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Discours de François Villeroy de Galhau, Le défi d'une gouvernance économique efficace à l'échelle européenne pour contribuer à une communauté internationale prospère - Forum des marchés émergents

Forum des marchés émergents - Paris, 11 avril 2016

Le défi d'une gouvernance économique efficace à l'échelle européenne pour contribuer à une communauté internationale prospère

Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

 
Chers amis, Mesdames et Messieurs,
 

Plaçons-nous dans une perspective à long terme. Ce forum, réuni grâce à Michel Camdessus et à Harinder Kohli, constitue une rare occasion d’évoquer la physionomie de l’économie mondiale et de sa gouvernance à l’horizon de deux générations. Dans un instant, nous débattrons des grandes tendances mondiales et des différents scénarios envisageables. En présence d’un si grand nombre de participants éminents venus des économies de marché émergentes, et de spécialistes du système monétaire international, je souhaiterais m'exprimer aujourd'hui en tant qu'Européen. Il me semble qu’adopter une perspective européenne est tout à fait légitime dans ce forum et ce, pour au moins trois raisons :

  • L'une des grandes tendances de l’économie mondiale est probablement celle de l'intégration régionale : la manière dont elle va influer sur le fragile équilibre entre souveraineté et coopération internationale est une question à laquelle l'Union Européenne réfléchit depuis sa création.
  • Un grand nombre de défis auxquels nous devons faire face à l'échelle mondiale et en termes de coordination se sont présentés au cours du processus d'intégration européenne, et sont toujours au coeur du débat : les effets de bord et les externalités économiques, la stabilité monétaire et l'efficacité de la gouvernance.
  • Une Europe forte particulièrement nécessaire dans un monde multipolaire, pour le rôle d’équilibrage qu’elle peut y jouer. En 2050, le clivage ne sera plus entre économies émergentes et économies avancées, mais entre celles qui étaient préparées et celles qui ne l'étaient pas.

Les idées pour un renforcement de la gouvernance économique européenne ne sont pas nouvelles. En revanche, la mobilisation de ces idées et leur mise en oeuvre se sont révélées délicates : ce sera l'objet principal de mes remarques qui porteront, dans un premier temps, sur les motivations (I) et ensuite sur le rôle concret d'un ministre des Finances de la zone euro (II).

I - POURQUOI NOUS AVONS BESOIN D'UNE INSTITUTION CHARGÉE DE LA « PLEINE COORDINATION » DANS LA ZONE EURO

Nous sommes conscients des fortes résistances politiques au partage des ressources budgétaires et de la souveraineté, ainsi que de l'euroscepticisme. Le triste exemple de la crise des réfugiés illustre le peu de solidarité dont les pays européens ont fait preuve jusqu'à présent pour aboutir à une solution commune. C'est pourquoi nous devons faire valoir des arguments économiques pour promouvoir une gouvernance de la zone euro plus solide : il ne s'agit pas d'une question théologique, ni d'une question uniquement politique. L’enjeu ici, ce n'est pas « plus de Bruxelles », c’est très concrètement plus de croissance et d'emplois en Europe. À l’évidence, la politique monétaire ne peut se substituer ni à la coordination des politiques économiques ni au manque de réformes. Ne serait-ce que pour cette raison, les banquiers centraux doivent prendre part au débat, même si c'est aux dirigeants politiques que revient la décision d’agir. C'est aussi pourquoi nous devons mettre l'accent sur la question de la gouvernance économique de la zone euro. Il ne faut pas avoir peur d’une Europe à plusieurs rythmes. Je suis profondément favorable au maintien du Royaume-Uni dans l'UE ; cela dit, indépendamment du résultat du référendum britannique, la zone euro peut et doit avancer sur la voie de l'intégration.
 
La crise de la zone euro a montré à quel point nous manquions de préparation. La dynamique censée résulter de la pression des pairs et de la discipline de marché n'a pas fonctionné, les marchés n'accordant aucune crédibilité au principe de non-renflouement (no bail-out), et les autorités nationales n'acceptant réellement ni la pression des pairs ni le respect des règles.
 
L'absence de coordination a un vrai coût économique. Il recouvre le coût des crises et des programmes d'aide, et l'impact sur la croissance du respect inégal des règles budgétaires avant la crise ainsi que de la rigidité des règles durant la crise. Plusieurs études font état d’un coût significatif de l'absence de coordination, de l'ordre de 2 à 5 % du PIB depuis la crise.
 
Pour faire avancer le débat, il faut opérer trois choix fondamentaux : Premièrement, progresser en parallèle sur les réformes nationales et la coordination européenne. Il s'agit là de la pierre angulaire de tout accord franco-allemand : pour être juste, tant l’appel français à une plus grande implication de l’Allemagne dans la coordination, que les doutes de l'Allemagne au sujet des réformes françaises étaient et demeurent fondés. Cela nécessite de surmonter la méfiance réciproque et de placer ces deux aspects sous les auspices d’une institution commune.
 
