Mesdames et Messieurs,
C’est un plaisir d’être ici à Bruxelles et de m’exprimer devant un auditoire d’une telle qualité. Pour la génération des artisans européens qui est la mienne - j’étais à Maastricht il y a 25 ans - Tommaso Padoa-Schioppa est une figure presque mythique de ces grands Italiens qui menèrent aussi cette « quête kantienne de l’unité européenne »2. C’est donc un honneur pour moi de donner une conférence qui porte son nom. Il aurait certainement été très heureux du fait que la majorité des Français aient clairement exprimé leur attachement à l’euro à l’occasion de l’élection présidentielle française. Donner un nouvel élan au projet européen est en effet l’une des priorités du nouveau Président français. Et même si j’ai été invité il y a déjà plusieurs mois et si la Banque de France est totalement indépendante du gouvernement, j’aime à penser que ma présence ici ce matin est le signe d’un regain d’intérêt pour la voix de la France en Europe.
L’Europe se trouve une fois de plus à la croisée des chemins. La crise financière mondiale de 2007-2008 et la crise de la dette souveraine de 2011 dans la zone euro ont laissé derrière elles un manque de croissance, un chômage élevé et des dettes publiques énormes. En outre, la sécurité de l’Europe a été directement affectée par le fléau du terrorisme qui vise nos citoyens et nos valeurs et, par ailleurs, nous n’avons pas encore trouvé de solutions durables à la crise des réfugiés.
Et pourtant, en dépit de tous ces défis, le soutien à l’euro et à l’Union européenne demeure fort : d’après l’enquête Eurobaromètre, 72 % des citoyens de la zone euro se déclarent en faveur de l’euro, soit le niveau le plus élevé depuis 2004iii, et plus de la moitié des citoyens de l’UE se disent attachés à l’Union européenneiv. Les signes les plus clairs de ce soutien constant au projet européen - malgré le Brexit, au-delà du Brexit - sont les récentes défaites électorales des partis nationalistes et de leur euroscepticisme dans plusieurs pays européens. Chaque fois que survient la tentation d’un retour au nationalisme, nous devrions nous souvenir des pères fondateurs de l’Union européenne - parmi lesquels Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi. Ils partageaient la même devise : « plus jamais de guerre entre nous ». Dans le monde très incertain de 2017, et avec les flottements dangereux de la nouvelle Administration américaine, ceci est malheureusement toujours d’actualité : la paix reste la première promesse de l’Europe.
C’est la raison pour laquelle notre responsabilité commune est de poursuivre sur la voie de l’intégration européenne. Mais nous ne pouvons pas continuer comme avant. Les citoyens attendent des résultats concrets. Nous n’avons pas nécessairement besoin de plus d’Europe, mais plutôt d’une « meilleure » Europe : moins de paroles, plus d’action. L’Europe doit se concentrer davantage sur un petit nombre de projets et être plus efficace. En bref : « faisons peu, mais bien, et jusqu’au bout ». Il y a naturellement des domaines prioritaires non économiques tels que la défense, la sécurité des frontières, le changement climatique ainsi que l’éducation et la formation des jeunes – par exemple un programme Erasmus Pro pour l’apprentissage destiné à la jeunesse sans qualification ni emploi. Mais je mettrai l’accent aujourd’hui sur le domaine économique qui est, de toute évidence, mon domaine d’expertise en tant que banquier central. Qui plus est, il existe une relation forte entre la prospérité économique et l’attachement des citoyens à l’Europe. Les orientations que je propose aujourd’hui précisent et développent certaines idées que j’ai présentées ici même il y a un peu plus d’un an. Je suis très heureux que le document de réflexion de la Commission européenne sur l’avenir de la zone euro, publié hier, aille dans la même direction, malgré une certaine prudence compréhensible... À mes yeux, c’est un signe supplémentaire qu’il y a aujourd’hui en Europe une dynamique unique, que nous ne devons pas laisser s’essouffler.
J’aimerais insister aujourd’hui sur ce que je vois comme trois triangles économiques. Tout d’abord, nous avons résolu un premier triangle d’incompatibilité il y a 18 ans en réalisant notre union monétaire. À présent, nous sommes confrontés à un deuxième triangle d’incompatibilité, en raison des faiblesses de notre union économique. Par conséquent, je pense que nous devons désormais mettre en oeuvre un triangle de compatibilité pour doper la croissance de l’Europe et relancer le projet européen.
Le premier triangle sur lequel je souhaiterais m’attarder est le fameux triangle d’incompatibilité tiré du modèle Mundell-Fleming des années 1960, également appelé la « trinité impossible » ou le « trilemme ». Ce triangle a été utilisé pour faire valoir qu’il est impossible de concilier la fixité des taux de change, la mobilité totale des capitaux et l’autonomie de la politique monétaire nationale.
