Marc FAUVELLE
Bonjour François VILLEROY de GALHAU.
François VILLEROY de GALHAU
Bonjour Marc FAUVELLE.
Marc FAUVELLE
L'an dernier, on le sait, l'économie française a plongé comme jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec une chute du PIB de plus de 8 % Est-ce qu’on a touché le fond et est-ce que ça va mieux aujourd'hui ?
François VILLEROY de GALHAU
Oui, cela va mieux aujourd'hui, mais nous ne sommes pas encore revenus au niveau pré-Covid. Si on essaie de regarder notre trajectoire économique à travers cette crise terrible, sanitaire puis économique, au fond il y a deux étapes : depuis un an nous vivons une rude étape de montagne, avec des fortes descentes, vous l'avez dit, même un peu vertigineuses, puis des belles remontées. Nous sommes aujourd'hui revenus à – 5 % à peu près par rapport au niveau pré-Covid, et devant nous, nous avons une deuxième étape qui va durer un an, nous pensons, à peu près aussi…
Marc FAUVELLE
Pour filer la métaphore…
François VILLEROY de GALHAU
… et qui est au fond un faux plat.
Marc FAUVELLE
C'est un faux plat.
François VILLEROY de GALHAU
C’est-à-dire qu’elle sera moins accidentée, et on va continuer à remonter, en pente plus douce, mais c'est quand même une étape exigeante pour passer de – 5 % à 0.
Marc FAUVELLE
Mais la récession est derrière nous.
François VILLEROY de GALHAU
La récession est derrière nous.
Neïla LATROUS
Le Covid c'est comme un couvercle en fait, ça a posé une sorte de couvercle sur la croissance française, dès qu'on l'enlève ça repart ?
François VILLEROY de GALHAU
Les restrictions liées au Covid sont un couvercle, c'est une bonne image, et on a vu déjà deux redémarrages. Cela peut être un signe de confiance pour l'avenir, il y en a eu un très fort à l'été dernier, souvenez-vous; après le premier confinement, le rebond français a été le plus fort d'Europe. Puis il y en a eu un deuxième au mois de décembre, quand on a rouvert les commerces après le deuxième confinement: du coup le mois de décembre a été le meilleur mois de vente dans le commerce de notre histoire.
Neïla LATROUS
Je prends l'exemple du couvercle, parce que le ministre de l'Économie, ce matin, Bruno LE MAIRE, dit : « L'économie française retrouvera des couleurs, très rapidement, dès que les restrictions sanitaires seront levées », ce sera automatique.
François VILLEROY de GALHAU
Cela va dépendre de la confiance des consommateurs. On reparlera sûrement de la confiance des acteurs privés, qui va être un facteur clé de cette reprise. Est-ce qu’ils vont reprendre le chemin des magasins, des restaurants et soutenir l'activité ? Encore une fois, les deux épisodes précédents peuvent nous donner confiance en ce sens. Nous publierons lundi prochain nos prévisions de croissance pour l'ensemble de l'année 2021. Ce que je peux déjà vous dire ce matin, c'est que notre enquête de conjoncture que nous venons de publier, conforte notre prévision de croissance pour 2021; et donc dans notre prévision, la croissance sera au moins égale à 5 % en 2021, et elle sera une des plus fortes d'Europe, nettement supérieure à la moyenne européenne.
Marc FAUVELLE
Au moins égale à 5 %, là où le gouvernement, arrêtez-moi si je me trompe, table sur une croissance de 6 % ...
François VILLEROY de GALHAU
La prévision de la Banque de France est indépendante de celle du gouvernement …
Marc FAUVELLE
Et donc plus fiable.
François VILLEROY de GALHAU
Je ne dis pas qu'elle est plus fiable, les prévisions de la Banque de France en tout cas se sont avérées de bonne qualité dans cette grande incertitude économique que nous vivons. Nous les faisons d'ailleurs, c’est important de le préciser, à partir d'une enquête auprès de plus de 8 000 entreprises, tous les mois, et à partir de cette enquête nous faisons une prévision annuelle. Alors, pourquoi 5 % ? C'est ce que nous avions dit au mois de décembre dernier, lors de notre précédente prévision. Nous aurons la semaine prochaine au moins 5 % et du coup le plus fort rebond de l'économie française depuis près de 50 ans, depuis 1973. Après l'année dernière une récession sans précédent, cette année un rebond historique.
