Intervention de Denis Beau, Premier sous-gouverneur de la Banque de France
Mercredi 3 mars 2021
Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Dans le cadre de la mission que leur a confié le législateur de soutenir l’inclusion financière, la Banque de France et l’ACPR suivent l’évolution des services bancaires avec en particulier pour objectifs de veiller à l’équité de leur accès et de prévenir les difficultés financières pour leurs souscripteurs les plus fragiles. Je voudrais donc organiser mes observations sur l’évolution des services bancaires les plus courants, les comptes, les moyens de paiement, le crédit, au regard de ces deux objectifs, en 1/soulignant les points forts et d’amélioration de la situation actuelle et 2/les opportunités et les risques crées par l’accélération en cours de la numérisation des services financiers.
- La situation actuelle
- En terme d’équité d’accès, une récente enquête du CREDOC pour le Comité consultatif du secteur financier montre que la quasi-totalité de la population française dispose aujourd’hui d’un compte de paiement et que la situation sur ce point s’est améliorée depuis 20 ans. C’est je crois le résultat combiné d’une offre large des établissements bancaires français, qui s’est encore enrichie avec l’apparition de nouveaux acteurs et de l’attention constante des Pouvoirs publics à ce sujet : dès 1984, la Loi a institué le droit au compte, dont la mise en œuvre a été confiée à la Banque de France et qui concerne tant les particuliers – qui représentent 80% des bénéficiaires – que les professionnels ou personnes morales. L’an passé, ce sont un peu plus de 36.000 désignations de banques qui ont été réalisées par la Banque de France, au titre du droit au compte. Avec son corollaire, les services bancaires de base, c’est un outil d’inclusion financière qui demeure indispensable. La dynamique positive en terme d’équité d’accès bénéficie également de l’action de la Banque de France en matière de moyens de paiements, qui nous conduit à veiller à ce que tous nos concitoyens aient une liberté de choix en matière de moyens de paiement et bénéficient pleinement et en toute sécurité des innovations technologiques dans ce domaine. C’est tout l’objet également de la stratégie portée par le Comité national des paiements scripturaux, qui réunit l’ensemble des parties prenantes, dont d’ailleurs les entités présentes à cette table-ronde, et qui vise à stimuler et faciliter la modernisation des paiements au bénéfice de tous.
S’agissant des financements : il n’existe certes pas de droit au crédit. Mais un accès large qui favorise l’activité économique et l’insertion sociale est, là aussi, important. Concernant les ménages, la Banque de France promeut le principe du microcrédit, qui trouve une traduction tant pour des projets d’insertion sociale que pour des projets professionnels. Mais l’attention de la Banque de France est également forte vis-à-vis des entreprises et notamment des TPME : à cet égard, nos constats sont que de façon constante ces dernières années, les entreprises ont toujours eu un large accès au financement bancaire, et à des conditions de taux très favorables, y compris au regard aux autres pays européens. Pour les entreprises qui ne parviennent pas à obtenir la mise en place ou le renouvellement d’un crédit, la Banque de France assure la mission de médiation du crédit qui a connu une forte poussée des saisines en 2020 avec un taux de succès de l’ordre de 50%. Notre action a permis de compléter une couverture déjà très large de distribution du PGE en soutien aux entreprises pendant cette crise : plus de 130 milliards accordés à 650 000 entreprises (à 94 % des TPE-PME).
- En terme de prévention des difficultés financières, le travail réalisé depuis 2013 par l’Observatoire de l’inclusion bancaire a permis de sérieuses avancées. Ceci via la promotion et la mise en œuvre attentive d’un dispositif institué par la loi : l’identification des clients en situation de fragilité financière, le plafonnement des frais d’incident, qui a progressé à compter de 2019 avec les engagements des professionnels au profit des clients fragiles (au maximum 25 euros par mois) et de ceux d’entre eux titulaires de l’offre spécifique (20 euros par mois) et une offre spécifique de services bancaires (facturée au maximum 3 euros par mois). Cette volonté commune des pouvoirs publics et des acteurs privés a permis de faire avancer ce sujet important : plus de 3,4 millions de clients étaient identifiés comme fragiles fin 2019 ; bénéficiant ainsi des mesures de plafonnement des frais d’incidents pour ceux d’entre eux payant de tels frais, et 512 000 d’entre eux avaient souscrit l’offre spécifique, soit une hausse de 46 % en deux ans, et qui devrait se poursuivre.