La « trinité impossible » :
Dès 1982, Tommaso Padoa-Schioppa a forgé le terme de « quatuor inconciliable »5 (quartetto inconciliabile), ajoutant ainsi à la trinité impossible un quatrième objectif, le libre-échange - un des piliers du Traité de Rome.
Le « quatuor inconciliable » :
Permettez-moi de citer ici une analyse éclairante de la Banque d’Italievi : « À première vue, cela peut sembler un choix surprenant, dans la mesure où du point de vue strictement analytique, l’incompatibilité entre les trois autres éléments persiste, qu’il y ait libre-échange ou pas. Mais dans un sens économique plus profond, il était primordial de prendre en considération les échanges commerciaux, dans la mesure où les coûts et avantages des différentes positions dans cet arbitrage triangulaire dépendent de façon déterminante du degré d’intégration commerciale ». Et comme l’écrivait Tommaso Padoa-Schioppa en 1988 : « À long terme, la seule solution à l’incompatibilité est de compléter le marché intérieur par une union monétaire. [Sinon], il serait irréaliste d’attendre de la Communauté qu’elle soit capable de réaliser la quadrature du cercle. »7. Le début des années 1990 a été en effet une période difficile pour le système monétaire européen : plusieurs pays ont été obligés de réaligner leur taux de change ou de sortir du système, comme par exemple l’Italie ou l’Espagne en 1992. C’est cette même année que l’Europe a choisi, avec le Traité de Maastricht, de progresser vers une union monétaire européenne.
Tommaso Padoa-Schioppa avait raison de croire à la création de l’euro et de la recommander. L’euro a été un grand succès, qui a apporté des bénéfices concrets. Premièrement, la stabilité des prix, qui est le principal objectif assigné à l’Eurosystème et qui bénéficie directement au pouvoir d’achat des citoyens de la zone euro. Durant les dix-huit années écoulées depuis l’introduction de l’euro (1999-2016), l’inflation s’est établie à 1,7 % en moyenne, contre 4,6 % au cours des dix-huit années qui avaient précédé son introduction (1981-1998). Deuxièmement, les taux d’intérêt plus bas, qui sont le corollaire de la confiance que les investisseurs placent dans notre monnaie et qui peut être mesurée par la baisse des écarts (spreads) de taux d’intérêt à long terme vis-à-vis de l’Allemagne, qui s’établit entre - 1,5 % pour la France et - 3,7 % pour l’Italie. Troisièmement, la stabilité interne du taux de change et un rôle international accru. Aujourd’hui, l’euro représente 20 % des réserves internationales, au deuxième rang derrière le dollar. Et avoir une monnaie reconnue au plan international procure des gains économiques : les marchés financiers sont plus attractifs pour les investisseurs nationaux et étrangers, plus liquides, et donc plus efficients. Mais cela confère également un poids politique : quand Mario Draghi prend la parole dans le cadre du G20, le monde entier écoute ce que l’Europe a à dire ; c’est un succès quasiment sans équivalent.
Des faiblesses sont apparues. Pour répondre aux attentes de la population, il faut identifier les défauts de notre union en regardant la vérité en face. Sur la croissance, nous devons distinguer l’image présente du film complet que nous avons vécu. L’image présente est positive : la zone euro accélère sa croissance et va aujourd’hui aussi vite que les États-Unis ou le Royaume-Uni. Mais ceci ne suffit pas à rattraper le retard des années passées : le film complet jusqu’à aujourd’hui montre une trajectoire cumulée de la croissance dans l’UE inférieure de 7,5 points de PIB à celle des États-Unis. Même mesurée par habitant, cette sous-performance s’établit à 5 points de pourcentage. Et l’on observe le même contraste en ce qui concerne la convergence entre pays. L’image présente, positive, est celle de divergences intra-zone fortement réduites, et à leur plus bas niveau depuis 1999. Mais le film complet jusqu’à aujourd’hui est celui d’écarts de revenu par tête qui se sont plutôt creusés, du fait des crises de 2009-2012.
