Je suis très heureux de vous accueillir aujourd’hui pour cette nouvelle conférence de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Après le lancement du Forum FinTech et la création d’un pôle FinTech-Innovation, nous voulons en effet continuer à accompagner l’innovation dans le secteur financier. Je sais que beaucoup des FinTech françaises sont présentes dans la salle et je m’en réjouis. C’est la démonstration du dynamisme de l’industrie financière française et du savoir-faire de ses entrepreneurs.
Pour fournir à chacun d’entre vous les repères utiles au développement de vos entreprises et à la réussite de vos projets innovants, les services de l’ACPR vous présenteront ce matin notre action à l’égard des FinTechs – de l’agrément au contrôle. Je veux quant à moi replacer les FinTechs dans le contexte plus large de la révolution digitale qui bouscule l’ensemble du secteur financier. J’aborderai trois questions : en quoi la révolution digitale est-elle un défi pour les établissements financiers ? Comment, en pratique, peuvent-ils y répondre ? Et comment la réglementation et la supervision s’adaptent-elles ?
1. D’abord, en quoi la révolution digitale est-elle un défi ?
L’innovation n’est pas une histoire nouvelle pour le secteur financier : les distributeurs automatiques, les cartes bancaires, l’informatisation et internet ont été à l’origine de profondes mutations du secteur. Ce qui est fondamentalement nouveau aujourd’hui, c’est la vitesse avec laquelle les nouveaux usages digitaux se diffusent. S’il est symbolique et forcément réducteur, un chiffre me paraît illustrer cette accélération : c’est celui de la fréquentation des agences bancaires qui bouscule le modèle historique de la relation clientèle. En 2007, 62 % des Français fréquentent leur agence plusieurs fois par mois. Ils ne sont plus que 52 % en 2010 ; et, en 2016, ce chiffre est tombé à 20 %, et même 13 % seulement pour les 18-34 ans1.
La révolution digitale que nous vivons aujourd’hui n’est pas sans risques : le risque tout d’abord pour les acteurs établis de perdre des parts de marché et de voir s’amoindrir leurs sources de revenus, ce d’autant plus que le digital se prête moins au modèle éprouvé de cross-selling et d’optimisation par client ; les risques d’exécution ensuite, qui sont inhérents à toute transformation d’envergure y compris sur la qualification et la motivation des personnels ; et enfin les risques plus spécifiquement liés à la finance digitale, comme la cybercriminalité et les risques opérationnels liés à la conservation et à l’usage des données personnelles. C’est pourquoi l’ACPR et la Banque de France sont très vigilants.
Mais la révolution digitale crée aussi pour le secteur financier des opportunités qu’il faut savoir saisir : celles de rendre le système financier plus sûr, la conformité aux exigences réglementaires et la lutte contre la fraude plus efficaces – ce qu’on appelle la « RegTech » –, les services financiers plus nombreux et plus accessibles, la satisfaction des clients plus complète, la protection de leurs intérêts mieux assurée. Dans les transformations en cours et à venir, la révolution digitale peut reconstruire ce que la crise financière avait en partie détruit : une confiance renouvelée entre les Français et leurs acteurs financiers.
2. Comment, en pratique, répondre à ce défi ?
Dans ce nouvel environnement, les banques et les assurances sont face à des choix stratégiques difficiles. Les réponses ne sont ni évidentes, ni uniformes ; et il va de soi que ce sont les établissements qui restent pleinement maîtres de leurs orientations stratégiques. Je veux toutefois partager avec vous quelques pistes d’évolution, essentiellement sur les banques même si les assurances sont concernées également mais différemment. Je le ferai autour de deux questions : quel business model pour répondre à la révolution digitale ? Et quelle gestion stratégique ?
a. D’abord, quel business model ?
Face à l’accélération de la transformation digitale, il ne faut pas oublier que les établissements français ont des atouts indéniables. Ils disposent d’une clientèle large, de données nombreuses et bien sécurisées, d’une forte expérience dans la gestion des risques et la conformité aux exigences réglementaires. Et je suis convaincu que le conseil humain continuera à être un socle indispensable dans la relation client. L’adaptation des business models à la révolution digitale nécessite cependant de mener une réflexion d’ensemble : à la fois du côté des revenus et du côté des coûts. Et ce d’autant plus que deux autres environnements concomitants – le contexte global de taux d’intérêt bas et les évolutions réglementaires – ont certes des justifications fortes mais accentuent encore la pression sur les établissements financiers.
Côtés revenus, une des réponses aux évolutions en cours peut venir de la diversification des services – propres ou en partenariat – proposés aux clients, comme de l’évolution éventuelle de leur tarification : avec moins de prix fixes et davantage de tarification à l’usage. Dans l’environnement actuel, la pluralité des activités est une force pour les établissements financiers. La banque de détail, fortement valorisée juste après la crise financière, semble davantage souffrir aujourd’hui. Il faut je crois relativiser ces cycles stratégiques, voire ces modes. Mais incontestablement les business models diversifiés entre banque de détail, banque de financement et d’investissement et services financiers spécialisés – tels que développés par beaucoup de banques françaises – permettent à la fois de mieux faire face aux chocs spécifiques et d’assurer des sources de revenu variées.