Marc FAUVELLE
Vous dites la condition sine qua non du réveil de l'économie, c'est la confiance, « Retrouver confiance en l'économie », c'est d'ailleurs le titre de l'ouvrage que vous avez signé il y a quelques jours, François VILLEROY de GALHAU. Vous pouvez nous donner une bonne raison d'avoir confiance en ce moment ?
François VILLEROY de GALHAU
La situation est difficile pour tous les Français qui nous écoutent et pour les entrepreneurs, mais je vais peut-être donner deux raisons d'avoir confiance…
Marc FAUVELLE
Allez-y, c'est tellement rare en ce moment, vous pourrez même en faire trois si vous voulez.
François VILLEROY de GALHAU
Je pourrais même en trouver une troisième...mais reprenons les deux évidentes. La première c'est que le dispositif de soutien public pour contrer l'effet Covid, a fonctionné. Cela a été un soutien budgétaire massif, un soutien monétaire de la part de la banque centrale que nous sommes. Tous les grands pays européens et l'Amérique ont d’ailleurs fait à peu près la même chose, et cela a fonctionné pour amortir l'effet de la crise.
Marc FAUVELLE
Donc, un, le quoi qu'il en coûte, ça marche.
François VILLEROY de GALHAU
Ça marche, absolument. Cela devra progressivement être diminué au fur et à mesure que les restrictions sanitaires sont levées. On arrive là au deuxième motif de confiance, que je développe dans ce livre, c'est que l'amortisseur public doit être relayé par la confiance privée. Normalement, l'économie marche avec des millions de décisions, d'acteurs, de personnes: ce sont les consommateurs que nous sommes, on en parlait, et puis ce sont les entrepreneurs qui recommencent à investir, à embaucher, etc. Or, de ces deux côtés, nous avons l'impression qu'il y a des ressorts de confiance qui ne demandent qu'à être libérés. Je le disais, les consommateurs reprennent spontanément le chemin des magasins ou des services quand ils le peuvent. Chez les entrepreneurs, l’emploi et l'investissement ont résisté dans cette année terrible 2020, plutôt mieux qu'on ne pouvait le craindre.
Neïla LATROUS
Parmi les raisons de retrouver la confiance ou en tout cas de garder l'espoir, est-ce que vous misez sur la vaccination, est-ce que la vaccination de masse c'est un bienfait pour la santé des Français, mais aussi pour l'économie ?
François VILLEROY de GALHAU
Bien sûr.
Neïla LATROUS
Est-ce que vous dites aux Français : vaccinez-vous ?
François VILLEROY de GALHAU
Je ne suis pas une autorité sanitaire, donc comme tous les Français, j’écoute ce que disent les spécialistes…
Marc FAUVELLE
On pourrait faire rentrer la Banque de France dans le Conseil scientifique.
François VILLEROY de GALHAU
… mais avec ma casquette économique, évidemment la levée des restrictions sanitaires est le facteur clé de la reprise économique complète, pour que nous réussissions cette deuxième étape de faux plat dont je parlais. Donc, plus rapidement la vaccination pourra avoir lieu, plus vite les restrictions seront levées. Il est intéressant d'ailleurs de regarder ce qui se passe chez les autres pays. Aujourd'hui, le pays qui est le plus vacciné au monde c'est Israël, et qui est en train de lever toutes les restrictions. Et si on regarde les États-Unis, les restrictions aussi y seront levées, probablement plus tôt que chez nous. Donc l'accélération de la vaccination est une très bonne nouvelle.
Marc FAUVELLE
Vous dites : il faut miser sur la consommation pour relancer l'économie. Dans le plan de relance de 100 milliards d'euros il y a très peu de mesures qui visent à relancer la consommation des ménages. Est-ce que vous souhaitez qu'on ajoute un volet à ce plan de relance, pour que les ménages puissent à nouveau consommer ? Des pays comme l'Italie l'ont fait au pic de la crise, en offrant des chèques aux consommateurs pour qu'ils consomment et qu'ils consomment localement, dans leur village ou dans leur ville.
