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« Pérennité de l’Union monétaire européenne et réforme institutionnelle. » - The ECB and its watchers conference – Francfort

Mesdames et Messieurs,

Pour assurer la pérennité de l’Union monétaire européenne à moyen terme, nous devons la rendre plus résiliente aux futures crises. Certes, le cycle économique actuel est très solide, mais cela ne durera pas toujours. Si nous voulons éviter de surcharger la politique monétaire lors de la prochaine récession, nous devons renforcer notre Union économique. Ces objectifs doivent constituer, y compris ici en Allemagne, les deux faces d’une même médaille. Afin d’assurer que la politique monétaire ne reste pas la seule partie à jouer (the only game in town), nous devons nous armer en nous dotant d’instruments économiques plus robustes au niveau européen. Cependant, au risque de manquer des occasions, le débat actuel sur l’avenir de la zone euro semble s’enliser dans des discussions sans fin, comme celles sur le système européen de garantie des dépôts (EDIS) ou la restructuration des dettes souveraines. Nous devrions plutôt concentrer nos efforts sur les nombreuses autres propositions qui sont plus consensuelles [slide]. Dans mes remarques aujourd’hui, je détaillerai les trois vieux clichés qui paralysent le débat et que nous devons dépasser pour faire progresser la zone euro. Mais avant cela, permettez-moi de dire quelques mots sur notre politique monétaire.

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Grâce à sa persistance et à sa patience, notre politique monétaire fait sa part du travail, comme l’a souligné Mario Draghi ce matin. Les questions soulevées dans le passé concernant tant son efficacité que notre stratégie possible de sortie ont apparemment perdu de leur intensité, et cela à juste titre. Nous avons confirmé la semaine dernière notre trajectoire de normalisation progressive, avec le retrait du prétendu « biais accommodant » sur l’APP.  Nous observons actuellement un alignement des étoiles bienvenu : dans le contexte économique d’une expansion robuste et de  progrès graduels de l’inflation, il existe une large convergence des anticipations de marché avec les vues exprimées au sein de notre Conseil des gouverneurs. À l’heure actuelle,  il n’existe que très peu de débat parmi nous. Mais cette convergence n’exclut pas la vigilance. Nous observons attentivement le rythme relativement lent de l’inflation – je crois que la courbe de Phillips est encore à l’œuvre, quoiqu’avec un certain retard – et les risques mondiaux, à commencer par la politique commerciale américaine et l’évolution du taux de change.

Permettez-moi d’aborder maintenant le cœur de mon message : la nécessité de renforcer notre Union monétaire en réalisant des progrès concrets sur l’Union économique. Il existe actuellement une fenêtre d’opportunité : la reprise économique est robuste, et de nombreuses propositions de réforme de la zone euro vont dans la même direction, notamment la feuille de route de la Commission de décembre 2017, le discours du président Macron à la Sorbonne en septembre dernier et, plus récemment, le chapitre européen de l’accord de coalition en Allemagne. Les résultats des récentes élections en Italie montrent que nous ne pouvons plus perdre de temps avec des débats théoriques. Notre rôle de banquiers centraux est de formuler des propositions, mais évidemment, la responsabilité de l’action incombe aux hommes politiques.

1/ Le premier cliché qui surgit lorsqu’on parle de réformer la zone euro est l’opposition entre vision – qu’elle soit française ou autre – et pragmatisme – considéré comme une vertu du nord de l’Europe. Nous devons être concrets et prendre comme point de départ les besoins réels, et notamment ceux des entreprises et des entrepreneurs. En même temps, il nous faut une ambition politique pour agir (appelez cela une « vision » si vous le souhaitez). Aujourd’hui, l’investissement et l’innovation constituent la clé de la croissance dans la zone euro. Mais pour innover, sur le digital, ou sur la transition énergétique par exemple, les entreprises doivent être capables de prendre davantage de risques, ce qui nécessite plus de financement par fonds propres, sur le long terme, plutôt que du financement par la dette. Dans ce domaine, la zone euro est très en retard : les fonds propres représentaient seulement 73 % du PIB au troisième trimestre 2017, contre 123 % aux États‑Unis. Ce constat m’amène à une première solution en vue de renforcer notre Union économique : une « Union de financement pour l’investissement et l’innovation » au niveau européen, qui mobiliserait mieux les 350 milliards d’euros d’épargne européenne excédentaire au service des fonds propres pour l’innovation, dans le digital ou les énergies renouvelables. Cette Union doit rassembler les initiatives existantes et d’abord, l’Union des marchés de capitaux, mais aussi l’Union bancaire et le plan d’investissement Juncker.

