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Défis macroéconomiques et monétaires : vers une union économique post-Covid plus forte?


FORUM EUROFI 2020 – Berlin, 11 septembre 2020
Défis macroéconomiques et monétaires : 
vers une union économique post-Covid plus forte?

Discours de François Villeroy de Galhau,
Gouverneur de la Banque de France

 


Mesdames, Messieurs,

C’est un plaisir pour moi d’être de retour parmi vous aujourd’hui. Je voudrais adresser mes plus chaleureux remerciements à Didier Cahen et à David Wright, qui ont littéralement déplacé des montagnes pour rendre cette réunion possible ! Et aujourd’hui, aucun autre endroit ne pourrait mieux convenir que Berlin : il y a trente ans, la chute du Mur de Berlin a insufflé une nouvelle dynamique à la construction de l’Europe. Alors que le projet européen vit aujourd’hui un autre moment décisif, nous devons plus que jamais retrouver cet « esprit de Berlin ». 

Au cours des derniers mois, les célèbres paroles de Jean Monnet ont été souvent et même trop citées : « L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises »  . Une fois de plus, ce paradoxe semble se vérifier. J’expliquerai brièvement pourquoi l’Europe a jusqu’à présent réussi ce stress test grandeur nature (I). Pour autant, il faut plus que jamais se garder de tout excès de confiance. Je présenterai ensuite les grandes lignes d’une stratégie de sortie de crise efficace et collective, qui repose sur quatre piliers (II).

 

***

I.    L’Europe face à la crise Covid 

La crise Covid-19 a fait subir au projet européen un « stress test » sans précédent. Le choc sanitaire a frappé les pays européens de façon différenciée, mais le choc économique a été davantage symétrique, du fait de mesures de restriction qui se sont révélées partout substantielles. Sur l’année 2020, la récession devrait être généralisée en Europe (– 8 % pour la zone euro comme publié hier). Néanmoins, des facteurs asymétriques – tels que la taille des différents programmes de relance nationaux – pourraient accentuer les divergences entre les principaux pays de la zone euro. Une réponse coordonnée à l’échelle européenne était et demeure par conséquent nécessaire. 

Et en effet, des mesures fortes, rapides et convergentes ont été mises en œuvre. Face à la menace d’une crise financière, l’Eurosystème a été à même, avec d’autres banques centrales, d’agir avec rapidité et efficacité afin de l’éviter. Ce n’est pas de l’autosatisfaction : c’était une réponse pragmatique à deux craintes préexistantes. La première que les banques centrales ne se retrouvent « à court de munitions » : au contraire, dès le mois de mars et en l’espace d’une semaine, notre Conseil des gouverneurs a pris les mesures les plus fortes de l’histoire de l’euro en offrant de la liquidité immédiate et en quantité pratiquement illimitée.

En ce qui concerne notre dernier Conseil des gouverneurs, permettez-moi d’être plus sérieux que certaines choses surprenantes que nous avons pu lire hier, et de reprendre l’intervention de Christine Lagarde pour vous la résumer en trois points :

                                   -    Nos prévisions économiques pour 2020 sont légèrement meilleures qu’attendu en juin. La reprise est effectivement en forme d’« aile d’oiseau », avec un fort rebond entre mai et août, et un rattrapage qui, comme prévu, devrait être plus progressif jusqu’en 2022.
                                   -    L’inflation, même si elle est temporairement négative, reste modérée. Par conséquent, nous maintiendrons notre politique monétaire accommodante aussi longtemps que nécessaire. La main sûre, mais libre, nous n’écartons aucune possibilité et nous serons prêts à intervenir davantage le cas échéant.
                                   -    Nous n’avons pas de cible de taux de change. Mais le taux de change est bien évidemment important pour l’inflation et pour la politique monétaire. En conséquence, nous suivrons de près les évolutions du taux de change, du point de vue de ses implications pour les perspectives d’inflation à moyen terme. Point final.

La seconde crainte, pour nous banquiers centraux, était que la politique monétaire soit « la seule partie à jouer » (the only game in town). L’Eurosystème souhaite depuis longtemps que la politique économique en Europe s’appuie également sur une politique budgétaire active. L’accord, durement acquis mais impressionnant, conclu à Bruxelles le 21 juillet dernier constitue un grand pas en avant. Il s’agit d’un acte de solidarité sans précédent à l’égard des pays les plus gravement touchés par la crise Covid et, pour la première fois, les dépenses finales – à hauteur de 390 milliards d’euros – seront financées par un instrument budgétaire partagé, d’un montant plus de vingt fois supérieur à la précédente proposition d’instrument budgétaire de convergence et de compétitivité. Cela ne signifie pas que le débat est clos : certains insistent sur le fait que cet accord budgétaire doit rester exceptionnel et temporaire ; d’autres, au contraire, espèrent un « moment hamiltonien » sur le plan politique et, sur le plan économique, un saut quantique (quantum leap) vers un véritable outil de stabilisation budgétaire commun. J’aurais tendance à adhérer à ce deuxième point de vue mais avec de fortes réserves et restrictions quant à la nécessaire responsabilité des politiques budgétaires nationales. Il est néanmoins encore trop tôt pour le savoir : saluons cette avancée majeure de Bruxelles, mettons-la en œuvre de manière efficace et préparons une stratégie de sortie efficace.

II.    Une union économique forte : les quatre piliers d’une stratégie de sortie efficace

Ce succès ne doit pas nous inciter à relâcher nos efforts. Après le temps de l’urgence, nous entrons à présent dans la période difficile de la sortie de crise. Le choix du moment auquel elle interviendra est délicat : nous devons de toute évidence éviter de supprimer nos mesures trop tôt [pour se préserver] des effets de seuil (cliff effects) comme en 2011-2012. À l’inverse, nous devons également éviter de créer une dépendance durable aux dépenses publiques et à la dette publique : en Europe, ce danger semble aujourd’hui plus grand. En effet, il n’y a pas de solution miracle, et – en fin de compte – la dette héritée de la crise devra être financée par la croissance et par notre travail collectif. De ce point de vue, je suis convaincu qu’une stratégie de sortie efficace et collective devrait être fondée sur quatre piliers. Ces piliers ont en commun une caractéristique : la construction d’une union économique forte. Nous savons tous qu’il s’agit là de la contrepartie manquante au succès de notre union monétaire.

La première priorité doit être d’inclure, par le biais de nos importants investissements publics, une véritable « valeur ajoutée » durable, une valeur ajoutée européenne grâce à des investissements additionnels générant des effets transfrontières positifs. Si je devais exprimer un regret concernant le Plan de relance de Bruxelles, ce serait le retrait des 46 milliards d’euros destinés aux investissements transfrontières et à soutenir la solvabilité des entreprises européennes. Et une valeur ajoutée pour l’avenir : Mario Draghi a patiemment forgé l’expression éloquente de « bonne dette ». Les dépenses au niveau national doivent être utilisées à des fins productives et pour les jeunes : pour l’éducation et la formation ainsi que pour la recherche. Mais ce n’est pas encore acquis !

La deuxième pierre angulaire sera une union des marchés de capitaux (UMC) améliorée. Nous savons tous ici que la zone euro dispose de l’excédent d’épargne le plus important au monde par rapport à l’investissement, avec un montant qui atteignait 360 milliards d’euros l’année dernière. Pour une meilleure allocation de l’épargne privée européenne, il faut, comme cela a souvent été préconisé à Eurofi, combiner une Union bancaire plus efficace et une « Union des marchés de capitaux » pour constituer une véritable « Union de financement pour l’investissement et l’innovation ». Les gouvernements européens sont tous d’accord sur le principe ; mais jusqu’à présent cela demeure l’angle mort de la stratégie de reprise. Passons enfin des mots aux actes. De plus, le Brexit ne nous laisse pas d’autre choix : nous devons bâtir un « Eurosystème financier » réel et polycentrique, y compris – et j’insiste – pour les contreparties centrales d’importance systémique. C’est une question de stabilité financière, ainsi que d’autonomie ou de souveraineté économique, appelez cela comme vous voulez.

Le renforcement de notre marché unique est la troisième pierre angulaire de notre stratégie. L’Europe n’agit pas suffisamment pour promouvoir son marché unique qui est – avec la monnaie unique – notre atout le plus précieux. Nous le constatons avec les demandes de la Grande-Bretagne, qui sont nombreuses et excessives. Rappelons-nous tous, en commençant par les pays les plus riches – et parfois « frugaux » – des avantages de notre Union qui appellent à leur tour une demande légitime de solidarité. Mais, même si les gouvernements nationaux ont agi de manière appropriée lors de la phase aigüe de la crise, des réponses nationales différentes pourraient créer une « inégalité de traitement ». Un marché unique – qui est dans l’intérêt de tous les États membres – signifie des règles communes pour les entreprises : si ce n’est pas le cas, nos économies risquent malheureusement de se fragmenter davantage. En conséquence, les règles du jeu européennes sur les aides publiques doivent être rétablies rapidement pour sauvegarder le marché unique. Libérons également pleinement tout le potentiel du marché unique en conjuguant beaucoup mieux ses forces : libre-échange + financement + normes. Notre pouvoir normatif doit stimuler l’innovation : prenez l’exemple du Règlement général sur la protection des données (RGPD) où l’Europe est à l’avant-garde.

Enfin, la transition écologique ne doit surtout pas devenir la victime collatérale de la crise : notre stratégie de sortie ne peut viser à conserver le monde d’hier. Le marché du carbone SEQE-UE a abouti à un prix du CO2 malheureusement trop bas, à presque 25 €/tCO2eq en 2019   pour entraîner des réductions suffisantes des émissions de gaz à effet de serre. Comme le prévoit l’Accord de Bruxelles, un « mécanisme d’ajustement du carbone aux frontières » associé à un dispositif SEQE révisé, mérite notre entier soutien. Cet ajustement du carbone aux frontières pourrait rétablir une concurrence équitable entre la production industrielle européenne et les produits importés ayant une empreinte carbone plus élevée. Le succès d’un tel instrument dépend de sa capacité à s’adapter aux lois en vigueur (OMC). 

Dans cette lutte contre le changement climatique, notre politique monétaire joue son rôle : Christine Lagarde l’a annoncé et cela marquera une différence importante entre notre propre « Revue stratégique » et celle de la Fed aux États-Unis. Nous pourrions mettre en œuvre nos décisions relatives au climat d’ici 3 à 5 ans maximum et ainsi faire figure de pionniers parmi les grandes banques centrales. Mais là encore, et à plus forte raison, la politique monétaire ne peut pas tout régler à elle seule et ne peut pas faire de miracle en l’absence de politiques fiscales et sectorielles cohérentes

 

***


La pandémie a remis en cause bien de nos certitudes. Une chose est sûre cependant : nous pouvons surmonter ce choc. Mais les solutions aux défis actuels ne peuvent simplement reposer sur les mêmes « vieilles astuces » : la reconstruction européenne ne peut être un simple redémarrage dans chaque État membre. Nous réussirons seulement si nous restructurons notre projet commun autour des quatre changements positifs que je viens d’évoquer. Alors cette rude crise aura aussi été la chance d’une transformation vers une économie plus innovante et plus durable. Le monde instable et dangereux de 2020 a besoin de l’Europe. Notre ambition doit être à la hauteur de ce défi. Je vous remercie de votre attention.

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Défis macroéconomiques et monétaires : vers une union économique post-Covid plus forte?
  • Publié le 11/09/2020
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