerce mondial, mais en face de ça, il faut des règles. Moi, je ne crois pas du tout à un marché sauvage où chaque pays fait ce qu'il veut, et où ce sont les grandes entreprises multinationales qui profitent de cette compétition…
Marc FAUVELLE
Vous pensez vraiment que Mark ZUCKERBERG, depuis 15 jours, fait des cauchemars tous les soirs en se couchant en disant : ah, ça va vraiment me coûter une fortune, ou pas ?
François VILLEROY DE GALHAU
Écoutez, je n’ai pas les confidences de Mark ZUCKERBERG. Mais encore une fois, quand il y a, et c'est permis grâce à la nouvelle administration américaine, quand il y a des progrès de la coopération internationale, il faut les saluer. Il y a un autre sujet dont on a parlé beaucoup la semaine dernière, c'est la lutte contre le changement climatique. On n'y est pas encore, et on aimerait que les Américains aillent plus loin par exemple sur un prix du carbone. Mais je peux vous dire que le changement colossal depuis un an, c'est-à-dire que tous les pays autour de la table, y compris le premier d'entre eux, sont d'accord pour lutter contre le changement climatique ; cela aussi, je crois que c'est ce qui est nécessaire pour le bien-être de nos concitoyens.
Salhia BRAKHLIA
A ce sujet, les six plus grandes banques françaises, BNP Paribas, CREDIT AGRICOLE, CREDIT MUTUEL, SOCIETE GENERALE, BANQUE POSTALE, pour n'en citer que quelques-unes, s'engagent à ne plus financer de nouveaux projets liés aux hydrocarbures à partir de janvier 2022, ça se veut exemplaire ou alors c'est totalement opportuniste de s'engager sur le marché de la transition écologique ?
François VILLEROY DE GALHAU
Là aussi, quand il y a des choses qui se passent dans le bon sens, il faut savoir les saluer. Je ne dis pas nécessairement que c'est suffisant. Mais je peux vous dire que nous, à la BANQUE DE FRANCE et à ce qu'on appelle l’ACPR, qui est le gendarme des banques et des assurances, surveillerons de près l'application effective de ces engagements. La France et l'Europe sont en pointe dans ce domaine, il se trouve que nous avons pris l’initiative de la création d'un réseau mondial pour verdir le système financier, et que nous avons fait les premiers stress tests climatiques. Nous allons continuer à ce que cette expertise de la BANQUE DE FRANCE, de la Banque centrale européenne, serve un peu de leader à l'échelle mondiale. Avec Christine LAGARDE, nous sommes très fortement engagés pour cela. Maintenant, cela ne suffira pas, il faut aussi un prix du carbone. Mais c'est des choses qui vont dans le très bon sens.
Marc FAUVELLE
Et on aura l'occasion d’en reparler dans les jours qui viennent, à l'approche de la COP 26, qui s'ouvrira à la fin du mois, du côté de Glasgow.
François VILLEROY DE GALHAU
Absolument.
Marc FAUVELLE
Merci beaucoup François VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la BANQUE DE FRANCE, invité ce matin de France Info. Merci, bonne journée.
François VILLEROY DE GALHAU
Merci.