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« Le plus grand risque à moyen terme est le protectionnisme. » - Le Figaro

 

Interview de François Villeroy de Galhau – Gouverneur de la Banque de France

LE FIGARO – 23 avril 2018

 

Jean-Pierre Robin – LE FIGARO : L’économie mondiale est euphorique avec une croissance de 3,9 % en 2018 et en 2019 selon le  FMI. Quelle est la solidité de ces prévisions ?

François Villeroy de Glahau : C’est une croissance solide et la reprise est générale dans l’ensemble des régions du monde, malgré une pause relative dans beaucoup de pays au 1er trimestre 2018.
Mais au-delà de cette visibilité sur les deux prochaines années, l'économie mondiale fait face à des risques accrus, comme l’ont souligné nos discussions.


Quels sont ces risques à moyen terme ?

Le plus grand est incontestablement le protectionnisme. Si on en venait à des mesures effectives et à une escalade des droits de douane, les effets économiques négatifs seraient significatifs. 
La Banque de France comme plusieurs organisations internationales ont estimé un premier ordre de grandeur : si les droits de douane devaient se généraliser et augmenter de 10 %, on aurait partout  une hausse significative des prix importés, et donc des pertes de pouvoir d’achat. On assisterait alors à une baisse du PIB mondial d'au moins 2 %. 

Par ailleurs, avant même des mesures effectives, l’incertitude sur le commerce mondial risque de peser sur l’investissement. On l’a bien vu depuis que le Brexit a été voté : sans qu’il n’y ait eu encore aucune restriction sur le commerce, le climat d’incertitude a pénalisé l’investissement en Grande-Bretagne. C’est ce qui risque de se passer aujourd'hui au Canada, puis aux États-Unis ou ailleurs.


Le protectionnisme est le risque principal, mais pas le seul ?

En effet, un risque peut en cacher deux autres. Deux risques de trop grande complaisance : sur la dette qui augmente toujours rapidement, et sur les réformes qui a l'inverse sont trop lentes.  "C’est quand il fait beau qu’il faut réparer le toit" : le FMI a répété cette formule de JF. Kennedy.
Ce serait aujourd'hui faire preuve  d'aveuglement, dans beaucoup de pays, que de ne pas profiter de la bonne conjoncture pour réduire la dette et mener les réformes. 

Dix ans après la crise mondiale de 2008, qui a été une crise de l’endettement, comment comprendre que la dette publique et privée atteignent à nouveau des records ? La leçon n’a servi à rien ?

Il y a eu certes des progrès depuis dix ans, d’abord sur la sécurité financière, avec des règles qui ont été considérablement renforcées sur la finance. Sur ce sujet, les États-Unis maintiennent heureusement leur engagement international. En particulier – et j’ai rencontré le nouveau président de la Fed Jay Powell –, ils s’engagent à appliquer pleinement les accords de Bâle III, finalisés en décembre dernier sur le renforcement des ratios de fonds propres et de liquidité des banques.   Certains progrès sont aussi constatés sur la dette, avec une baisse de l’endettement privé dans la plupart des pays avancés, et même un reflux de la dette publique chez certains. Mais l’endettement total, y compris les pays émergents, qui atteignait déjà près de 200 % du PIB mondial en 2007, avant la crise, dépasse hélas aujourd'hui  220 %. 


Les taux d’intérêt très bas voulus par les banques centrales ne constituent-ils pas un pousse au crime ?

Après la crise financière, les banques centrales ont rempli leur mission. Il fallait combattre le risque de déflation, qu'on craignait encore récemment dans les réunions internationales et qui avait miné les années 1930.  Notre responsabilité est aujourd’hui de mener une politique de normalisation progressive et prévisible,  avec une communication claire préparant la remontée des taux d'intérêt.

Les banques centrales font leur part du travail. Les autres acteurs doivent faire la leur pour contribuer au désendettement : les gouvernements en réduisant les déficits budgétaires,  les banques et les marchés financiers en maîtrisant les risques et en ne promouvant qu'un endettement soutenable.

