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Audition de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, devant les Commissions des finances de l’Assemblée Nationale et du Sénat

Audition devant les Commissions des finances

de l’Assemblée Nationale et du Sénat

 

Mercredi 20 octobre 2021

 

François Villeroy de Galhau,

Gouverneur de la Banque de France

 

 

Il y a six ans, votre Commission m’a fait confiance pour exercer la responsabilité de Gouverneur de la Banque de France. Ce moment reste pour moi fondateur. Aujourd’hui, le Président de la République me fait l’honneur de vous proposer ma reconduction. Depuis six ans, nous avons très heureusement eu de multiples rencontres, vingt-quatre au total. Mais aujourd’hui, cette audition est différente ; c’est à mes yeux une étape démocratique essentielle, qui seule légitime l’indépendance : elle requiert le compte rendu du premier mandat que vous m’avez confié, et mon engagement sur le second que vous pourrez décider. Comme ce n’est pas une rencontre habituelle, je n’évoquerai qu’en conclusion de mon propos les enjeux économiques et monétaires du moment, et nous pourrons y revenir dans notre discussion.

Je souhaite d’abord vous parler d’une conviction parmi les plus fortes qui m’anime : le service public. En parler au nom des femmes et des hommes de la Banque de France, dont cette proposition de reconduction reconnaît avant tout le travail collectif. Et affirmer que le service public peut être un grand atout pour notre pays, plutôt que ce poids lourd et passéiste qu’on décrit trop souvent, malheureusement et injustement. À condition d’être en mouvement et non en conservation, ouvert sur l’économie et la société et non replié derrière ses procédures et ses guichets. À travers l’expérience de la Banque de France et de ses deux plans stratégiques : Ambitions 2020 – réalisé – et Construire ensemble 2024 – en cours –, nous croyons pouvoir dire sans prétention que le service public peut réunir quatre vertus : innovant dans ses missions, performant dans sa gestion, visible pour nos concitoyens, attractif pour ses managers et ses agents.

I. Innovant et utile dans ses missions : la Banque de France s’est d’abord attachée naturellement à soutenir l’économie et à maintenir la confiance à travers six années de fortes turbulences : du Brexit et des tensions internationales depuis 2016-2017, jusqu’à la crise Covid de 2020-2021. La confiance des Français dans leur monnaie, l’euro, a augmenté (de 67 % en 2015 à 74 % en 2021 1), tout comme la solidité de nos banques (le ratio CET1 des six grandes banques françaises est passé de 12 % à 15,4 % entre juin 2015 et juin 2021). Nous coterons en 2021 environ 310 000 entreprises et PME, contre 253 000 en 2015.

A ces missions cœurs s’ajoutent aux moins trois innovations majeures pour répondre aux attentes de nos concitoyens et de l’économie :

-   la lutte contre le changement climatique, où la Banque de France est reconnue comme pionnière en Europe : nous avons créé le réseau mondial NGFS (2017), publié le premier rapport annuel d’investissement responsable (2019), conduit avec l’ACPR les premiers stress tests climatiques sur les banques et assurances (2021). Nous aurons d’ici 2024 verdi la politique monétaire européenne, conformément à notre revue stratégique conclue en juillet autour de Christine LAGARDE. La Banque de France s’engage en outre sur sa propre neutralité carbone en 2030.

-   la digitalisation des moyens de paiement et des actifs. Nous avons déjà mené, tout en veillant à préserver l’égal accès aux espèces, neuf expériences de monnaie numérique de Banque centrale (MNBC), et participerons activement au projet de la BCE d’ici 2023 ; l’ACPR est désormais l’interlocuteur des Fintechs autant que des acteurs préexistants. Nous pousserons activement dans les prochains mois la régulation européenne des cryptoactifs.

-   l’éducation économique et financière des publics (Educfi), dont la Banque de France est opérateur national depuis 2016. Nous avons ouvert Citéco en 2019, participé au SNU en 2021 et voulons atteindre plus de 6 millions de Français d’ici 2024 à travers nos sites et portails dédiés.