François VILLEROY de GALHAU
Cette question est très importante. Dans le dispositif de soutien public dont on parlait, il y a en fait deux piliers. Il y a le plan de relance qui est plutôt dirigé vers les entreprises et les investissements. Je crois que c'est justifié, parce qu'il faut reconstruire l'économie et il faut la transformer pour qu'elle devienne plus numérique, plus écologique. Mais il y a eu avant un pilier dont on ne parle plus beaucoup aujourd'hui, ce sont toutes les mesures d'urgence, et c'est aussi 100 milliards d'euros, et même un peu plus. Ceux-là sont très largement dirigés vers les ménages à travers notamment le chômage partiel. Et ces dépenses ont contribué à quelque chose qui est très puissant: alors que nous avions connu en 2020 la plus forte récession depuis l'après-guerre, – 8 %, le pouvoir d'achat des ménages en moyenne a été préservé. Donc c’est un énorme amortisseur public qui a joué…
Marc FAUVELLE
Et pourtant, on voit que la consommation a encore plongé en France le mois dernier. Ça ne redémarre pas.
François VILLEROY de GALHAU
Allons au bout de ce point. La consommation est touchée par les restrictions sanitaires, c'est à dire que certains commerces sont fermés, et puis évidemment les services à la personne, l'hébergement-restauration, sont fermés. Il y a un revenu préservé, une consommation qui est restreinte. La différence entre les deux s'appelle l’épargne, et cela peut être une raison supplémentaire d’être confiant: les Français ont été forcés d'accumuler une épargne depuis le confinement, qui a atteint 110 milliards d'euros l'an dernier, qui représente une réserve de croissance pour les années à venir.
Marc FAUVELLE
Et je vous propose qu'on en parle dans un instant de cette question de l'épargne des Français, que faut-il en faire, comment tenter de la réinjecter dans le circuit de l'économie ? François VILLEROY de GALHAU, le gouverneur de la Banque de France est avec nous jusqu'à 09h00. Il est 08h41, Mélanie DELAUNAY tout d'abord pour un coup d'œil au fil info.
-Fil info-
Neïla LATROUS
Toujours avec François VILLEROY de GALHAU, gouverneur de la Banque de France, et il semblerait que cette année les Français aient été plus fourmi que cigale, plus de 100 milliards, vous le disiez d'épargne l'an dernier et peut-être 200 milliards à la fin de cette année.
François VILLEROY de GALHAU
Sans doute un peu moins, mais 110 milliards effectivement en 2020 et cette somme va encore augmenter en 2021.
Neïla LATROUS
Comment on fait pour encourager les Français à réinjecter leur épargne dans la consommation ?
François VILLEROY de GALHAU
Alors…
Neïla LATROUS
Comment vous voulez les convaincre ?
François VILLEROY de GALHAU
D'abord, aujourd'hui cette épargne sert au financement de l'économie. Elle est sur les comptes bancaires, sur le Livret A, etc., et le Livret A par exemple sert à financer le logement social.
Neïla LATROUS
Elle n'est pas inutile.
François VILLEROY de GALHAU
Elle n'est pas inutile. Mais si on veut qu’elle soutienne encore plus vite la croissance, effectivement c'est sa transformation en consommation qui est le moteur le plus puissant. Cela se fera au fur et à mesure de la levée des restrictions sanitaires. Je reviens de ce point de vue sur ce qui s'est passé l'été dernier, c'est très encourageant, c'est-à-dire que la consommation a repris plus vite qu'on ne le pensait. Nous pensons que la consommation va s'accélérer vers la fin du faux plat dont je parlais, fin de 2021 et début 2022. On aura retrouvé le niveau d'activité pré-Covid, au printemps ou à l’été 2022…
Marc FAUVELLE
Dans un an donc.
