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« Brexit : regardons les défis de façon lucide mais avec nos atouts ! »

Alexandra Bensaid - Nous avons ce matin dans le studio 521 un grand responsable économique : le gouverneur de la Banque de France. Bonjour François Villeroy de Galhau.

François Villeroy de Galhau - Bonjour Alexandra Bensaid.

Alexandra Bensaid - Gouverneur depuis novembre 2015, auparavant vous étiez numéro deux de la BNP, et auparavant encore, entre autres, vous étiez le conseiller européen de Pierre Beregovoy. François Villeroy de Galhau, je vous ai  vu prendre beaucoup de notes pendant le débat ; une réaction ?

François Villeroy de Galhau - Ce qui s’est passé jeudi est évidemment une mauvaise nouvelle, et d’abord pour le Royaume-Uni. On va en parler, parce que les premières conséquences que nous allons devoir gérer sur le plan économique, ce sont les conséquences pour l’économie britannique qui risquent d’être assez lourdes. Nous avons un certain nombre de défis à traiter avec les Britanniques et pour des projets européens plus concrets. Nous gardons aussi un certain nombre d’atouts. Et je crois qu’il est très important aujourd'hui que nous analysions la situation économique de façon concrète, les yeux ouverts, de façon aussi précise que possible, et que nous en tirions les conséquences pour l’action. Ne sombrons pas non plus dans l’excès inverse, qui serait une forme d’auto-flagellation, je crois que ça ne nous ferait pas avancer.

Alexandra Bensaid - Mais il faut un nouveau projet économique européen ?

François Villeroy de Galhau - Je crois que ce que nous avons à gérer d’abord, c’est un premier défi qui est le choc financier. C’est ce à quoi la mobilisation des banques centrales a essayé de faire face hier. Et elle a été efficace sur le plan collectif. Il y a certes eu des chutes très importantes, et d’abord une chute de la livre britannique qui a baissé de 8 %. L’euro, je le dis au passage, a baissé seulement de 2 %. Je crois que cela donne une petite échelle des conséquences respectives pour le Royaume-Uni et pour l’Europe : une baisse quatre fois plus forte de la livre britannique. Nous avons à gérer un divorce commercial, qui pose des questions institutionnelles. C’est sans récédent. Et puis nous avons à gérer, c’est vrai, des projets européens lus concrets. Mais, en face, nous avons un certain nombre d’atouts. Nous avons une monnaie solide. L’euro est la monnaie de 340 millions d’Européens et c’est un des grands succès de la construction économique récente – Emmanuel LECHYPRE citait des succès plus anciens. L’euro est soutenu par deux tiers des citoyens européens et par deux tiers des Français. Donc c’est un succès. Nous avons aussi un grand marché intérieur et nous avons une éclaircie économique, on y reviendra. Je crois qu’il faut que nous soyons unis, le plus coopératifs possible, pour gérer les trois défis dont j’ai parlé. La valorisation de nos atouts, elle, dépend de nous : ce sont nos efforts en France, les réformes en France.

Alexandra Bensaid - François Villeroy de Galhau, je vous écoute, et ce que vous êtes en train de dire ce matin, en réaction au Brexit cette fois, c’est que nous ne sommes pas guettés, nous Européens, par une nouvelle crise ?

François Villeroy de Galhau - Il n’y a pas aujourd'hui, si on regarde l’économie française, de menace de rechute pour les prochains trimestres. Faisons un point précis uisqu’il se trouve que l’INSEE a confirmé hier les chiffres de croissance au premier trimestre, à plus 0,6 %, ce qui sur un trimestre est un chiffre élevé, avec une composante forte d’investissement des entreprises. C'est une bonne nouvelle. Nous, à la Banque de France, avons fait une révision, au début du mois de juin, d’une croissance pour l’ensemble de l’année 2016 d’au moins 1,4 %. Aujourd'hui, je peux confirmer cette révision, même après le Brexit. Bien sûr, il y aura des conséquences négatives pour l’économie européenne mais elles seront beaucoup plus limitées que les conséquences négatives que tous les économistes annonçaient pour l’économie britannique. C’est d’abord un enjeu pour l’économie britannique. Et, vous savez, on sourit souvent du fait que les économistes ne sont pas d’accord entre eux, qu'il y aurait autant d’opinions différentes que d’économistes ; il se trouve que là, dans le débat, ils ont tous été d’accord pour dire qu’il y aura des conséquences négatives pour l’économie britannique, parce que l’économie britannique perd otentiellement 450 millions de clients – c’est ça, le grand marché intérieur –, et que ces conséquences seront plus lourdes pour le Royaume-Uni que pour l’Europe.