Qui plus est, les États membres ont trop souvent tendance à agir isolément, sans tenir compte des externalités et de l’impact de leurs politiques sur les autres. Cela aboutit à une situation collective sous-optimale : d’après une étude des services de la Banque de France8, le coût d’opportunité lié à l’insuffisance de la coordination des politiques budgétaires à la suite de la crise serait compris entre 1 et 2 points de PIB dans la zone euro. En outre, le coût estimé des carences de coordination de nos politiques budgétaires et structurelles serait compris entre 2 et 3 points de PIB entre 2011 et 2013. Même si notre politique monétaire commune fonctionne bien, elle ne peut se substituer ni à la coordination des politiques économiques ni au manque de réformes. À Maastricht, notre objectif était de construire une Union économique et monétaire. Nous avons réussi l’Union monétaire, mais nous n’avons pas atteint nos objectifs s’agissant de l’Union économique.
Dès lors, en résumé, un nouveau trilemme est apparu.
Le trilemme actuel :
Il semble actuellement impossible pour les pays de la zone euro de réaliser complètement leur potentiel de croissance – le premier sommet du triangle – s’ils souhaitent en même temps atteindre les deux autres objectifs : d’une part, maintenir l’autonomie des politiques économiques nationales, et d’autre part, laisser inchangé le « cadre de coordination de la zone euro » c’est-à-dire maintenir le statu quo, avec une coopération entre pays reposant uniquement sur des règles sans institutions et sans stratégie commune. Nous devons renoncer à l’un des sommets de ce triangle pour réaliser les deux autres. Il me semble que la solution évidente pour les pays de la zone euro est de refuser le statu quo et de modifier le « cadre de coordination de la zone euro » dans le sens d’un renforcement de la coopération. Je vais maintenant vous détailler les grandes lignes de ce que je considère comme la voie à suivre.
Nous devons faire encore avancer l’Union économique, grâce à ce que j’appelle le « triangle de croissance ». Sa particularité est qu’il ne s’agit pas d’un triangle d’incompatibilité mais d’un triangle de compatibilité. Cela signifie que les trois objectifs peuvent et doivent être poursuivis simultanément pour procurer des gains économiques. Ces objectifs, ou leviers, sont : les réformes structurelles nationales ; l’Union de financement pour l’investissement et l’innovation ; et un dosage des politiques économiques dans la zone euro (policy-mix) reposant sur une meilleure coordination macroéconomique. Ils peuvent être mis en oeuvre rapidement, d’autant que nombre d’entre eux ne nécessitent pas de modifier les Traités.
Le « triangle de croissance » :
En tant que banquier central et européen convaincu, c’est ce que je crois nécessaire pour une « meilleure Europe ». Mais évidemment, la décision ne nous appartient pas et revient aux dirigeants politiques. Notre responsabilité, en tant qu’’Eurosystème, est de mener une politique monétaire conforme au mandat qui nous a été confié et de faire des propositions pour améliorer l’efficience des autres politiques économiques.
Le premier sommet de mon triangle de croissance est constitué par les réformes structurelles nationales. Elles sont une condition préalable pour que chaque pays retrouve sa crédibilité en Europe et pour libérer notre potentiel collectif de croissance économique. Leur intensité serait naturellement variable d’un pays à l’autre. La France et l’Italie, par exemple, affichent un retard qu’elles doivent rattraper, tandis que d’autres pays, notamment l’Allemagne, l’Espagne et les Pays-Bas, ont réussi à mener des réformes de grande ampleur et en tirent aujourd’hui les bénéfices en termes de croissance du PIB et d’emploi.
Je voudrais souligner que ces exemples montrent que la réussite économique est totalement compatible avec le modèle social européen que nous partageons, qui combine des normes élevées de service public et des niveaux d’inégalités plus faibles – beaucoup plus faibles, par exemple, que dans la société américaine. Et nous pouvons clairement escompter aujourd’hui une accélération des réformes en France : c’est une bonne chose non seulement pour mon pays, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble.
La réussite des réformes nationales serait amplifiée par leur combinaison avec deux réformes européennes – les deux autres sommets de mon triangle. La première réforme est microéconomique : la création d’une Union de financement pour l’investissement et l’innovation (UFII). La nécessité d’une telle Union de financement découle à la fois d’une faiblesse, la fragmentation financière persistante dans la zone euro, et d’une opportunité, l’excédent d’épargne par rapport à l’investissement dans la zone euro, à hauteur de 350 milliards d’euros par an. Une façon évidente de stimuler la croissance est donc de mieux orienter notre épargne abondante vers le financement de l’investissement et de l’innovation par-delà les frontières. Et cela suppose d’offrir aux entreprises davantage de solutions de financement par fonds propres. L’Europe est très en retard en ce domaine : ce type de financement ne représente que 68 % du PIB dans la zone euro, contre 128 % aux États-Unis au quatrième trimestre 2016. La création de l’Union de financement amplifierait l’incidence des réformes nationales : tandis que les réformes encourageraient la volonté d’investir des entreprises, l’Union de financement renforcerait leur capacité à investir, et ensemble, elles soutiendraient la dynamique microéconomique et la compétitivité.