Deuxièmement, nous devons reconnaître que les « institutions avec mandat » sont plus efficaces que les « règles sans institutions ». Pour renforcer la cohérence et la coordination des politiques économiques, il faut reconnaître que nous avons besoin de règles plus simples. Mais elles doivent être complétées par des institutions fortes dotées de pouvoirs discrétionnaires. Mario Draghi a souligné1 la différence fondamentale entre une institution de politique monétaire et des règles budgétaires, ce qu'illustrent les résultats respectifs de la BCE et du PSC.
 
Troisièmement, il y a place pour un niveau intermédiaire d'intégration, illustré par une matrice simple.
 
graphique - matrice de la gouvernance européenne
Je l'appellerai « pleine coordination des politiques économiques nationales », le chaînon actuellement manquant entre intégration complète, du type de celle de la politique monétaire, et la surveillance fondée sur des règles, comme c'est actuellement le cas des politiques budgétaires nationales en Europe, et dont l’efficacité est clairement insuffisante.
 
Il est certain que le niveau le plus élevé d'intégration de politique économique impliquerait en toute logique de construire une véritable union budgétaire et d’achever la réalisation du Marché unique, mais cela nécessiterait sûrement une convergence plus importante ex ante et la résolution de certains héritages du passé. À mon sens, nous devrions ouvrir la porte à un renforcement de l'intégration pour les pays qui sont volontaires et prêts pour ce faire. Néanmoins, le volet le plus urgent de la réforme de l'UEM concerne la mise en place d’une institution forte dirigée par un ministre des Finances de la zone euro afin de coordonner pleinement les politiques budgétaires et structurelles nationales.
 
En termes économiques, elle contribuerait à internaliser les externalités négatives (liées à la moindre demande externe ou aux effets de contagion financière) résultant de chocs économiques asymétriques dans différents pays, ainsi qu'à optimiser les externalités positives entre les politiques budgétaires et structurelles. En termes politiques, elle permettrait de faire de la zone euro plus que la somme de ses parties. Pour reprendre une phrase célèbre de Jean Monnet, « rien ne se crée sans les hommes, mais rien ne dure sans les institutions ». Le mandat de cette institution ayant pouvoir de décision doit être d’atteindre l’objectif d'une croissance plus forte, durable et équilibrée.
 

II - COMMENT DEVONS-NOUS CONCRÈTEMENT DÉFINIR LES MISSIONS D'UN MINISTRE DES FINANCES DE LA ZONE EURO.

 
J'en vois quatre.
Premièrement, le ministre serait chargé de la préparation d'une stratégie collective à l'échelle de la zone euro pour remplir le mandat décrit précédemment. Il sera essentiel que la zone euro s'accorde collectivement sur les objectifs globaux de politique économique et sur le partage des tâches, via la définition d'objectifs de performances individuels pour les États membres. Un tel accord pourrait être obtenu par un processus en deux étapes :
  • Une phase de préparation qui impliquerait d'évaluer : (1) la croissance potentielle, avec un objectif d'accélération quantifié ; (2) l'écart de production de la zone euro ; (3) la situation budgétaire et la position extérieure soutenables pour la zone euro dans son ensemble, ainsi que leur bonne répartition entre les différents pays.
  • Une phase de décision, dans laquelle le ministre des Finances de la zone euro proposerait une stratégie qui consisterait en un objectif commun et, autant que nécessaire, sa déclinaison pour chaque pays en termes de réformes et d'orientation de la politique économique, en gardant bien sûr à l'esprit le principe de subsidiarité. Cette proposition ferait l'objet d’avis formels du Conseil budgétaire et du Conseil de compétitivité et devrait ensuite être adoptée à la majorité simple par l'Eurogroupe puis approuvée par le Parlement européen.
Deuxièmement, le ministre des Finances serait responsable de la surveillance de la mise en oeuvre de la stratégie collective, en utilisant les instruments appropriés pour créer des incitations symétriques. Les incitations négatives comprendraient naturellement l’application effective des mécanismes de sanction existants. Elles pourraient être élargies aux procédures contractuelles déjà proposées dans le cadre de la contribution franco-allemande de 2013 sur l’UEM, ou dans la proposition de la Chancelière allemande2 de « contrats de réforme contraignants », et devraient aussi inclure des incitations positives. L’une d’entre elles serait l’accès à un « fonds de convergence de la zone euro », grâce auquel les États membres bénéficieraient d’un financement commun. De plus, conditionner la participation à la gouvernance économique à la mise en oeuvre conforme des objectifs nationaux serait une incitation forte.

Troisièmement, le ministre des Finances serait responsable de la mise en oeuvre de la gestion de crise centralisée. Le ministre des Finances de la zone euro serait naturellement chargé du contrôle des opérations du Mécanisme européen de stabilité.