François VILLEROY de GALHAU
Une grosse année, mettons. Cela se jouera énormément sur la confiance, une fois que les restrictions sanitaires seront levées. C'est pour cela que je parle dans ce livre de « retrouver confiance en l'économie »; il ne faut pas qu'il y ait d'autres motifs d'inquiétude qui transforment cette épargne de confinement en épargne de précaution.
Neïla LATROUS
Donc, pas de taxation par exemple, pour garder la confiance.
François VILLEROY de GALHAU
Alors, pas de taxation, le maintien d'un filet de protection sociale fort, et puis tout ce qui est fait en faveur de l'emploi, et en particulier de l'emploi des jeunes. Une des grandes craintes qui peut justifier le maintien de l'épargne c'est la crainte du chômage. Heureusement il y a aujourd'hui des meilleures nouvelles sur ce front. Mais je crois qu'il faudra rester attentif, pour passer de la confiance sanitaire, qui j'espère sera rétablie, à une confiance économique.
Marc FAUVELLE
Est-ce que vous dites, François VILLEROY de GALHAU, comme Bruno LE MAIRE, qu'il faudra, quoiqu’il arrive, rembourser la dette accumulée pendant cette crise, ou est-ce que vous entendez le débat qui divise aujourd'hui une partie du monde économique, débat qui va bien au-delà de l'opposition classique entre la droite et la gauche ?
François VILLEROY de GALHAU
D'abord, j'entends tous les débats. Mais je suis là aussi pour rappeler un certain nombre de choses de bon sens. Une dette doit être remboursée, tôt ou tard.
Marc FAUVELLE
Pourquoi ?
François VILLEROY de GALHAU
Parce que c'est une question là aussi de confiance. Marc FAUVELLE, prenons un exemple très simple : si vous me prêtez 100 euro et que je vous dis que je ne vais pas vous rembourser ces 100 euros, vous ne me prêterez plus jamais. Or, la France va avoir besoin d'emprunter durablement...
Marc FAUVELLE
Mais je ne m'appelle pas la Banque centrale européenne, c'est dommage d'ailleurs pour mon portefeuille, mais aujourd’hui, un quart de la dette…
François VILLEROY de GALHAU
Restons une minute sur la Banque centrale européenne et la Banque de France.
Marc FAUVELLE
Un quart de la dette aujourd’hui est détenu par la BCE.
François VILLEROY de GALHAU
Si on disait qu'on veut annuler les 600 milliards d'euros, à peu près, de dette française qui sont détenus par la Banque de France, ce n'est pas une solution : je le dis très simplement. D'abord ce n'est pas compatible avec les règles du jeu de l'euro.
Marc FAUVELLE
Alors, imaginons un instant, on réécrit les traités, et on y va après.
François VILLEROY de GALHAU
Réécrire les traités, c'est une hypothèse totalement théorique, parce que nous avons engagé notre parole et il faut avoir l'honnêteté de dire que ceux qui proposent l’annulation de la dette, ça revient à quitter l'euro, parce que nos partenaires ne seront pas d’accord.
Marc FAUVELLE
Si touts les pays de l'Europe voient leur dette annulée au même moment par la Banque centrale européenne…
François VILLEROY de GALHAU
Mais nous sommes pratiquement le seul pays où ce débat ait lieu. Donc il n’y a pas de demande de la part des autres pays et il n'y aura pas de consensus pour changer les règles de l'euro. Mais supposons effectivement une minute que ce soit possible, cela ne rapporterait rien aux Français, pour une raison très simple. Si nous annulions ces 600 milliards, pendant une seconde nous nous réjouirions, parce que nous nous serions allégés de 600 milliards de dette, et donc « enrichis « de 600 milliards. Mais dans la seconde suivante, on constaterait une perte de 600 milliards pour la Banque de France, puisque c'est la Banque de France qui détenait ces créances…
Marc FAUVELLE
Ce n’est pas très grave, vous allez me dire, il faut faire tourner la planche à billets et produire des billets, non ?
François VILLEROY de GALHAU
Non !…
Marc FAUVELLE
Ça s’est fait dans le passé.