Les efforts accomplis jusqu’à présent vont dans la bonne direction, mais les travaux doivent maintenant s’accélérer. Les fondations existent déjà : le plan d’investissement Juncker ; l’Union des marchés de capitaux, qui favorise la diversification du financement privé ; et l’Union bancaire, qui remédie au problème de la fragmentation. Ces initiatives doivent être rassemblées au sein de l’Union de financement pour l’investissement et l’innovation afin de transcender les frontières administratives ou bureaucratiques, de créer des synergies et par conséquent de donner un nouvel élan à ce projet. Pourquoi pas un véritable capital-risque européen, par exemple ?
Plus concrètement, les progrès vers une Union de financement pour l’investissement et l’innovation nécessitent de préciser les propositions dans quatre domaines clés :
en premier lieu, l’achèvement de l’Union bancaire. Cela implique, en priorité, de finaliser le second pilier de l’Union bancaire, c’est-à-dire la résolution unique. Dans le cadre d’une Union bancaire robuste, les banques de la zone euro seront ainsi en mesure de s’engager dans des consolidations transfrontières sur une base saine et solide et contribueront donc à réduire encore la fragmentation financière. Cela passe également par l’harmonisation des régimes de faillite des entreprises.
deuxième domaine clé : la révision en profondeur des dispositifs d’incitation aux investissements transfrontières, notamment par une plus grande convergence des régimes fiscaux et réglementaires.
troisième domaine : l’accroissement de l’offre de services d’intermédiation financière, que ce soit sous forme de nouveaux produits d’épargne (à plus long terme et plus orientés vers le risque) ou de nouvelles initiatives de marché en matière d’obligations vertes ou de placements privés, par exemple.
quatrième domaine : s’assurer que les activités financières et les risques vitaux pour les économies européennes sont correctement contrôlés, ce qui nécessite en particulier de relocaliser certaines activités dans l’Union européenne, comme les activités de compensation libellées en euros qui sont d’importance systémique pour la zone euro.
La seconde réforme au niveau européen est une ambition macroéconomique : un meilleur dosage des politiques économiques (policy-mix) de la zone euro, qui permettrait de compenser les désagréments à court terme liés aux réformes structurelles nationales, dans l’attente des bénéfices à long terme. Je veux être très clair : nous ne devons pas abandonner les règles existantes qui s’appliquent à chaque État membre, notamment le Pacte de stabilité et de croissance : les règles sont nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes. Ce qui nous manque à l’heure actuelle, c’est une direction commune, malgré les progrès apportés par la méthode du Semestre européen. Un bon dosage des politiques économiques de la zone euro nécessite une stratégie économique collective, par laquelle les États membres scellent un accord impliquant chaque pays. Il s’agit de viser, d’ici à fin 2017, des progrès évidents : la croissance et l’emploi seront plus forts en Europe si nous combinons davantage de réformes structurelles là où elles sont nécessaires – comme en France et en Italie – et davantage de soutien budgétaire ou salarial dans les pays disposant d’une marge de manoeuvre en la matière – comme l’Allemagne et les Pays-Bas.
Une autre mesure relativement facile à prendre serait la création d’un fonds commun de stabilisation représentant 1 à 2 % du PIB de la zone euro, qui nous fournirait une capacité de stabilisation macroéconomique. Je note que ceci converge largement avec la proposition de la Commission de créer un mécanisme de stabilisation macroéconomique pour la zone euro. Ce fonds commun de stabilisation serait utilisé, en respectant des règles efficientes – mais sans être subordonné à un programme d’ajustement, contrairement au MES –, pour réduire les déséquilibres macroéconomiques de la zone euro, en soutenant, par des prêts, les politiques contracycliques des États membres lorsqu’ils sont confrontés à des chocs économiques asymétriques. Le fonds serait lui-même financé par emprunt.
