Le pétrole a encore mis à l'épreuve, hier, les nerfs des Bourses mondiales. Mais le gouverneur de la Banque de France préfère mettre en avant la reprise solide dans la zone euro.
Le prix historiquement bas du pétrole a encore pesé sur les marchés hier...
C'est, en soi, une bonne nouvelle pour l'économie européenne. Mais la brutalité et la soudaineté du mouvement ont fait ressurgir l'incertitude, notamment sur certains pays producteurs.
D'où un doute sur leur capacité à rembourser leurs dettes.
Il n'y a pas un problème général des pays émergents, mais des situations délicates. Il y a ceux directement producteurs de pétrole comme la Russie, le Venezuela, les pays du Proche-Orient. Le Brésil est à la fois producteur et en proie à des difficultés internes. Quant à l'Inde, elle est la vedette de l'économie mondiale, avec une croissance supérieure à 7 % attendue en 2016.
Les soubresauts des Bourses chinoises relancent-ils les craintes d'une nouvelle crise ?
Il ne faut pas que notre jugement sur l'économie réelle soit dicté par les lunettes des marchés financiers qui, par nature, ont tendance à être très volatils. Leur valeur instantanée n'a pas nécessairement une grande signification. Au-delà de ces soubresauts, le jugement doit être à plus long terme et fondé sur la solidité de la reprise. 2016 ne sera pas 2008. Les banques sont beaucoup plus robustes du fait des règles que nous leur avons imposées.
La Chine est-elle un maillon faible ?
La transition en Chine va aller vers un modèle plus tiré par la consommation intérieure et les services. Ce sera une route accidentée, mais l'économie chinoise reste forte, avec plus de 6 % de croissance attendus en 2016.
Un taux à faire rêver en Europe ?
Si l'économie américaine paraît assez robuste - ce qui a conduit la banque centrale américaine à relever ses taux d'intérêts - en zone euro, nous avons une reprise qui se confirme autour de 1, 7%. En France, elle sera de l'ordre de 1, 4%.
Le rachat de dettes par la BCE et l'injection massive de liquidités, n'est-ce pas dangereux pour l'économie ?
Aujourd'hui, nous avons 0 % d'inflation en Europe. C'est notre mandat d'agir ainsi pour aller vers la cible de 2 % d'inflation à moyen terme, en soutenant au passage la croissance.
Comment transformer la croissance en reprise plus forte ?
Partout, la croissance repose d’abord sur les entrepreneurs et les entreprises. C’est pourquoi, il faut miser sur l’accélération de l’investissement durable des entreprises, en France comme en Europe, en vue de transformer la reprise en croissance plus forte, plus durable, plus créatrice d’emplois.
On compte beaucoup sur les banquiers centraux mais la machine ne repart pas. Aux gouvernements d’amplifier le changement ?
Absolument. Au-delà de la politique monétaire, nous rappelons régulièrement aux gouvernements européens, y compris à la France, qu’il est nécessaire d’amplifier les réformes. Quand vous regardez les taux de croissance en Europe, ceux qui ont les plus élevés sont ceux qui ont réformé à des moments divers et sous des majorités politiques les plus diverses : la Suède des années 90, l’Allemagne des années 2000, plus récemment l’Espagne. Les réformes donnent davantage de croissance et d’emplois en Europe. C’est ce que nous voyons aujourd’hui très concrètement.
Vous estimez qu’en France ça ne change pas assez vite ?
La France peut et doit faire mieux pour sortir du chômage. Il y a eu des réformes déjà prises et qui vont dans le bon sens dont le Pacte de responsabilité et le Cice. Mais les chômeurs et les jeunes n’ont pas le temps d’attendre les divers calendriers politiques. C’est pourquoi, il faut tenir bon sur un certain nombre de réformes comme sur le coût du travail par exemple. Nos voisins européens, qui ont réussi dans leur entreprise, n’ont pas eu à renoncer à leur modèle social. Il ne faut pas se disperser, ne pas s’arrêter mais agir en continuité et sur la durée. Nous sommes dans un monde qui peut être court-termiste, il faut donc se montrer persévérant…
La France a des marges de progrès importantes ?
Elle a surtout beaucoup d’atouts pour affronter la compétition européenne et mondiale : sa démographie, sa capacité d’innovation, son tissu d’entreprises, ses start-up et la French tech. Mais en utilisant les expériences réussies de ces voisins européens, elle doit évidemment accélérer et lancer une mobilisation générale pour la croissance et l’emploi. Les conditions sont favorables avec des taux d’intérêts bas, le prix du pétrole, le taux de change de l’euro… Mais cela suppose des réformes du côté public et une mobilisation de tous y compris des entreprises sur l’investissement. Il faut aussi que nous ayons un peu plus confiance en nous et en l’avenir.
Les Français aiment l’entreprise et notamment les TPE et PME souvent en souffrance. Que faire pour les aider ?
Dans chaque succursale de la Banque de France de chaque département, nous allons nommer un correspondant TPE de façon à pouvoir conseiller les dirigeants des TPE qui peuvent avoir des difficultés dans leurs relations avec les banques. Même si globalement, le crédit bancaire fonctionne bien en France, il y a un point de tension sur les TPE. Autre sujet de préoccupation, les ETI : Quand on regarde la taille des entreprises en France, notre grand défi est dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Et là, cela renvoie au problème des fonds propres dans les entreprises françaises. Les renforcer, dans l’économie française et européenne, est une priorité.
Via une épargne plus incitative vers l’entreprise ?
Faire que les intermédiaires financiers puissent proposer à des épargnants des produits adaptés à durée longue, assortis ou non d’une garantie en capital et avec une fiscalité favorable, je crois que c’est très souhaitable en effet. Vous êtes à Rennes aujourd’hui et vous citez la Bretagne en exemple pour son dynamisme entrepreneurial… L’ensemble de l’économie française a beaucoup à apprendre des réussites économiques de la Bretagne qui fonctionne en réseau. Je ne nie pas un certain nombre de difficultés qui existent. Nous savons que nous pouvons aussi réussir sur le plan économique. C’est important de le dire dans un pays qui parfois broie du noir, et la Banque de France est au service des PME sur le terrain.
Les banques ont-elles tiré les leçons de la crise de 2008 ?
Les banques européennes ont dû s’adapter à des réglementations beaucoup plus exigeantes qu’avant la crise. C’est le travail que nous avons fait avec Bâle sur le plan international et puis, à l’intérieur de l’Europe, avec toutes les règles nouvelles à adopter. Le capital des banques françaises, rapporté à leurs engagements pondérés par les risques, était de 6 % en 2007, il est de 12 % aujourd’hui. On a des banques françaises qui sont deux fois plus solides qu’avant la crise.