Alexandra BensaidMais juste pour rester sur la France, nous sommes quand même l’un des six pays, nous dit-on, qui va être le plus impacté par ce Brexit. Le Royaume-Uni est l’un des rares pays à qui l’on vend plus que l’on achète. Ça ne va pas faire de la croissance en moins, ça ? En 2016, en 2017 ? En 2018 ?

François Villeroy de Galhau - Alors, encore une fois, il faut regarder très simplement l’impact en nombre de clients. Nous allons voir comment nous allons régler ce divorce commercial. Il est important d’ailleurs de lancer cette négociation rapidement. Vous avez peut-être vu que c’était une des premières discussions d’hier ; les leaders européens ont dit souhaiter lancer rapidement cette clarification, par l’application de l’article 50 du traité de l’Union européenne. Je suis précis, si vous le permettez, notamment sur les chiffres économiques, parce que je crois que nos auditeurs se posent beaucoup de questions. Et cet article 50 donne deux ans pour régler les nouvelles dispositions commerciales. Il vaut mieux commencer le plus vite ossible et arriver à une séparation dans la clarté, pour réduire l’incertitude. Parce que la première menace pour l’économie britannique, c’est l’incertitude, pour les acteurs économiques et pour les investisseurs. Au passage, sachez qu’une des caractéristiques de l’économie britannique est qu’elle est extrêmement dépendante des investissements étrangers. Quelque chose qui n’est pas très connu. Le Royaume-Uni a un déficit extérieur très important, qui est comblé par des investissements étrangers. Et ces investisseurs étrangers, évidemment, redoutent les conséquences du Brexit et de l’incertitude. Par ailleurs, il y a une incertitude politique très forte au Royaume-Uni. Le pays est plus divisé que jamais, c’est très frappant à la suite du référendum. Il y a notamment une division entre générations, parce que les jeunes ont voté massivement pour le maintien dans l’Europe. Il y a aussi une division entre régions, et il peut y avoir un problème écossais et en Irlande du Nord. Et il y a, vous venez de le dire, un sujet de succession : le Royaume-Uni n’a plus de gouvernement et n’en aura pas avant octobre, c’est-à-dire avant trois mois. Toute cette incertitude est extrêmement mauvaise pour l’économie britannique. Et là, les Européens disent de façon unie : il faut régler le plus vite ossible la question des nouvelles règles commerciales. Le Royaume-Uni risque de perdre, si nous ne trouvons pas d’accord commercial, 450 millions de clients, parce que c’est ça le grand marché intérieur ; la France, elle, risque de perdre 60 millions de clients. Voyez que les roportions ne sont pas les mêmes mais il vaudrait mieux trouver un accord commercial. Il y a un modèle qui existe déjà en Europe : le modèle dit norvégien, d’Espace Economique Européen, qui consisterait à dire que le Royaume-Uni garde l’accès au marché intérieur mais s’engage à appliquer l’ensemble des règles européennes. Il serait un tout petit peu aradoxal d’être sorti de l’Europe pour s’engager à appliquer l’ensemble des règles européennes. Mais c’est une solution possible, si le Royaume- Uni veut garder l’accès à notre grand marché intérieur qui est un de nos atouts collectifs, je le souligne. Bien sûr l’Europe a des projets concrets à faire avancer, bien sûr l’Europe a des progrès à faire, mais nous avons des acquis. Nous avons une monnaie solide et un grand marché intérieur. Ceci est très envié par les investisseurs.

Alexandra Bensaid - Donc la réponse à ma question sur la croissance française, c’est : nous verrons au sortir des négociations quel peut être l’impact finalement sur la croissance ?

François Villeroy de Galhau - En 2016, nous avons une éclaircie économique, qui est un atout our la France et pour la zone euro. Je crois que ça nous aidera à faire face aux conséquences de ce choc. Et aussi la mobilisation collective des banques centrales. Vous avez vu hier que la Banque Centrale Européenne s’est réunie très vite – nous avons eu un Conseil des gouverneurs dès 10h hier matin –, et le G7 s’est aussi réuni. Je crois que cette coopération européenne et internationale a été efficace pour éviter que le choc financier se transforme en panique et en rupture. Ensuite, les conséquences économiques seront évidemment plus lourdes pour le Royaume-Uni. Nous avons un certain nombre d’atouts, y compris la solidité des banques françaises. Et à nous, par les réformes – qui dépendent de notre effort personnel –, de tout faire pour amplifier la dynamique en France.

Alexandra Bensaid - François Villeroy de Galhau, un mot sur la City. Des milliers de banquiers, dit-on, entend-on, se prépareraient à faire leurs valises, si le Royaume-Uni perd son passeport financier – il va le perdre, normalement. Est-ce que la City peut bouger ? Est-ce que la place de Paris a une carte à jouer ? C’est ce qu’elle souhaite, en tout cas ?

François Villeroy de Galhau - Vous venez d’illustrer un enjeu très important pour l’économie britannique de ces négociations commerciales dont nous parlions. Dans le marché unique, il y a un aspect qui concerne les services financiers. Tant que la Grande-Bretagne est dans le marché unique, la City peut rester une grande place financière européenne. Si demain la Grande-Bretagne ne fait pas partie du marché intérieur, la City ne peut pas garder ce asseport européen dont vous parlez. On ne pourrait pas non plus localiser à Londres ce qu’on appelle les chambres de compensation où se règlent toutes les transactions des marchés financiers. Nous allons voir ce que vont donner ces négociations mais s’il n’y a pas d’accord de type norvégien, comme je l’évoquais, alors là oui, les places financières de l’euro ont une vraie carte à jouer, dont Paris. Et à nous de faire les réformes nécessaires pour être encore plus attractifs qu’aujourd'hui. Il y a des atouts à Paris : il y a les banques et les assureurs français qui sont solides, il y a une main-d’oeuvre de très grande qualité – l’expertise des techniciens français de la finance est reconnue –, et il y a des infrastructures de marché. Mais il faut sans doute que nous fassions encore des réformes plus grandes, pour être très attractifs pour les investisseurs.

Alexandra Bensaid - Des règles fiscales, une fiscalité différente, plus light, comme le souhaitait… ?

François Villeroy de Galhau - Il peut y avoir certains éléments de fiscalité, si nous sommes exagérément pénalisants. Il y a tout ce que nous offrons aux cadres internationaux qui viennent s’installer à Paris, y compris, voyez, un exemple très concret, la formation de leurs enfants car la qualité de nos systèmes éducatifs compte beaucoup. Il y a la qualité de la vie à Paris ; our ça Paris est une ville très attractive. Il peut y avoir certains éléments sur le marché du travail et les réformes en cours facilitent. A nous de jouer nos atouts, sans complexes ! Si vous le voulez bien, mon message aujourd'hui, et il est sur le plan économique parce que c’est de ma responsabilité, est que nous Français, nous Européens, n’ayons pas de complexes à la suite de la décision du Brexit. Il y a eu un débat très difficile au Royaume-Uni, qui a beaucoup divisé la société, qui va d’abord avoir des conséquences pour l’économie britannique. Bien sûr, regardons ce que cela signifie pour l’Europe mais, dans cette nouvelle ère qui s’ouvre, allons-y avec nos atouts ! Regardons les défis de façon lucide mais nous avons des atouts.

Alexandra Bensaid - François Villeroy de Galhau, il se trouve – et c’est paradoxal – que le commissaire européen aux services financiers, aux banques, est un Britannique : Jonathan Hill. Est-ce qu’il doit démissionner ?

François Villeroy de Galhau - Ceci va dépendre des négociations institutionnelles qui vont s’ouvrir dans les deux ans. Pendant ces deux ans, le Royaume-Uni continue de participer. Monsieur HILL ne sera pas chargé directement de la négociation sur la place de la City de Londres parce que le conflit d’intérêts serait évident. Pour le reste, je crois qu’il n’y a pas de nécessité qu’il démissionne immédiatement, d’autant qu’il y a des travaux extrêmement importants à mener pour finir le renforcement de la réglementation des banques et des compagnies d’assurances, qui était nécessaire à la suite de la crise financière.

Alexandra Bensaid - Dernière question, François Villeroy de Galhau. Vous siégez aussi au Conseil des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne. Cette politique du robinet ouvert, des taux planchers, des prêts géants aux banques, ça ne fait pas vraiment redémarrer l’économie. Comment l’expliquer ?

François Villeroy de Galhau - Elle a un effet tout à fait mesurable, et efficace, de soutien à l’économie et de remontée de l’inflation, parce que l’inflation est trop faible aujourd'hui. Elle est à zéro, voire négative, alors que tout le monde est d’accord pour dire que la bonne cible serait autour de 2 % à moyen terme. On estime que cette politique monétaire contribue pour 0,3 à 0,5 % par an – c’est très significatif – au soutien de la croissance et au soutien de l’inflation. Par ailleurs, elle est totalement orientée vers l’économie réelle et vers l’investissement dont nous parlions. Les crédits aux entreprises ont u redémarrer ainsi que les crédits aux ménages, à travers l’immobilier qui s’améliore. C’est le résultat très direct de la politique monétaire que nous menons. Nous allons continuer, parce qu’elle est conforme à notre mandat sur la stabilité des prix et la cible d’inflation à 2 %, et parce qu’elle est bonne pour l’économie française et européenne.

Alexandra Bensaid - François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, merci d’avoir été sur France Inter.

François Villeroy de Galhau - Merci.

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
« Brexit : regardons les défis de façon lucide mais avec nos atouts ! »
  • Publié le 25/06/2016
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