Pour concrétiser à coup sûr cette ambition, la zone euro aura besoin d’une pierre angulaire commune : une institution qui favorise la confiance. En effet, comme Tommaso Padoa-Schioppa l’a formulé : « la réalisation d’une cohérence complète et systématique des politiques [nationales] sans infrastructure institutionnelle est une utopie »9. C’est la raison pour laquelle le nouveau Président français a proposé la création d’un « ministre des Finances » de la zone euro, ce qui nécessite probablement de modifier les Traités existants. Ce ministre des Finances incarnerait et réaliserait l’engagement partagé de nos États membres. Comme j’ai également évoqué cette idée précédemment10, j’aimerais vous faire part de quelques idées personnelles sur le sujet. En respectant totalement le principe de subsidiarité, ce ministre des Finances devrait être : premièrement, fort sur le plan institutionnel, en étant à la fois le Commissaire européen à l’Économie et le Président de l’Eurogroupe ; deuxièmement, légitime sur le plan démocratique, en étant responsable devant le Parlement européen en formation adéquate ; troisièmement, appuyé sur le plan technique par un Trésor européen – reposant largement sur l’expertise des services de la Commission européenne – et par un Conseil de politique économique consultatif et indépendant, et coordonnant le Mécanisme européen de stabilité et la gestion de crise ; et enfin, reconnu sur le plan international comme le porte-parole économique de la zone euro, aux côtés du Président de la BCE sur le volet monétaire.
À plus long terme, à mesure que la confiance mutuelle entre les pays de la zone euro augmentera, il conviendra d’envisager une dernière étape pour réaliser notre capacité commune d’investissement : un véritable budget de la zone euro, géré par le ministre des Finances. Ce serait un outil puissant. Toutefois, ce budget de la zone euro ne doit en aucun cas être confondu avec une « union de transfert » à sens unique, et je comprends à cet égard les craintes allemandes. Il devrait potentiellement profiter à tous les pays de la zone euro, et pas seulement aux plus faibles, et trouverait son ancrage dans une convergence économique accrue. Il pourrait également servir à financer certains « biens publics européens » tels que la technologie numérique, la transition énergétique ou l’intégration des réfugiés. Il pourrait également comporter un système d’assurance-chômage à l’échelle de l’Europe. Et pour être efficace, il devrait pouvoir émettre directement une dette commune (pour l’avenir) et/ou collecter des impôts. Il s’agirait évidemment d’un « saut quantique » dans la nature de notre Union, qui exigerait une volonté politique résolue, mais c’est notre chance de faire vraiment changer les choses.
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Mesdames et Messieurs, je voudrais conclure en citant un citoyen britannique, qui a été un des plus grands Européens du siècle passé. Winston Churchill a dit en août 194911 : « Je suis certain qu’il est en notre pouvoir de surmonter les dangers qui nous guettent, si nous le voulons. Nos espérances et notre travail annoncent une ère de paix, de prospérité et d’abondance, et la richesse et le génie inépuisables de l’Europe la transformeront une fois de plus en source même et inspiration de la vie du monde. » L’Union européenne reste à ce jour une expérience politique et économique unique, sans équivalent dans l’histoire moderne. Et, dans le sillage du cycle électoral en Europe, l’année 2017 nous offre une fenêtre unique d’opportunités. Rien ne doit être tenu pour acquis, mais beaucoup est ouvert. Nous ne devons pas laisser échapper cette opportunité. Je vous remercie de votre attention.
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1- Je remercie Carine Bouthevillain, Bruno Cabrillac, Laure Carrel, Pavel Diev, Marine Dujardin, Pierre Jaillet, Eloïse Lecouturier, Céline Mistretta-Belna et Edouard Vidon pour leur aide dans la préparation de cette intervention.
2-« Tommaso Padoa-Schioppa: Economist, policy-maker, citizen in search of European unity », discours de Lorenzo Bini Smaghi, European University Institute, Fiesole, 28 janvier 2011.
3- Source : Commission européenne, Document de réflexion sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, mai 2017.
4- Commission européenne, Eurobaromètre Standard 86, automne 2016.
5- T. Padoa-Schioppa, « Capital Mobility: Why is the Treaty Not Implemented? », discours prononcé lors du deuxième Symposium des banques européennes, Milan, juin 1982.
6- Pietro Catte, The Reform of the International Monetary System, note préparée pour la Conférence en mémoire de Tommaso Padoa-Schioppa, Rome, 2011.
7- T. Padoa-Schioppa, The European Monetary System: A Long-Term View, dans F. Giavazzi, S. Micossi, M. Miller, The European Monetary System, Cambridge University Press, 1988.
8- Banque de France, « Coût des carences de coordination des politiques économiques dans la zone euro », Bulletin de la Banque de France, n° 211, mai-juin 2017.
9- T. Padoa-Schioppa, « Capital Mobility: Why is the Treaty Not Implemented? », discours prononcé lors du deuxième Symposium des banques européennes, Milan, juin 1982.
10- Cf. par exemple le discours à l’Institut Bruegel le 22 mars 2016 ou le discours prononcé devant le Comité des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen le 28 septembre 2016.
11- W. Churchill, place Kléber à Strasbourg, le 12 août 1949, jour de la première session de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe.