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Comment repenser le rôle des banques centrales et la stabilité financière ?

Mesdames et Messieurs,

C’est un plaisir d’être parmi vous aujourd’hui et je tiens à remercier chaleureusement Adam Posen pour son aimable discours de bienvenue. Comme vous le savez, nous vivons une période de grandes incertitudes. Toutefois, dans cet épais brouillard, une chose est claire : la crise de la Covid a accru les attentes du grand public quant à ce que les banques centrales peuvent et doivent faire, relançant ainsi le débat relatif à leurs objectifs, qu’il s’agisse de l’atténuation du changement climatique ou de la lutte contre les inégalités. C’est certes le signe d’une grande confiance : les banques centrales sont clairement victimes de leur propre succès dans leurs missions essentielles de maintien de la stabilité des prix. Toutefois, comme l’aurait dit Benjamin Franklin : « Beaucoup de chemins mènent à la réussite, mais un seul mène immanquablement à l’échec, celui qui consiste à tenter de plaire à tout le monde ». Ces attentes supplémentaires font courir le risque d’accroître la confusion et de provoquer de la déception. Aujourd’hui, je vais tout d’abord évoquer notre objectif d’inflation. Même si le titre de la conférence d’aujourd’hui nous invite à « repenser » le rôle des banques centrales, le ciblage de l’inflation est et restera le principal édifice du patrimoine commun des banques centrales. J’évoquerai ensuite trois des nouvelles attentes à l’égard des banques centrales dont nous débattons à l’heure actuelle à la BCE, dans le cadre de la revue stratégique initiée, à juste titre, par Christine Lagarde.

I. L’inflation demeure le principal édifice du patrimoine des banques centrales

I.A. Le passé : l’inflation avait-elle disparu ?

En ce qui concerne l’inflation, la dernière décennie a confronté les économistes et les banquiers centraux à plusieurs énigmes. La période de la Grande récession de 2008-2009 a mis en évidence une « déflation manquante », la contraction importante de la production n’étant pas associée à une baisse conséquente des prix. Les dernières années, au contraire, se sont révélées comme étant une période d’« inflation manquante ».

La disparition de l’inflation a constitué un phénomène omniprésent et mondial, qui peut être appréhendé à l’aide d’une simple comparaison entre les taux d’inflation au cours de la première et de la deuxième décennies du 21ème siècle.

Le taux d’inflation de la zone euro s’établissait à 2,1 % en moyenne entre 1999 – date de la création de l’euro – et 2007, qui a marqué le début de la crise financière. Il est tombé à 1,0 % sur la période 2013-2019, après la récession en W et jusqu’à la pandémie actuelle, soit une baisse substantielle de plus de 1 point de pourcentage entre les deux périodes. Aux États-Unis, l’inflation totale a connu une baisse comparable, avec un recul de 2,7 % à 1,6 % entre les deux périodes.

Au début des années 2000, le taux d’inflation de la zone euro était conforme au mandat de la BCE de stabilité des prix, défini comme un objectif « inférieur à, mais proche de 2 % ». Pourtant, depuis 2013, l’écart cumulé par rapport à notre objectif d’inflation est notable. Ce constat soulève la question de savoir si des changements dans le fonctionnement des économies développées ont pu perturber la courbe de Phillips, que je considérerai aujourd’hui comme étant la relation entre le taux de variation des prix et le taux de chômage [i]. Il me paraît prudent de choisir le taux de chômage observé comme mesure de la sous-utilisation des capacités de production (slack), plutôt que de recourir à des estimations de l’écart de production dépendantes d’un modèle et incertaines.

Dans la zone euro, deux facteurs expliquent la majeure partie de l’écart entre le niveau d’inflation observé et notre objectif. Le premier est la récession en W causée par la Grande récession et la crise de la dette souveraine. Le second facteur est le fort recul du prix du pétrole après 2014, qui a fait baisser le taux d’inflation à la fois directement, via la composante énergie des prix à la consommation, et indirectement en faisant baisser les coûts de production des services et des biens hors énergie. Les prix des produits alimentaires ont également été moins dynamiques, en moyenne, depuis 2014. Combinés, ces facteurs contribuent à une baisse de 1 point de pourcentage du taux d’inflation annuel. Ils ont été en partie atténués par les politiques monétaires non conventionnelles. Sans cette politique, des calculs internes montrent que l’inflation annuelle aurait été inférieure de près de 0,3 % entre 2014 et 2019, ce qui est conforme aux estimations de la BCE.

Selon des analyses récentes de la Banque de France, un scénario puissant se dessine alors en comparant la contribution moyenne de chacun de ces facteurs entre 1999-2007 et 2013-2019 : au cours de la seconde période, les chocs macroéconomiques sont devenus désinflationnistes par rapport à la première décennie d’existence de l’euro, poussant l’inflation à la baisse en dépit d’une compensation partielle par les politiques monétaires non conventionnelles.

La part inexpliquée ou résiduelle de la baisse de l’inflation a représenté 0,3 point de pourcentage en moyenne depuis 2013. Cette part est cependant en augmentation, ce qui suggère que nous devons prêter une attention particulière à ses causes potentielles. Dans la zone euro ces dernières années, les hausses de salaires ont été en partie compensées par une compression des marges des entreprises, en particulier dans les services marchands. La possibilité d’une dérive baissière des anticipations de prix à long terme qui aurait pu suivre la période prolongée de faible inflation peut être un autre facteur. Enfin, et surtout, des changements structurels ont pu avoir un effet sur le processus de formation des prix et des salaires, dans le contexte de la numérisation et de la mondialisation accrues de nos économies, et d’une diminution du pouvoir de négociation des salariés. Néanmoins, l’importance quantitative de ces facteurs structurels est loin d’être claire et ne fait pas l’objet d’un consensus parmi les économistes.

I.B. L’avenir: le retour de l’inflation ?

Le débat actuel sur un éventuel retour de l’inflation est peut-être légitime aux États‑Unis [ii], mais pas dans la zone euro. Aux États-Unis, la reprise en cours est beaucoup plus rapide que celle observée après les crises précédentes et l’écart de production devrait se résorber et devenir positif au cours de l’année 2021. La poussée de l’inflation pourrait néanmoins être transitoire, puis, espérons-le, se stabiliser dans un nouveau régime de « reflation contrôlée ». La forte hausse de l’inflation totale de la zone euro début 2021 a constitué une surprise (elle est passée de – 0,3 % à 1,3 %). Toutefois, les causes de cette hausse sont de nature temporaire, comme le récent rebond des prix du pétrole et le fait que la baisse de la TVA en Allemagne ait pris fin, et elles sont également liées à des modifications des pondérations dans le panier de l’IPCH. À moyen terme, la persistance d’une importante sous-utilisation des capacités de production sur l’horizon de projection, malgré une reprise significative à partir du second semestre de cette année pèsera sur l’inflation. Globalement, les projections de mars 2021 de la BCE montrent que l’inflation totale devrait rester faible, à 1,4 % en 2023.

L’inflation n’est par conséquent pas encore au niveau auquel nous souhaiterions la voir revenir, soit 2 % à moyen terme. Notre objectif d’inflation doit être compris comme étant simple, symétrique et de moyen terme [iii]. « Simple » signifie que nous pourrions réexaminer les qualificatifs trop sophistiqués encore associés au chiffre de 2 %. « Symétrique » fait référence au fait que notre objectif constitue une cible et non un plafond : nous pourrions être prêts à accepter une inflation supérieure à 2 % pendant un certain temps. Enfin, « moyen terme » signifie que nous évaluons les résultats en matière d’inflation sur une période suffisamment longue, en nous tournant vers l’avenir, mais sans pour autant ignorer le passé.

En gardant à l’esprit cet objectif d’inflation, permettez-moi de vous faire part de quelques réflexions sur notre politique monétaire actuelle et future, et de dessiner un « triangle d’équilibre » qui se renforce :

Le premier sommet de ce triangle est la flexibilité du PEPP (programme d’achats d’urgence face à la pandémie). Dès le début de la crise liée à la pandémie, le PEPP a différé des autres programmes d’achats d’actifs en étant plus flexible entre les différentes juridictions et catégories d’actifs et en matière de volumes mensuels [iv]. Son enveloppe indicative atteint désormais 1 850 milliards d’euros. J’entends parfois les analystes de marché suggérer de fournir une définition quantitative des « conditions de financement favorables », et que nous devrions peut-être même introduire un contrôle de la courbe des rendements des obligations souveraines (yield curve control). Je ne suis pas d’accord : dans la mesure où nous nous préoccupons des conditions financières pour tous les emprunteurs – pas seulement les emprunteurs souverains – et des différentes formes de financement – pas seulement du financement de marché – nous nous en tenons à une évaluation multidimensionnelle et holistique. Et comme nous examinons à la fois les rendements réels et nominaux, l’évaluation de la mesure dans laquelle les conditions de financement sont favorables est réalisée en prenant également en compte les perspectives d’inflation, comme cela a été explicitement indiqué lors de notre dernier Conseil des gouverneurs. Nos décisions seront donc prises en toute connaissance de cause plutôt qu’en appliquant des règles préétablies. Ne pas agir de manière automatique n’empêche pas de réagir efficacement, bien au contraire. Notre récente décision d’« augmenter nettement le rythme de nos achats » a été bien notée par les marchés et mise en œuvre rapidement. Elle a limité les répercussions transatlantiques non justifiées : depuis le début de l’année, les rendements des obligations souveraines à 10 ans ont augmenté de 0,8 point de pourcentage aux États‑Unis, contre 0,2 point de pourcentage dans la zone euro.

Le deuxième sommet du triangle est lié à la sortie de nos mesures exceptionnelles. Le moment de la sortie n’est pas encore arrivé. Nous poursuivrons nos achats nets d’actifs au titre du PEPP « au moins jusqu’à fin mars 2022 et, dans tous les cas, jusqu’à ce que [nous] jugions que la crise du coronavirus est terminée » [v]. Il nous reste encore beaucoup de temps pour juger et décider ; néanmoins, d’après notre scénario de référence actuel, cette phase de crise s’achèvera d’ici mars 2022. Mais la fin éventuelle des achats nets d’actifs dans le cadre du PEPP à cette date n’impliquerait pas un durcissement brutal de notre politique monétaire. Les réinvestissements au titre du PEPP demeureraient importants et les achats se poursuivraient dans le cadre de l’APP, éventuellement en les adaptant légèrement. Nous aurions donc toujours la possibilité de jouer l’intégralité du « quatuor » que composent nos instruments de politique monétaire accommodante, en ajoutant les taux négatifs, la fourniture de liquidité et la forward guidance.

Le troisième sommet de ce triangle pourrait justement être un renforcement de notre forward guidance compatible avec la symétrie de notre objectif d’inflation. Plutôt qu’un ciblage flexible de l’inflation en moyenne, qui laisse de nombreuses questions sans réponse, mon option préférée serait le recours à une forward guidance renforcée [et non linéaire], en mentionnant explicitement que nous tolérons une inflation supérieure à l’objectif, en référence aux déficits d’inflation passés.

C’est la combinaison de ces trois leviers qui devrait servir à poser les bases du « triangle d’équilibre » de notre politique monétaire dans cette prochaine phase de la crise Covid.

II. Des attentes plus larges émergent

Revenons à la question de l’élargissement des attentes du public vis-à-vis des banques centrales.  Les banques centrales sont confrontées au risque d’être considérées non seulement comme les seules à pouvoir agir mais aussi comme omnipotentes. Cela étant, la réalité du changement climatique, l’accroissement des inégalités – dont je parlerai brièvement – et les risques pour la stabilité financière – que vous m’avez invité à évoquer plus en détail – sont autant d’éléments à prendre en compte, et sont de ce fait inclus dans la revue stratégique de la BCE, plus qu’ils ne le sont dans celle de la Réserve fédérale.

II.A. Changement climatique

La prise en compte du changement climatique ne relève ni d’un abus de notre mission, ni d’une simple conviction militante ou d’une mode éphémère. C’est un impératif : le changement climatique affecte bien notre capacité à atteindre la stabilité des prix, notre objectif principal. D’une part, le risque physique extrême ou les risques de transition plus graduels influeront, et influent déjà, sur l’offre. D’autre part, la mise en œuvre de politiques visant à atténuer le changement climatique, telles que les taxes sur le carbone, les objectifs de réduction des émissions ou le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières influeront également sur les prix des consommations intermédiaires et sur les prix à la consommation. Le récent rebond de l’inflation totale dans la zone euro, par exemple, illustre ces deux points : la récente hausse des prix de l’énergie est en partie liée à une augmentation des prix de l’électricité en Espagne en raison d’une vague de froid exceptionnelle et à l’introduction en Allemagne d’une surtaxe carbone sur les prix des carburants et combustibles liquides et du gaz.

Il existe à mon sens trois mesures que nous, banquiers centraux, pouvons prendre [vi]. La première consiste à intégrer le changement climatique dans nos modèles macroéconomiques. Deuxièmement, nous devons progressivement décarboner nos bilans de façon pragmatique et ciblée en adaptant la valorisation de nos actifs. Troisièmement, en publiant les critères que nous utilisons pour la valorisation des actifs, nous pouvons fixer une norme que d’autres suivront. Et la neutralité de marché – qui devrait prendre en compte la mauvaise valorisation des risques climatiques – ne devrait pas être un frein à la neutralité carbone.

II.B. Les inégalités

La politique monétaire a inévitablement des effets redistributifs. Elle induit un transfert de revenus entre prêteurs et emprunteurs, et influe sur les prix des actifs et, par conséquent, sur la richesse. Les données sont provisoires mais elles suggèrent qu’une politique monétaire plus accommodante a eu pour effet de réduire les inégalités de revenus du fait de l’augmentation des salaires, liée à un accroissement de l’emploi, dans les parties basses de la distribution des revenus, et de la baisse de rémunération de l’épargne dans les parties hautes de la distribution. Pour ce qui est de la richesse, il n’est pas encore possible de trancher, la classe moyenne ayant bénéficié de la hausse des prix de l’immobilier, mais les plus aisés pourraient avoir tiré un profit encore plus élevé de leurs actifs financiers. Cela étant, la politique budgétaire est, et doit rester, le meilleur outil pour lutter contre les inégalités dans la mesure où elle peut être plus ciblée que la politique monétaire. Cela est particulièrement vrai en Europe, grâce à notre modèle social.  En effet, le débat sur les inégalités et la politique monétaire semble être un peu moins passionné de notre côté de l’Atlantique. Toutefois, dans la mesure où les programmes de la BCE soutiennent actuellement les politiques budgétaires et de financement mises en œuvre par les gouvernements, nous pouvons les considérer comme un canal indirect de réduction des inégalités.

II.C. La stabilité financière

La stabilité financière est liée au débat sur les inégalités : le dénominateur commun est le niveau des prix des actifs. La question des bulles d’actifs n’est pas réservée aux économistes ou aux marchés financiers. À la Banque de France et à la BCE, nous avons organisé une série de rendez-vous d’écoute et la question a été fréquemment soulevée par le grand public. En outre, la question de savoir dans quelle mesure les préoccupations de stabilité financière devraient figurer dans les décisions de politique monétaire fait l’objet d’un débat permanent. La plupart des banques centrales suivent un principe de séparation en vertu duquel la politique monétaire et la stabilité financière, qui est du ressort de la politique macroprudentielle, sont strictement distinctes. Cette division claire des responsabilités a bien fonctionné mais, à mon sens, les évolutions récentes ont fait pencher la balance en faveur d’une approche plus intégrée.

Premièrement, nous ne sommes plus dans un monde linéaire. Lorsque r* est très bas, une asymétrie fondamentale est créée par le plancher effectif des taux d’intérêt. Nous avons créé des instruments de substitution afin de compenser l’impuissance de la politique monétaire conventionnelle au plancher effectif mais ces instruments, bien qu’ils continuent d’être efficaces, comportent des effets secondaires défavorables en matière de prise de risque excessive.

Deuxièmement, les instruments macroprudentiels dont nous disposons réellement, bien qu’ils demeurent la première et la principale ligne de défense, ne suffisent pas pour répondre à l’ensemble des préoccupations relatives à la stabilité financière. Il faut s’abstenir d’être panglossien, pour reprendre les termes de Charlie Bean [vii]. Par conséquent, nous devons accepter que les préoccupations de stabilité financière entrent nécessairement en ligne de compte dans la détermination d’autres instruments, en particulier en politique monétaire. C’est l’approche plus intégrée en faveur de laquelle je veux plaider. Cela n’implique pas une réaction (mécanique) systématique aux indicateurs de stabilité financière et c’est très différent de la stratégie consistant à « aller à contre-courant » (leaning against the wind). Ce que je suggère, c’est une légère évolution de notre analyse – le dosage des données (data mix) – et de la mise en œuvre de notre politique – le dosage des instruments (instrument mix).

S’agissant du dosage des données (data mix), il appartient déjà au Conseil des gouverneurs de veiller à ce que ses décisions respectent le principe de proportionnalité et donc de tenir compte des effets secondaires de ses mesures de politique monétaire. Mais cela pose un problème plus épineux du point de vue analytique : la stabilité financière, contrairement à la stabilité des prix, ne peut être facilement résumée en une donnée statistique (l’inflation dans le cas de la stabilité des prix) ; et nous devons, de toute façon, examiner un ensemble d’indicateurs. Afin de répondre à ce défi, nous devrions à mon sens élargir le deuxième pilier monétaire actuel pour en faire un pilier monétaire et financier. Ce deuxième pilier permettrait d’approfondir l’étude des origines du cycle financier. Plus précisément, permettez-moi de citer quelques exemples de variables qui pourraient être suivies dans le cadre de ce nouveau pilier :

  • L’endettement des entreprises et des ménages ;
  • les informations figurant au bilan des banques, qui sont utiles pour évaluer le fonctionnement du canal du crédit bancaire (y compris de façon prospective) ;
  • des indicateurs relatifs à une trop grande tolérance au risque et à un excès de crédit, qui fournissent des informations sur le canal de la prise de risque ;
  • les prix des actions et de l’immobilier, qui fournissent des informations sur le canal des prix d’actifs.

S’agissant de la mise en œuvre de notre politique monétaire et du dosage des instruments (instrument mix), nous disposons actuellement d’un arsenal d’instruments non conventionnels de politique monétaire. Grâce à ces instruments multiples, nous disposons désormais d’un éventail de combinaisons possibles pour parvenir à l’orientation requise en matière d’inflation. Nous pouvons choisir la combinaison qui minimise les risques pour la stabilité financière. C’est ce que nous avons fait avec la mise en place d’un mécanisme à deux paliers pour la rémunération des réserves (tiering system), ou lorsque nous avons exclu le secteur immobilier de nos facilités de prêt TLTRO. Ainsi, lorsque le moment sera venu pour une stratégie de sortie progressive, nous pourrions calibrer la séquence en fonction de l’état de la stabilité financière. Si, par exemple, la dette des entreprises semblait particulièrement surévaluée, et les primes de risque excessivement comprimées et source de risque systémique, nous pourrions choisir de réduire la taille de notre portefeuille privé plus rapidement que prévu et d’accroître notre portefeuille d’obligations souveraines pour gérer la liquidation du stock. Si la capacité de résistance du secteur bancaire était excessivement affectée par la période prolongée de taux bas, nous pourrions modifier les paramètres du tiering.

Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est un monde dans lequel la panoplie d’instruments dont disposent les banques centrales afin de remplir leur mandat s’est considérablement élargie. Comme elles disposent désormais de plusieurs instruments dans leur boîte à outils monétaire, la vieille règle de Tinbergen peut être comprise de façon nouvelle et plus large en incorporant plusieurs objectifs. Mais comment pouvons-nous alors répondre à l’inquiétude légitime de Benjamin Franklin sur le fait de « tenter de plaire à tout le monde » ? Trois règles peuvent nous guider afin d’éviter les attentes excessives. Premièrement, nous, l’Eurosystème, devons-nous conformer étroitement à notre mandat qui assigne une priorité claire au maintien de la stabilité des prix, sans aucune modification du Traité qui nous gouverne. Deuxièmement, le changement climatique et l’instabilité financière étant susceptibles de menacer notre capacité à remplir ce mandat principal, nous devrons prendre en compte leurs conséquences, mais en faisant preuve de crédibilité et de transparence dans nos modèles et mesures/instruments. Troisièmement, nous devrions veiller à éviter de trop promettre car il n’existe pas de monde dans lequel les banques centrales sont capables à elles seules de résoudre ces questions, à commencer par l’absolue nécessité de déterminer un prix du carbone adéquat. Les banques centrales ont des capacités accrues mais elles ont encore des limites. Ces paroles de sagesse, nous ne devons jamais les oublier.

 

[i] Une approche standard par la courbe de Phillips fournit une description simple de la trajectoire de l’inflation dans la zone euro au cours des vingt dernières années. Permettez-moi de vous décrire brièvement l’exercice : La hausse de l’IPCH est régressée sur (a) une variable de la sous-utilisation des capacités productives, (b) les prix du pétrole en euros, (c) les prix des matières premières agricoles en euros et (d) un terme d’inflation retardé mesurant son inertie. Dans deux spécifications distinctes, la variable relative à la sous-utilisation des capacités productives correspond (a) à l’écart de production estimé par la Commission européenne; ou (b) au taux de chômage (concept de l’OIT). Les équations sont estimées à partir de données trimestrielles allant de 1998 à 2019. Pour plus de détails sur les modèles de courbe de Phillips à forme réduite utilisés à la Banque de France, cf. Chatelais, De Gaye et Kalantzis (2015) « Inflation basse en zone euro : rôle des prix d’imports et de l’atonie économique », Rue de la Banque n° 6, et Berson, De Charsonville, Diev, Faubert, Ferrara, Guilloux-Nefussy, Kalantzis, Lalliard, Matheron and Mogliani (2018) « La courbe Phillips existe-t-elle encore ? », Rue de la Banque n° 56. Des détails techniques sur la décomposition présentée ici seront présentés dans le Bulletin de la Banque de France.

[ii] Cf. Posen, A., « A US Monetary Regime Change What Difference to Overheating? », 1er avril, 2021, Peterson Institute for International Economic, Spring 2021 Global Economic Prospects Meeting

[iii] Discours de François Villeroy de Galhau, Official Monetary and Financial Institutions Forum, webinaire, 25 septembre 2020.

[iv] Pour une analyse récente, cf. Lagarde (2021).

[v] Déclaration introductive lors de la conférence de presse du 11 mars 2021.

[vi] Villeroy de Galhau (F.), « Le rôle des banques centrales dans le verdissement de l’économie ». discours, 11 février 2021. Cf. également les recommandations du récent rapport annuel du NGFS.

[vii] Bean (C.) « The Future of Monetary Policy » discours prononcé à la London School of Economics, 20 mai 2014.

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Comment repenser le rôle des banques centrales et la stabilité financière ?
  • Publié le 13/04/2021
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