Il y aura bien sûr dans les prochaines années d’autres changements imprévus à gérer : soyez assurés que la Banque de France aura la capacité à s’y adapter.

II. Performant dans sa gestion : un meilleur service public doit être rendu au meilleur coût. C’est pourquoi la Banque de France a réduit depuis six ans de 13 % ses dépenses nettes totales, soit 137 M€ d’économie d’argent public chaque année, et les gardera stables d’ici 2024, toujours en euros courants.

La diminution en six ans des effectifs de 22 % à 9 373 fin 2021 (et moins de 8 800 prévus fin 2024), s’est faite à mesure des départs en retraite tout en effectuant des recrutements importants, et en ajoutant certains services (cf. supra). Cette forte augmentation de notre productivité peut être une fierté collective, mais en rien une facilité : elle est passée par un gros effort de réorganisation de notre Réseau, par des investissements significatifs notamment informatiques, comme par un fort engagement professionnel des cadres et des agents. Les résultats de la Banque de France peuvent cependant fournir un enseignement utile pour d’autres services publics : les économies publiques, c’est possible. Il y faut notamment combiner la durée – des objectifs pluriannuels clairs, ici 2020 puis 2024 –, et une meilleure autonomie des dirigeants, responsabilisés sur des enveloppes de moyens globalisés par direction générale.

III. Visible pour nos concitoyens : la Banque de France est d’abord attachée à maintenir sa présence dans tous les territoires, avec durablement au moins une succursale par département. Ceci est compatible avec notre performance, dès lors que le traitement des dossiers – le back office – a été partagé dans des centres inter-départementaux. Je crois profondément à notre ancrage auprès des entrepreneurs et des particuliers, grâce au Réseau : je me suis déjà rendu dans 48 succursales durant mon premier mandat, et je m’efforcerai de visiter les autres durant le second.

La relation avec nos concitoyens passe aussi par une communication plus active, plus accessible en numérique, plus jeune via les réseaux sociaux. En 2021, la Banque de France s’est de plus attachée à casser l’image, le cliché plutôt, de la « tour d’ivoire » en organisant 15 rencontres nationales et régionales sur la politique monétaire, outre un dialogue spécifique avec votre Commission. Plus de 300 000 Français nous y ont rejoints pour un moment en ligne ; cette rencontre deviendra annuelle à partir de 2022. Nous voulons enfin améliorer la satisfaction de nos usagers sur onze services essentiels : elle est déjà de 86 % en moyenne, et devra dépasser 90 % d’ici 2024. Vous, représentants de la Nation contribuez grâce à nos échanges à accroitre nos services aux Français, et je veillerai à ce que la Banque de France soit toujours mieux à votre disposition en proximité.

IV. Attractifs pour ses femmes et ses hommes : la Banque de France continue à recruter massivement de nouveaux talents, pour 2 700 au total entre 2015 et 2024 ; elle le fait par des modes désormais diversifiés, concours et recrutements contractuels, pour s’adapter à un « marché » compétitif et à des attentes nouvelles des jeunes. Elle poursuivra parallèlement une forte action de promotion interne. Mais plus largement, conserver notre attractivité repose, bien plus que sur des protections statutaires légitimes, sur l’intérêt de nos missions et sur deux ambitions : (i) intéresser les agents aux gains de performance : nous l’avons fait en 2019 en associant l’intéressement aux économies sur les frais généraux ; nous poursuivons la rénovation de notre pacte social en remplaçant certaines pratiques anciennes (par exemple Gescco : comptes du personnel) par des avancées sociales attractives, comme la mise en place d’une prévoyance collective, résultant de notre dialogue social. Celui-ci a, par ailleurs, récemment abouti à la signature d’accords novateurs sur le télétravail ou la gestion des emplois et des parcours professionnels (ii) accroître notre attention aux conditions pratiques de travail : sur l’immobilier et le développement durable, les outils informatiques, la simplification des procédures internes et externes, la Banque de France se doit d’être un employeur du XXIe siècle, en pointe. Je tiens à le redire ce matin : les femmes et les hommes de la Banque de France ne sont pas des « privilégiés » : à la mesure de leur performance accrue, et de notre maîtrise des coûts, le pacte social est mieux justifié, et sera régulièrement modernisé.