Où se situent les vrais risques, au niveau des gouvernements, des entreprises, des particuliers ? Et qu’en est-il de la France ?

La France, cela a été salué, est aujourd'hui exemplaire sur l'accélération des réformes. Mais il nous faut comme les autres être vigilant sur la dette. Les réductions de déficits et de dette publique que vient d'annoncer le gouvernement pour 2022 sont nécessaires, et elles impliquent un ralentissement sensible des dépenses publiques. Nous devons également veiller à la dette privée, celle des ménages et des entreprises, qui croît à près de 6 % par an. C'est la mission du Haut conseil de stabilité financière, présidé par Bruno Le Maire. A la réunion de juin prochain, nous regarderons s’il faut adopter des mesures supplémentaires. En décembre 2017 nous avions déjà pris des mesures "macroprudentielles" concernant les grandes entreprises. Aujourd’hui la hausse des crédits porte sur l’ensemble des emprunteurs privés.

Que faut-il craindre le plus, le surendettement des pays  pauvres ou la Chine et les États-Unis pour lesquels le FMI a lancé des mises en garde ?

Les pays les plus pauvres présentent un risque global limité, mais nous ne pouvons pas nous résigner à voir l'Afrique à nouveau surendettée. Les défis décisifs sont chez les deux poids lourds mondiaux : la Chine doit mener une transformation structurelle vers une économie de marché ouverte ;  les États-Unis sont tentés par des facilités de court terme, budgétaires et protectionnistes.

La relance budgétaire et fiscale américaine présente un danger pour le monde comme le craint le FMI ?

Pour échapper à la surchauffe, tout le pari repose sur la relance de l’investissement des entreprises, qui renforcerait durablement le potentiel de croissance américain. Beaucoup ont ici des doutes, d'autant que les incertitudes protectionnistes risquent d'affecter les projets des entreprises.

Les conflits commerciaux risquent-t-ils de déboucher sur une guerre des monnaies ?

Il est essentiel d’éviter toute guerre commerciale, mais il n’y a pas aujourd’hui de signe de guerre des monnaies. Les taux de change sont relativement stables, nous y restons attentifs, et il y a eu  l'engagement réaffirmé de tous les États membres du FMI -y compris les États-Unis et la Chine - de ne pas utiliser l’arme des monnaies pour des dévaluations compétitives.

Du point de vue français à quoi ont servi les réunions financières de ce week-end ?

Dénoncer les risques de protectionnisme et d’endettement excessif, pour tenter de les conjurer. Et souligner à plus long terme que la croissance potentielle a décéléré significativement partout.
Pour la France, cette "vitesse de croisière" de l'économie était d’un peu plus de 2 % au début des années 2000 ; elle est descendue bien en-dessous de 1,5 % par an aujourd’hui. Il nous faut impérativement relever ce potentiel, si nous voulons financer durablement le pouvoir d'achat, notre modèle social, la transition énergétique. Cela passe par une augmentation de la quantité de travail - l'emploi - et de sa qualité : donner plus de compétences, et ainsi plus de chances, à tous. Il n'y a donc pas de priorité plus grande que les quatre réformes annoncées sur la formation professionnelle, l’apprentissage, l'amélioration de l’éducation primaire et secondaire, et une meilleure orientation à l’université. Il est d’ailleurs frappant que dans ces réunions économiques, on parle désormais beaucoup de technologie et d’éducation, et pas seulement de monnaie ou de politique fiscale.

N’est-il pas paradoxal que la croissance française, 2,1 % cette année et 2 % en 2019, dépasse son potentiel ?

Notre propre prévision est un peu plus prudente à 1,9 % cette année ; mais l'économie française rattrape encore le retard accumulé après la crise par rapport à sa vitesse de croisière. Après ce rattrapage cependant, on butera sur le niveau de croissance potentielle. C’est pourquoi les réformes de fond sont indispensables pour conforter la prospérité et l’emploi.  

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
« Le plus grand risque à moyen terme est le protectionnisme. » - Le Figaro
  • Publié le 23/04/2018
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