François VILLEROY de GALHAU
Mais la Banque de France appartient à tous les Français, à vous, à moi, à ceux et celles qui nous écoutent. Et donc les 600 milliards que nous avions gagnés dans la seconde précédente, nous venons de les reperdre dans notre patrimoine collectif. Donc nous n'avons rien gagné, mais par contre nous avons diminué la confiance dans la monnaie. Cette clause qui est dans le pacte de l'euro, ce n'est pas une interdiction « comme ça », gratuite : elle existe pratiquement dans tous les grands pays. Il n’y a pas d'annulation de la dette, ni aux États-Unis, ni au Canada, ni au Japon, ni en Grande-Bretagne, parce que cela protège la confiance dans la monnaie.
Neïla LATROUS
Et donc comment on fait pour rembourser ?
François VILLEROY de GALHAU
C'est tout à fait normal que nous ayons ce débat large sur comment rembourser. Si je peux formuler un souhait, ne passons pas trop de temps sur l'annulation de la dette parce que ce n'est pas une solution. Par contre c'est très important d'esquisser les solutions sur la dette, parce que…
Neïla LATROUS
Il y a la piste de la taxe carbone aux frontières de l’Europe.
François VILLEROY de GALHAU
...nos compatriotes sont effectivement inquiets en la matière. Je crois qu'il faut combiner trois ingrédients. D’abord le temps : je plaide pour une stratégie de désendettement qui commencerait une fois qu'on aura retrouvé le niveau pré-Covid, c'est-à-dire après 2022, et qui s'étale sur dix ans. Il faut la croissance qui nous aidera en apportant des recettes. Et puis il faut dans le cas de la France, une meilleure maîtrise de nos coûts publics, une meilleure efficacité de nos dépenses publiques…
Marc FAUVELLE
Ça veut dire quoi ça ?
François VILLEROY de GALHAU
Cela veut dire que nous avons aujourd'hui les dépenses publiques les plus élevées du monde et qu'elles continuent à croître, assez vite, plus de 1 % par an hors inflation.
Marc FAUVELLE
Donc il faudra pour vous tailler dans les effectifs de la fonction publique.
François VILLEROY de GALHAU
Non, je ne crois pas qu'il faille tailler globalement dans les dépenses: il faut viser une moindre croissance de celles-ci. Si on ramenait pour citer un exemple, cette croissance annuelle de 1 % hors inflation, à 0,5, c'est-à-dire qu'on la divisait par deux, on commencerait à se désendetter, les près de 120 % de dette publique que nous aurons en 2022 au sortir de la crise Covid, deviendraient 110 % dix ans plus tard. Et cela changerait tout. Cela recrée de la confiance, et cela recrée aussi de la solidarité entre générations : parce que la dette revient à transférer le sac à dos à ceux qui nous suivent et à la jeunesse. Le sac-à-dos aujourd'hui pèse trop lourd.
Marc FAUVELLE
Dans le monde d'après, est-ce qu'il faudra travailler plus également pour rembourser cette dette ?
François VILLEROY de GALHAU
Pas nécessairement. Le point clé du point de vue économique, c'est ce qu'on appelle la productivité, c'est-à-dire l'efficacité du travail. De ce point de vue, je reviens sur ce que vous disiez sur le plan de relance : si cette reconstruction que nous faisons pour sortir de la crise, est une transformation vers une économie plus efficace, oui, cela nous aidera. C'est ce que j'appelle les trois plus de la transformation. L'économie de demain doit être plus numérique, plus écologique et plus qualifiée. La clé notamment c'est la bataille des compétences, l'apprentissage, la formation professionnelle, toutes les chances qu'on peut donner aux jeunes. Si nous réussissons ces trois plus, notre travail sera plus productif. Donc pas nécessairement travailler plus, mais travailler mieux.
Neïla LATROUS
Je reviens un instant sur ce que vous dites sur la dette, une dette c'est fait pour être remboursé, y compris la dette des entreprises qui ont bénéficié de prêts garantis par l'État, elles doivent toutes rembourser ce prêt ?