Il n’existe aucun obstacle politique sérieux à ce programme relativement technique. Au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, nous trouvons tous très regrettable que l’Union des marchés de capitaux soit actuellement oubliée et nous avons appelé jeudi dernier à prendre des « mesures spécifiques et décisives » dans ce domaine.

2/ Le deuxième cliché est l’idée complaisante selon laquelle l’action au niveau européen serait un substitut aux réformes nationales. J’affirme au contraire que les réformes nationales sont une condition préalable à tout renforcement de l’Union économique, et la France en est bien consciente. Je le dis en tant que banquier central totalement indépendant : le nouveau gouvernement mène les réformes structurelles avec une rapidité impressionnante. Les réformes nationales sont nécessaires mais elles ne sont pas suffisantes, car notre défi est le suivant : comment assurer la stabilisation et une meilleure allocation des ressources à l’échelle de la zone euro ? En ce qui concerne la stabilisation, je vois deux pistes. Premièrement, une meilleure stratégie économique collective au sein de la zone euro. Les États membres sont responsables de leurs politiques économiques, mais la zone euro a vraiment besoin de davantage de réformes dans les pays où elles sont nécessaires, comme la France, et de davantage de soutien budgétaire ou salarial dans les pays disposant d’une marge de manœuvre, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Deuxièmement, un instrument de précaution axé sur la stabilité afin non seulement de gérer les crises ex post, mais également de les prévenir ex ante. Cet instrument existe déjà, en théorie, dans la boîte à outils du MES, sous la forme de l’« Assistance financière à titre de précaution ». Il n’a cependant jamais été utilisé et pourrait probablement être amélioré, avec des règles claires et une forme de système de préqualification automatique, afin d’éviter tout effet de stigmatisation. Ce renforcement des instruments de prévention des crises pourrait faire partie d’une transformation plus large du MES et de sa gouvernance au sein d’un Fonds monétaire européen (FME).

La question de l’allocation des ressources doit également être traitée sérieusement. Afin de stimuler la croissance potentielle à long terme, les dépenses d’investissement et d’avenir sont indispensables, y compris dans l’éducation et la formation et, bien-sûr, les nouvelles technologies. C’est vrai dans les budgets nationaux, mais nous pourrions en amplifier l’effet par un budget d’investissement de la zone euro. Ce budget servirait à financer, au bénéfice de tous les États membres de la zone euro, certains « biens communs » dont le numérique, la transition énergétique, la sécurité et la protection de nos frontières extérieures. Comme tous les pays bénéficieraient de ce budget, ce serait exactement l’opposé d’une union de transfert. En résumé, je viens d’évoquer les accélérateurs de l’Union économique, sous les aspects micro, macro et budgétaire [slide].