Enfin, au fur et à mesure de l'intégration, le ministre pourrait se voir confier la gestion du fonds de convergence de la zone euro, évoluant vers un budget de l’euro. Nous abordons ici la question d’une capacité budgétaire commune, avancée récemment par Pier Carlo Padoan3. Elle pourrait être construite en trois étapes, selon une méthode qui a bien réussi dans le passé. Dans un premier temps, les États membres seraient libres d'y participer, et le fonds de convergence serait consacré au financement de projets communs comme les investissements dans les infrastructures européennes ou l’installation des réfugiés. Dans un deuxième temps, ce budget pourrait devenir un instrument de stabilisation, centralisant un ensemble bien défini d’instruments d’intervention, comme par exemple un niveau européen d’assurance-chômage. La troisième et dernière étape de l’intégration budgétaire ne serait réalisée que si un accord était trouvé à la fois sur le financement (capacité directe à lever des impôts et émission de dette commune) et sur le niveau souhaitable de synchronisation des cycles économiques. Cette perspective constituerait une incitation puissante à une discipline et à un engagement nationaux, comme lors de la préparation du passage à l’euro.

 

Comment mettre en place une institution légitime dotée d’une véritable capacité administrative ?

L’intégration plus large et la responsabilité démocratique doivent progresser en parallèle, comme le souligne mon article récent avec Jens Weidmann. Nous devons permettre à l’administration économique européenne d’être plus efficace, tout en lui assurant une légitimité politique suffisamment forte pour garantir un équilibre entre responsabilité et contrôle. Ces modifications institutionnelles nécessitent de toute évidence un nouveau Traité.

Premièrement, nous avons besoin d’une procédure de nomination de nature à établir fortement la légitimité de la fonction. Le ministre des Finances pourrait ainsi être nommé pour une période de cinq ans par le Conseil européen à la majorité qualifiée, sur proposition du président de la Commission européenne. Cette nouvelle nomination serait soumise à l’approbation formelle du Parlement européen, et le ministre des Finances serait membre de la Commission et président de l’Eurogroupe. Le ministre aurait ainsi la légitimité nécessaire pour représenter la zone euro dans les forums économiques et financiers internationaux, aux côtés du président de la BCE.

Deuxièmement, le ministre des Finances de la zone euro devrait pouvoir s’appuyer sur un véritable Trésor européen, qui pourrait intégrer des experts de la Direction générale des affaires économiques et financières de la Commission, du MES, et du secrétariat du Comité économique et financier. Cette administration bénéficierait également de l'expertise publique de deux organismes indépendants, le Conseil budgétaire européen et le Conseil de Compétitivité.

Enfin, si nous parvenons à mettre en oeuvre une intégration plus poussée, nous aurons besoin d’un contrôle démocratique plus fort sur les affaires de la zone euro. À cette fin, nous devrons envisager d’institutionnaliser un format « zone euro » au sein du Parlement européen. Les relations entre les députés de la zone euro et les parlements nationaux devront également être renforcées, par le biais d’un accord interinstitutionnel ou par la création de commissions dédiées.

***

Pour conclure, permettez-moi de citer Robert Mundell4, fondateur de la théorie des zones monétaires optimales et dont l'analyse de la transmission des chocs à l'échelle internationale est célèbre. Il a reconnu que la zone euro était loin d’être optimale. Il est toutefois resté confiant, en déclarant : «[ce projet] sera réalisé car pour l’Europe, ce n’est pas seulement la meilleure partie à jouer, c’est la seule» (it isn't just the best game in town, it's the only game). Une politique économique d’ensemble, et non la seule action des banques centrales, est effectivement l’unique partie à jouer.

Le monde de 2050 sera partiellement façonné par l'avenir de l'Europe, et l'avenir de l'Europe dépendra des décisions que nous prenons aujourd'hui. Bien sûr, il existe toujours un risque d’échec lorsque l’on mène des réformes ambitieuses. Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre une énième occasion manquée, et il nous faut agir vite, sans perdre de vue les perspectives à long terme. Pour la zone euro, pour ses citoyens, 2016-17 est le moment décisif pour agir.

 
1 Discours de Mario Draghi, président de la BCE, à l'occasion du SZ Finance Day 2015, Francfort-sur-le-Main, 16 mars 2015
2 Premier discours devant le parlement du troisième mandat d’Angela Merkel, 18 décembre 2013​
3 Pier Carlo Padoan, A Shared European Policy Strategy for Growth, Jobs, and Stability, février 2016​
4 Interview de Robert Mundell par Laura Wallace, « Ahead of his time » , Finance and Development, FMI, septembre 2006, vol 43, n°3

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Discours de François Villeroy de Galhau, Le défi d'une gouvernance économique efficace à l'échelle européenne pour contribuer à une communauté internationale prospère - Forum des marchés émergents
  • Publié le 11/04/2016
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