Côté coûts, les plans de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences doivent être un levier central de transformation. En effet, mieux ces mutations sont anticipées, mieux elles se dérouleront sur le plan social. La révolution digitale nécessite des compétences et des qualifications spécifiques dont l’importance sera croissante – dans le domaine des technologies numériques ou de l’analyse des données par exemple, mais aussi de la nouvelle relation client.
b. Ensuite, quelle gestion stratégique ?
De toute évidence, pour faire face à la transformation digitale, l’innovation doit être au coeur des choix stratégiques à venir des établissements financiers. Elle passe d’abord par une gouvernance forte, pour incarner la culture de l’innovation au plus haut niveau et la diffuser à l’ensemble de l’entreprise (le « tone from the top » anglo-saxon). Elle passe aussi naturellement par une ouverture vers l’extérieur : le développement des partenariats avec des FinTechs, ainsi que les relations avec le monde académique, sont des clés pour accroître le potentiel d’innovation.
Mais le choix de l’innovation se joue également au niveau des systèmes d’information. La transformation numérique appelle des investissements importants dans ce domaine, à la fois pour fournir un service toujours plus adapté aux clients, pour réduire les coûts structurels et pour renforcer la conformité aux exigences réglementaires. Les systèmes d’information devront être d’une part plus sûrs, pour offrir une protection forte contre les cyber-risques, et d’autre part plus souples et plus propices à l’inter-connectivité : nous savons tous comme cette tension est difficile. Mais la flexibilité des systèmes d’information doit permettre aux établissements de mieux associer les partenaires extérieurs mais aussi de mieux valoriser, pour leurs propres besoins et dans un cadre de conformité exigeant, les données de leurs clients.
3. Les établissements financiers ne sont pas les seuls à s’adapter à la finance digitale. La réglementation et la supervision s’ajustent aussi.
Face à l’émergence de la finance digitale, la réglementation doit répondre à un double impératif : s’adapter pour ne pas brider l’innovation, mais continuer à garantir un haut niveau de sécurité des transactions et de protection des consommateurs. Le cadre réglementaire a évolué en ce sens en 2016, notamment pour permettre le recours à la technologie « blockchain » dans plusieurs domaines : comme moyen d’enregistrement et de conservation des nouveaux outils de financement participatif appelés minibons, et également comme moyen de gestion des titres non cotés – ce dispositif issu de la loi Sapin 2 doit être précisé par une ordonnance à venir. Les acteurs français peuvent et doivent se saisir de ces évolutions législatives pour poursuivre leur développement et tester ces nouvelles technologies en conditions réelles. En parallèle, les autorités de supervision restent très vigilantes. L’ACPR vient par exemple de publier une recommandation sur l’usage des médias sociaux à des fins commerciales2. Nous tenons, comme vous, à ce qu’il n’y ait pas de distorsion structurelle de concurrence par la réglementation entre les acteurs existants et les nouveaux entrants : oui à la proportionnalité des règles, mais non à leur iniquité.
Au-delà de la nécessaire adaptation de la réglementation, la transformation digitale nous conduit à modifier nos pratiques de supervision. L’ACPR s’est structurée pour rester en phase avec les évolutions du secteur financier et anticiper celles à venir : elle a créé cette année un pôle dédié aux FinTechs et à l’innovation, en collaboration étroite avec l’AMF, et elle anime le Forum FinTech pour un dialogue constructif avec tous les acteurs du domaine.
Enfin, la révolution digitale conduit la Banque de France et l’ACPR à se transformer aussi. Nous sommes convaincus que l’innovation est un atout, que nous devons mettre au service de nos missions de stabilité financière et de protection des consommateurs. Thierry Bedoin, le nouveau Chief Digital Officer de la Banque de France, vous en parlera en fin de matinée.
***
Notre engagement comme régulateur et comme superviseur est donc clair : nous voulons à la fois davantage d’innovation et davantage de sécurité. Dans ce contexte de profonde mutation du secteur financier, je dois terminer ici par une alerte : il est essentiel que les ressources affectées à l’ACPR ne soient pas plafonnées à des niveaux incompatibles avec la poursuite de ses actions. De ce point de vue, la proposition dans le PLF pour 2017 d’un abaissement de 3 millions d’euros de ces ressources est inopportune : prélever, pour la première fois, sur les cotisations de supervision des banques et assurances pour abonder le budget général serait d’autant moins justifié que les moyens de l’ACPR sont d’ores et déjà plus limités que ceux des superviseurs des autres grands pays européens comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni3. Il est plus que jamais indispensable que l’ACPR reste forte et efficace. La sécurisation du système financier, la protection des consommateurs, la lutte contre les cyber-risques, le blanchiment d’argent ou encore le terrorisme – toutes missions que nous demandent légitimement le Parlement et nos concitoyens – en dépendent. Soyez assurés de notre détermination à les mener, a fortiori en environnement digital. Je vous remercie de votre attention et vous souhaite une excellente conférence.
-------------------------------------------------------------
1 Sources : Fédération Bancaire Française, Observatoire 2016 de l’image des banques réalisé par l’institut BVA au moyen d’une enquête réalisée en mai 2016, et Observatoire 2015.
2 Recommandation 2016-R-01 du 14 novembre 2016.
3 En 2015, le budget de la BaFin était de 235 millions d’euros (sans compter les ressources de la Bundesbank pour ses missions de contrôle bancaire), celui de la PRA de 253 millions de livres (exercice du 1er mars 2015 au 28 février 2016), soit 20 millions de plus que l’année précédente, contre des moyens d’au plus 200 millions d’euros pour l’ACPR en 2016.