C’est un grand plaisir pour moi de participer à ces 25es Rencontres parlementaires de l’Épargne. Avant de répondre à vos questions, je voudrais partager avec vous un constat et quelques pistes de réflexion.
I- Le constat d’abord, c’est qu’en France, l’épargne est abondante mais qu’elle ne finance pas assez l’investissement et donc la croissance.
a) En France, l’épargne ne manque pas. Le taux d’épargne des ménages y est l’un des plus élevés de la zone euro, à 15,2 %1 au troisième trimestre 2015, contre 12,7 % dans la zone euro. Une forte majorité en est investie dans l’immobilier, mais près de 7 % des revenus des ménages sont utilisés pour réaliser des placements financiers. Ceux-ci représentent près de 4400 milliards d’euros d’encours à fin septembre 2015, soit deux fois le PIB.
b) Cependant, les épargnants français privilégient de plus en plus les placements sûrs, c’est-à-dire principalement les dépôts bancaires et l’épargne réglementée, en soi très liquide, et les fonds euros des contrats d’assurance-vie, essentiellement orientés vers des produits obligataires : 63 % du patrimoine financier des ménages au T3 2015 contre 56 % en 2006. En comparaison, le poids des actifs risqués2 dans le patrimoine des ménages est supérieur dans la zone euro à ce qu’il est en France (89 % du PIB contre 74 % au T4 2014), et près de trois fois et demie supérieur aux États-Unis (250 % du PIB). Une bonne part de l’écart avec les États-Unis s’explique par l’importance des fonds de pension, mais la détention d’actions par les ménages y est aussi nettement plus élevée.
c) Cela crée d’une part un rendement plus faible de l’épargne des Français, étant donné le contexte de taux d’intérêt bas, et d’autre part une perte de croissance économique, car l’épargne ne finance pas assez les investissements innovants des entreprises, qui nécessitent plus de fonds propres, au premier rang desquels les actions. Je voudrais vous donner à ce propos un chiffre de comparaison : aux États-Unis, les fonds propres nets des sociétés non financières représentent 123 % du PIB ; cette part n’est que de 52 % en moyenne dans la zone euro, c’est-à-dire plus de deux fois moins, et de 66 % en France. L’enjeu est donc le suivant : comment inciter les épargnants français à prendre davantage de risque raisonné, pour mieux financer notre économie ? Le contexte monétaire et financier conduit d’autant plus à renouveler la question : les taux sont bas et le resteront pour un temps significatif. Ne voyez pas ici un pronostic trop précis de politique monétaire, mais c’est ce qui est adapté aujourd’hui pour notre situation d’inflation, pour notre économie, et pour la croissance. Les taux bas représentent une incitation à la diversification de l’épargne, mais nous sommes tous conscients qu’il y a là des enjeux lourds. Je voudrais donc, sans prétendre encore à des conclusions tranchées, livrer trois lignes de réflexion pour ce débat nécessaire.
II – Il faut agir dans deux directions et veiller à une précaution essentielle.
a) Il faut d’abord répercuter progressivement la baisse des taux d’intérêt sur la rémunération de l’épargne sans risque. C’est pourquoi j’ai proposé la baisse des taux des nouveaux PEL, fixés à 1,5 % depuis hier, et c’est pourquoi il faudra poursuivre résolument la baisse des rendements de l’assurance-vie investie en fonds euro, au-delà des baisses annoncées cette année.
b) La deuxième direction, c’est le développement de produits nouveaux. Soyons clairs : les épargnants français et européens ne deviendront pas « américains » dans leurs comportements et leur appétit au risque. Ces différences transatlantiques ont des racines historiques, culturelles et sociologiques. Il ne nous appartient pas ici de les explorer, et moins encore de les transformer. Mais le débat français gagnerait à beaucoup mieux distinguer deux aspirations des épargnants dans leur aversion au risque : la sécurité et la liquidité. Sur la sécurité, c'est-à-dire la protection du capital, l'attachement des épargnants est fort. La pleine prise de risques, avec les perspectives de plus-values associées, restera donc sans doute le fait d'une minorité. Sur la liquidité par contre, avec la prolongation de la durée de vie, la baisse du taux de remplacement des retraites, ou encore l’accroissement des risques liés au grand âge, les Français ont de plus en plus des perspectives de long terme. Il faut donc pouvoir leur proposer des produits d’épargne adaptés : moins liquides, assortis ou non d’une protection en capital sur le long terme, et pouvant bénéficier du meilleur rendement des actions sur la durée. Et il faut à tout le moins éviter des distorsions fiscales au détriment de ces produits par rapport à l’épargne liquide et sans risque. Cette neutralité fiscale devrait, symétriquement, se retrouver du côté des entreprises financées : éviter de favoriser le financement par dette plutôt que par capitaux propres.
c) La troisième réflexion porte sur une précaution essentielle : il est important de renforcer la transparence et l’information des épargnants sur le couple « rendement-risque » de leurs investissements à différents horizons. C’est le rôle-même des intermédiaires financiers que de mutualiser l’épargne, c’est-à-dire d’assurer la transformation entre des passifs prudents - l’épargne - et des actifs plus risqués - l’investissement. Mais c’est le devoir des professionnels que de bien éclairer leurs clients sur la nature des investissements réalisés, y compris via les contrats d’assurance-vie multisupports (et notamment les contrats en unités de compte). Quant aux financements désintermédiés, comme le crowdfunding qui attire de plus en plus d’épargnants, ce sont là aussi des instruments utiles, mais leur commercialisation doit se faire en éclairant le client sur le risque pris et en l’incitant à diversifier son patrimoine.
Je conclurai par deux remarques plus générales :
Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.
1. Données brutes lissées sur 4 trimestres.
2. Les actifs risqués sont définis ici comme comprenant les titres de créances, actions cotées, actions non cotées et autres participations, titres d’OPC non monétaires, parts de fonds de pension et parts d’assurance-vie en supports UC. Les actifs non risqués regroupent le numéraire, les dépôts à vue, les dépôts à terme, les titres d’OPC monétaires et les parts d’assurance-vie en supports euros.