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Panel Per Jacobsson - Remarques de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

C’est un grand plaisir pour moi d’être ici aujourd’hui. Je pourrais me faire l’écho d’une grande partie des propos de Jacob sur l’indépendance de la banque centrale et la stabilité financière, mais je ne vais pas revenir sur ces questions. J’emprunterai toutefois à Jacob sa métaphore de l’orchestre : en effet, il est bien un « homme-orchestre ». Il a joué de tous les instruments touchant à la recherche universitaire, à l’activité de banque centrale, au secteur privé et, plus important encore, c’est un virtuose de la sagesse, dont nous avons tant besoin en cette période délicate.

J’aborderai donc uniquement deux sujets : La politique monétaire non conventionnelle est efficace (I), mais nous avons également besoin d’autres politiques (II). Et je m’exprimerai d’abord brièvement sur le Brexit.

Nous regrettons cette décision, et j’adresse une pensée amicale à nos collègues de la banque centrale britannique, mais nous devons tous l’accepter et la respecter.

La priorité pour les autorités économiques et monétaires consiste maintenant à réduire l’incertitude et à favoriser la confiance, de deux façons au moins :

  • premièrement, en gérant le choc financier ; la coopération entre banques centrales a été efficace vendredi dernier ; ensemble, nous devons rester mobilisés et déterminés ;
  • deuxièmement, en préservant le bon fonctionnement de nos solides atouts européens ; je me permets de vous rappeler que, selon des enquêtes périodiques indépendantes, plus des deux-tiers des citoyens de la zone euro se déclarent en faveur de l’euro (68 % lors de la dernière enquête).

(I) Cela étant dit, permettez-moi de vous montrer que la politique monétaire non conventionnelle a été efficace, même si elle s’est apparentée à une interprétation musicale en solo. Je présenterai quelques éléments probants et certains résultats de recherche universitaire avant de traiter un exemple de préoccupation.

La preuve la plus élémentaire de l’efficacité de la politique monétaire non conventionnelle est qu’elle a contribué à éviter une répétition de la Grande dépression. Autre élément en ce sens, les États-Unis, qui ont été les premiers à utiliser massivement ce type de politique, sont maintenant les premiers à s’engager dans la sortie de crise. La zone euro est devenue l’épicentre de la crise quelques années après les États-Unis. Frappée par une série de chocs, elle a lancé plus tardivement un programme similaire d’assouplissement quantitatif. Les États-Unis ont donc montré la voie de façon efficace, comme l’illustrent les évolutions du ratio des actifs de banque centrale/PIB et de l’inflation américaine sous-jacente, qui est actuellement de 2 % environ [diapositive 2]. De toute évidence, la zone euro ne se situe pas au même point du cycle économique, mais nous suivons la même route s’agissant de politique monétaire.

Il est vrai que certains milieux universitaires craignent que le canal du taux d’intérêt soit plus efficace pour dompter l’inflation que pour la raviver. Ils considèrent que la politique monétaire « pousse sur une corde » (push on a string) quand on atteint le plancher effectif des taux d’intérêt, qui est légèrement inférieur à la borne zéro des taux. Cependant, de nombreuses études ne soutiennent pas cette vision des choses [diapositive 3].

Les instruments peuvent certes avoir changé quand on se situe au plancher effectif des taux d’intérêt; mais, par exemple, l’indication sur la trajectoire future des taux (forward guidance) qui resteront à des niveaux plus bas sur une période prolongée a aplati l’ensemble de la courbe des rendements. Dès lors, ni l’ampleur ni les délais de transmission des canaux monétaires ne semblent avoir été sensiblement modifiés, selon les recherches basées tant sur les travaux récents de la Banque de France et de l’Eurosystème que sur une évaluation interne de la littérature des mesures quantitatives. Je peux vous assurer que nos violons sont bien accordés et qu’ils jouent juste, même dans le registre de basse que représente le plancher effectif des taux d’intérêt.

Par conséquent, dans les grandes économies, il faut toujours au moins deux ans pour que les mesures de politique monétaire exercent leur effet maximal sur l’inflation et quatre ans lorsqu’il s’agit du niveau des prix. Les délais pouvant être plus importants dans la zone euro, où les marchés demeurent moins flexibles qu’aux États-Unis, il convient d’être patient pour évaluer pleinement l’effet des mesures récemment mises en oeuvre ou annoncées par la BCE.

Je vais évoquer à présent une préoccupation liée aux répercussions (spillovers) monétaires à l’étranger, même si les mandats des banques centrales sont nationaux. En d’autres termes, afin de préserver l’harmonie en l’absence d’un chef d’orchestre mondial, les différents violons pourraient avoir à jouer une partition commune. Les banques centrales des grandes économies avancées sont pleinement conscientes de la nécessité de tenir compte des répercussions, et, par conséquent, des rétroactions négatives, lorsqu’elles mettent en oeuvre des mesures dans un monde globalisé. Le parallèle avec l’écho acoustique est ici évident.

Cet écho économique est incorporé dans nos prévisions, mais, pour être honnête, pas de manière parfaite ; cependant, comme cela est souvent rappelé, le pire résultat serait que les États-Unis ou d’autres grandes économies avancées restent en récession ou y retombent. Par conséquent, que peuvent faire les autres membres de l’orchestre en cas de chocs intempestifs ? Ils doivent simplement continuer à jouer leur partition. C’est ce que nous avons fait dans la zone euro lorsque nous avons été touchés par les répercussions venues des États-Unis, comme par exemple durant la réduction progressive des mesures d’assouplissement quantitatif (taper tantrum). Nous devons également accroître notre résilience, grâce à d’autres mesures de politique économique.

(II) En effet, l’accumulation de facteurs défavorables ayant fait peser une charge trop importante sur la politique monétaire, il est nécessaire que des politiques qui ne soient pas du ressort des banques centrales jouent aussi leur rôle au sein de l’orchestre.

Je suis sûr que nous sommes tous d’accord sur le fait que la politique monétaire seule ne peut pas stimuler durablement le PIB potentiel. La nécessité d’avoir des finances publiques propices à la croissance et de procéder à des réformes structurelles a été soulignée depuis longtemps et Mario Draghi vient de prononcer à Bruxelles un discours convaincant sur la complémentarité des mesures monétaires, budgétaires et structurelles, associées à des réformes institutionnelles européennes. Permettez-moi d’indiquer « comment » l’orchestre pourrait jouer avant de donner un exemple de « ce qu’il devrait » jouer.

Des politiques fortes requièrent des institutions fortes, et des politiques mieux intégrées exigent également des institutions internationales et régionales plus fortes. Au niveau du G20 (comme au sein du Conseil de stabilité financière), un secrétariat permanent, pouvant impliquer le FMI, serait utile. Au niveau de la zone euro, j’ai plaidé, avec d’autres, en faveur d’un ministre des Finances commun afin de coordonner pleinement les politiques budgétaires et les réformes structurelles. L’enjeu n’est pas « plus de Bruxelles », mais « plus de croissance et d’emplois ».

La décision d’atteindre cet objectif relève des États, mais permettez-moi de souligner le lien évident entre deux constats que nous partageons probablement tous : 1- La politique monétaire ne peut pas être « la seule partie à jouer » (the only game in town) ; 2- L’Union monétaire souffre de l’absence d’Union économique.

Outre le rétablissement de la confiance, la nécessité de soutenir l’investissement constitue un bon exemple de partition que l’orchestre devrait jouer. Au-delà de l’« excès d’épargne » hérité des années 2000, notamment dans les économies de marché émergentes, ce graphique exposant le ratio de l’investissement rapporté au PIB dans les économies avancées montre une « panne de l’investissement » dans le sillage de la crise financière mondiale [diapositive 4]. Cette panne de l’investissement s’applique également à la zone euro. On observe une abondance d’épargne mais un manque de financement tourné vers l’investissement. Comme montré dans l’article de février que j’ai co-écrit avec Jens [Weidmann], une Union de financement et d’investissement devrait regrouper l’Union des marchés de capitaux, l’Union bancaire et le plan Juncker et permettre d’accroître la part du financement de l’innovation par émission d’actions.

Là encore, des réformes structurelles sont indispensables. Mais certains paradoxes économiques restent à expliquer. Afin de rééquilibrer la croissance et de stimuler l’investissement privé, il importe que nous comprenions pourquoi le rendement attendu des fonds propres des entreprises n’a apparemment pas diminué autant que le coût de financement de l’investissement a baissé grâce à la politique monétaire. Cela se perçoit dans le cas de l’Allemagne, prise ici comme exemple pour la zone euro [diapositive 5]. De même, aux États-Unis, l’estimation du rendement attendu des fonds propres reste tout aussi élevée et de nombreuses entreprises préfèrent racheter leur actions (ou distribuer des dividendes) plutôt qu’investir [diapositive 6].

En conclusion, la politique monétaire et les banques centrales sont interdépendantes des autres politiques et d’autres institutions, même si elles restent indépendantes bien entendu. Et pour montrer que nous, banques centrales, nous nous inquiétons à juste titre d’être « la seule partie à jouer », permettez-moi de citer l’archevêque Desmond Tutu qui a dit: « Comment peut-on avoir une équipe de football si tous les membres de cette équipe sont des gardiens de but ? Comment peut-on avoir un orchestre si tous les membres jouent du cor d’harmonie? ».

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Panel Per Jacobsson - Remarques de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France
  • Publié le 26/06/2016
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