- Dans ce contexte, quel impact peut-on anticiper de l’accélération de la digitalisation en cours des services financiers ? Cette accélération impulsée par la demande et par l’offre a été encore intensifiée par la crise sanitaire. Elle peut contribuer à améliorer encore l’accès aux services financiers, par exemple via des appareils mobiles, et grâce à la collecte et au traitement sécurisés de données de plus en plus nombreuses et de meilleure qualité, de concevoir des produits mieux adaptés et mieux tarifés au bénéfice des clients fragiles.
Mais l’accélération de la digitalisation est également porteuse de risques qui doivent être traités. Le premier a trait à la fracture numérique. Même si l’usage du digital s’est sensiblement accru au sein de la population française, il y a une fraction de la population pour laquelle la possibilité d’accéder aux services financiers de proximité, en présentiel, demeure non seulement importante mais parfois nécessaire. C’est pourquoi en matière de traitement du surendettement, de droit au compte, d’information générale du public sur les opérations et les pratiques bancaires, d’accompagnement des TPME, de médiation du crédit, la Banque de France conserve pour sa part une pluralité de canaux : internet, courrier, téléphone mais aussi, présence dans chaque département. Si on élargit le champ aux services bancaires, maintenir un bon équilibre entre numérique et proximité apparait utile et légitime, même si naturellement les décisions relatives à l’organisation des réseaux bancaires relèvent de la responsabilité des établissements eux-mêmes. Garantir l’accessibilité de tous aux moyens de paiement fait également partie intégrante de la stratégie nationale des paiements, dans un contexte où la sophistication des modes de paiement ou de leur sécurité ne doit pas compromettre leur utilisation par les populations les plus fragiles.
En tout état de cause, la qualité du service apportée au client ne doit pas être remise en cause. Ainsi, un point d’attention important pour l’ACPR est que la même qualité de conseil soit apportée lors des décisions d’investissement, de souscription de produits d’assurance, ou de crédits quel que soit le canal de distribution retenu (présentiel, numérique, démarchage téléphonique…) et quelle que soit la technologie utilisée (cf. conseil financier automatisé à base d’intelligence artificielle).
Un autre point d’attention a trait à la sécurité. La cyber sécurité des acteurs financiers est essentielle, en particulier celle des sites web et des applications pour smartphones sur lesquelles les clients passent leurs ordres et consultent leurs comptes. Plus généralement c’est même l’ensemble des environnements informatiques des établissements financiers qui requiert une protection élevée face aux risques d’intrusion informatique. L’ACPR, soit au titre de ses missions nationales soit en soutien de la Banque centrale européenne, pousse donc les établissements financiers à disposer d’un niveau de sécurité élevé.
L’ACPR contribue aussi à la lutte contre les arnaques financières, en mettant en garde le public contre les offres frauduleuses. Ces arnaques sont en forte augmentation, l’usage des vecteurs digitaux constituant un terreau favorable à la démultiplication des sites frauduleux, utilisant pour certains des visuels et caractéristiques très proches de ceux des acteurs dûment agréés, quand ils n’en usurpent pas carrément l’identité. Les entreprises comme les particuliers sont visés (cf. propositions frauduleuses de placement de trésorerie, arnaques au Président, etc.). En 2020 ce sont ainsi 1081 sites frauduleux qui ont été inscrits sur les listes noires des acteurs non autorisés publiées par l’ACPR.
Merci de votre attention.