***

Voilà, si vous m’accordez votre confiance, ce à quoi je crois, nous croyons, pour la Banque de France dans les années qui viennent. Je termine par quelques considérations rapides sur le contexte économique et monétaire du moment :

a) Sur la croissance et l’inflation, certains commentaires sont passés en quelques semaines de l’euphorie de la reprise à la crainte de la « stagflation ». Celle-ci est très clairement infondée : la reprise française et européenne reste très forte ; les difficultés liées d’approvisionnement et la crise de l’énergie entrainent incontestablement une poussée de l’inflation, mais celle-ci devrait être temporaire et redescendre sous 2 % d’ici la fin de l’an prochain. Nos concitoyens sont évidemment très sensibles à l’inflation, à la hausse des prix de l’énergie, mais notre responsabilité de Banque centrale est de regarder l’ensemble des prix, l’inflation totale ; l’énergie ne représente que 10 % du panier de consommation. Notre politique monétaire doit être vigilante, mais peut rester patiente. N’ayez pas de doute sur notre capacité et notre volonté de maintenir l’inflation autour de 2% à moyen terme. À terme, notre principal frein en France demeure les difficultés de recrutement, et l’insuffisance de l’offre de travail disponible pour les entreprises. C’est ici que se jouera notre capacité à passer d’une croissance autour de 1,25 % – comme avant le Covid – à 2 % en croisière.

b) Sur la réglementation bancaire, la proposition de la Commission sur la transposition de Bâle 3 est attendue d’ici la fin du mois. Je redis que cette transposition raisonnable est nécessaire au respect de la stabilité financière, et de l’engagement multilatéral de la France. Elle ne menacera en rien le bon financement de l’économie française, y compris l’immobilier et les PME. Sur les assurances, la récente proposition de la Commission d’actualisation de Solvabilité 2 nous paraît aller dans le bon sens.

c) Ceci me conduit à conclure plus globalement sur l’enjeu européen : l’Europe a dans l’ensemble bien géré la crise Covid et ses effets économiques. Une fois l’urgence passée, il faut pour autant plus que jamais renforcer son architecture. La zone euro doit encore compléter son Union monétaire, qui a prouvé sa résilience, par une Union économique, autour d’un stabilisateur public –une capacité budgétaire commune – et d’un stabilisateur privé – l’Union bancaire et tout autant l’Union des marchés de capitaux, pour mieux utiliser l’épargne privée abondante. Je crois plus largement à l’impératif d’une souveraineté économique européenne, si nous voulons réussir deux transformations décisives mais exigeantes : la transformation numérique – où l’Europe est en retard –, et la transformation écologique – où elle a une chance de conserver son avance. Au sujet de l’Europe, je veux saluer mon collègue et mon ami Jens Weidmann qui a annoncé ce matin son départ pour raisons personnelles. Il a joué un grand rôle pour maintenir la confiance dans l’euro à un niveau élevé en Allemagne et en Europe, tout au long d’une décennie mouvementée. Nous avons parfois eu des discussions, normales et toujours loyales, mais nous avons œuvré ensemble pour la nouvelle stratégie monétaire de l’EUSY et appelé plusieurs fois en commun à une Union des marchés de capitaux. Je vais beaucoup regretter au sein du Conseil des Gouverneurs un ami, bienveillant, artisan convaincu de l’Europe et connaissant bien la France. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions, et vous remercie de votre attention.

 

1 Source : Eurobaromètre Standard, Commission européenne, 2ème semestre 2015 et printemps 2021.

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AuditionFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Audition de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, devant les Commissions des finances de l’Assemblée Nationale et du Sénat
  • Publié le 21/10/2021
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