3/ Cela m’amène au troisième et dernier cliché : nous devons cesser d’opposer réduction du risque et partage du risque ou, pour le formuler autrement, responsabilité et solidarité ou encore règles et discrétion. Ces valeurs créent un clivage stérile entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. Pour bien fonctionner, notre Union a besoin des deux : les mécanismes de réduction du risque et le partage du risque. Comme je viens de le dire, la prévention crédible des crises nécessite de mettre en œuvre une discipline budgétaire (notamment les règles actuelles du Pacte de Stabilité et de Croissance), mais aussi de disposer des instruments nécessaires pour amortir les effets de chocs asymétriques susceptibles d’apparaître brutalement, en dépit de tous les efforts accomplis par un État membre. Il est temps d’oublier la guerre de tranchée idéologique. Permettez-moi de partager avec vous quatre domaines où des progrès concrets sont nécessaires :

  • premièrement, le renforcement du partage du risque privé. Un moyen simple et évident d’y parvenir consiste à mettre en place l’Union des marchés de capitaux au sein de l’Union de financement mentionnée précédemment. Nous sommes encore très en retard sur les États-Unis où les marchés de capitaux sont capables d’amortir environ 40 % d’un choc spécifique à un État. De plus, une véritable Union de financement augmenterait encore l’efficacité de la politique monétaire en assurant une meilleure circulation de la liquidité dans la zone euro.
  • deuxièmement, le système européen de garantie des dépôts (EDIS). Nous avons réalisé deux avancées significatives avec les deux premiers piliers de l’Union bancaire, le Mécanisme de surveillance unique (MSU) et le Mécanisme de résolution unique (MRU). Nous devons encore, et cela doit être notre priorité, renforcer le MRU en mettant en place un filet de sécurité souverain pour le Fonds de résolution unique et un processus de prise de décision simplifié pour les cas urgents de résolution. Il est maintenant nécessaire d’aboutir à une certaine forme de compromis pour avancer sur le troisième pilier, le système européen de garantie des dépôts. Une approche appropriée et pragmatique pourrait consister en une première phase centrée sur les besoins de liquidité des systèmes nationaux de garantie des dépôts, comme la Commission européenne l’a proposé en octobre dernier. Nous n’avons pas besoin dès le début d’une garantie européenne intégrée.
  • troisièmement, la restructuration des dettes souveraines. Il est important et légitime de nous demander comment rendre la zone euro capable de de mieux résister aux crises des dettes souveraines, au cas où elles surviendraient. À cet égard, le renforcement de la discipline de marché peut être une partie de la solution, et les propositions émises en vue d’établir un mécanisme de restructuration de la dette souveraine se fondent sur cette idée. Cependant, nous devons être très prudents et nous assurer que cela ne devienne pas une partie du problème. Lorsque les règles sont rigides, les anticipations des marchés peuvent déclencher des réactions en chaîne brutales ou des attaques spéculatives et mettre la stabilité financière en danger. Et personne ne doit sous-estimer le « problème de la transition » sur les dettes existantes si une telle politique devait être annoncée.
  • quatrièmement, l’architecture institutionnelle de la zone euro. Si nous progressons sur le fond (sur les trois instruments que j’ai mentionnés), il faudrait un ministre des Finances de la zone euro pour les mettre en œuvre. Il serait président de l’Eurogroupe et membre de la Commission européenne, conformément aux propositions de la Commission européenne publiées en décembre 2017. À titre de compromis entre les règles et l’aspect discrétionnaire, ce ministre des Finances pourrait s’appuyer sur l’expertise d’une institution indépendante, comme un Comité budgétaire européen renforcé.

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Pour résumer, il est grand temps de prendre des mesures pragmatiques et décisives, au-delà des trois vieux clichés qui freinent les avancées vers une Union monétaire européenne plus pérenne. Ces clichés établissent une distinction stérile entre vision et pragmatisme, entre action au niveau européen et réformes nationales, et entre réduction du risque et partage du risque. Il existe trois solutions : premièrement, une « Union de financement pour l’investissement et l’innovation » ; deuxièmement, une meilleure coordination des politiques économiques complétée par un instrument axé sur la stabilité au sein du MES (ou du FME) ; et troisièmement, un budget d’investissement de la zone euro pour le financement des biens communs. Je vous remercie de votre attention.

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
« Pérennité de l’Union monétaire européenne et réforme institutionnelle. » - The ECB and its watchers conference – Francfort
  • Publié le 14/03/2018
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