François VILLEROY de GALHAU
En tout cas, toutes celles qui le peuvent, et je pense que ce sera la grande majorité. Quand on regarde la situation globalement des entreprises, leur dette a beaucoup augmenté mais leur trésorerie en face, c'est-à-dire leurs dépôts bancaires, a elle aussi beaucoup augmenté. Donc la plupart seront heureusement en situation de rembourser. Là aussi avec le temps : Le PGE peut aller jusqu'à six ans. Donc il n’y aura pas un mur de remboursement des PGE au printemps prochain. Pour celles qui ne pourraient pas rembourser, mais qui ont une perspective économique, il faudra faire prendre le relais par d'autres dispositifs : ce ne sont plus des prêts de trésorerie comme le PGE, mais ce qu'on pourrait appeler des quasi-fonds propres, c'est-à-dire un renforcement durable de la situation financière des entreprises. Ces dispositifs sont en cours d'être mis en place, prêts participatifs, obligations subordonnées. Ils vont concerner des montants beaucoup plus limités, mais sont maintenant l'outil efficace. Le PGE était pour tout le monde, général, dans l'urgence ; les quasi-fonds propres vont être sélectifs pour les entreprises qui en ont besoin.
Marc FAUVELLE
Le gouverneur de la Banque de France, François VILLEROY de GALHAU, avec nous pour quelques minutes encore. Le fil info à 08h50, Mélanie DELAUNAY.
-Fil info-
Marc FAUVELLE
Toujours avec le gouverneur de la Banque, François VILLEROY de GALHAU. Il semble que les prix de l'immobilier aient commencé à baisser en France dans de nombreuses grandes villes, dans de nombreux départements. Est-ce que c'est la fin des années folles dans l'immobilier ?
François VILLEROY de GALHAU
La Banque de France n'a pas à émettre une opinion sur quel est le bon niveau des prix dans l'immobilier…
Marc FAUVELLE
Mais la Banque de France prête aux banques, qui prêtent ensuite aux acheteurs.
François VILLEROY de GALHAU
...peut-être juste deux observations de bon sens. La première c'est qu'il y a des grandes différences entre les zones géographiques, et les prix de l'immobilier avaient monté beaucoup plus à Paris et dans les grandes métropoles que dans le reste du territoire…
Marc FAUVELLE
Beaucoup trop aussi.
François VILLEROY de GALHAU
Encore une fois, je n’ai pas à formuler d’avis sur « c’est trop, pas assez, c'est le bon niveau », mais il y a une forme de correction géographique. La seconde chose, quand vous regardez dans l'histoire économique et financière, c'est que les arbres ne montent jamais jusqu'au ciel. L'idée que le prix d'un actif va monter régulièrement, beaucoup plus vite que la croissance économique ou que l'inflation, n'a pas beaucoup de sens. Une fois qu'on a dit cela, je crois qu'il est un peu tôt pour dire l'ampleur de la correction. Le secteur de l'immobilier est essentiel pour la France. La responsabilité de la Banque de France, c’est qu’il reste bien financé à travers un crédit immobilier sain.
Marc FAUVELLE
Alors, justement, vous avez demandé récemment aux banques de resserrer en quelque sorte le robinet du crédit pour les prêts immobiliers. Est-ce que la situation de certains emprunteurs aujourd'hui vous inquiète ? Leur possibilité ou impossibilité de rembourser à terme ces prêts immobiliers ?
François VILLEROY de GALHAU
Notre rôle, c'est de vérifier que les Français aient un accès à un crédit immobilier sain. Je souligne cet adjectif. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que les conditions du crédit immobilier ne mettent pas les emprunteurs en risque de surendettement. Et par rapport à cela, c'est vrai, nous avons été amenés à réagir par rapport à une dérive que nous avions vue, c'est-à-dire la durée des crédits immobiliers ne cessait de s’allonger, et puis…
Marc FAUVELLE
Des prêts sur trente ans par exemple ou au-delà même.
François VILLEROY de GALHAU
Au-delà de vingt-cinq5 ans, et puis ce qu'on appelle le taux d'effort, c'est-à-dire la mensualité rapportée aux revenus mensuel, ne cessait de croître. Nous avons donc posé des règles du jeu qui ne visent pas du tout à restreindre le crédit immobilier, et en particulier pas à restreindre la primo accession, ceux qui achètent leur premier logement : au contraire, nous voulons protéger cette accession dans des conditions saines. Il faut éviter une dérive qui aurait placé les emprunteurs en situation de fragilité. Il y a eu des réglages de ces recommandations, que nous avons décidés avec Bruno LE MAIRE en décembre dernier. Je crois qu'aujourd'hui c'est un bon équilibre, qui est compris par tout le monde et qui est dans l'intérêt de tout le monde.
Neïla LATROUS
Vous avez évoqué ce mot « surendettement », l'an dernier ça allait mieux avec une petite remontée à la fin de l'année. Sur les deux premiers mois de l'année vous voyez un risque de surendettement massif des Français ou pour l'instant ça va ?
François VILLEROY de GALHAU
Non, pour l'instant nous ne le voyons pas. Dans les missions de la Banque de France, il y a effectivement de la prévention du surendettement. Nous comptons donc le nombre de dossiers que nous voyons arriver. L'an dernier on a baissé d'un quart. Pourquoi, parce qu’au printemps dernier…
Neïla LATROUS
Mais ça a remonté à la fin de l’année.
François VILLEROY de GALHAU
… il n’y a pas eu de dépôt de dossiers de surendettement. C'est vrai qu'on a remonté vers la fin de l'année, mais il n'y a pas eu de phénomène de rattrapage. Aujourd'hui, début 2021, nous restons un peu en dessous du nombre de dépôts de dossiers de début 2020. Pour autant nous sommes extrêmement mobilisés, nous travaillons aussi avec les associations, les travailleurs sociaux. Il est important que toute situation de surendettement donne lieu à dépôt d'un dossier le plus rapidement possible, de ne pas de laisser s'accumuler des mois d'arriérés.
Marc FAUVELLE
Je voudrais qu'on parle quelques instants du bitcoin, si vous le voulez bien, c'est cette monnaie virtuelle dont le cours a bondi ces dernières années, il valait, 1 bitcoin valait environ 1 000 dollars en 2016, aujourd'hui les derniers cours je crois sont autour de 50 000 dollars. Est-ce que c'est devenu un concurrent de la monnaie que vous défendez, c'est-à-dire l'euro ?
François VILLEROY de GALHAU
Non, le bitcoin, ce n’est pas une monnaie, il faut le dire très clairement…
Marc FAUVELLE
C’est une monnaie virtuelle.
François VILLEROY de GALHAU
Non, ce n'est pas une monnaie, c'est un actif très spéculatif. Pourquoi n’est-ce pas une monnaie? Les deux caractéristiques d'une monnaie, et nous le vivons tous, c'est d’abord que sa valeur est stable. Et donc on peut avoir confiance, on retrouve toujours cette confiance dans l'économie; et puis, elle est acceptée partout comme moyen de paiement. Vous pouvez payer avec vos euros partout. Le bitcoin n’a pas ces deux caractéristiques, et sa valeur varie tout le temps. Personne n'est responsable d'ailleurs de la valeur du bitcoin…
Marc FAUVELLE
Alors, c’est quoi si ce n’est pas une monnaie ?
François VILLEROY de GALHAU
C'est un actif spéculatif: des investisseurs avertis peuvent investir en bitcoin, mais ils le font à leurs risques et périls. Ce que je disais tout à l'heure sur l'immobilier, c'est-à-dire que les arbres ne montent jamais jusqu'au ciel, est vrai aussi pour la valeur du bitcoin. Il y a eu d'ailleurs déjà des chutes assez spectaculaires. Je ne fais pas de pronostic pour l'avenir, mais l'idée d'un actif dont le prix ne cesse de monter et qui procure des gains certains, cela n'existe pas.
Marc FAUVELLE
Est-ce que vous dites, comme le patron de l’une des plus grandes banques américaines JPMORGAN CHASE, que c'est aujourd'hui une escroquerie, le bitcoin ?
François VILLEROY de GALHAU
Non, je ne dis pas que c'est une escroquerie, je dis que c'est un placement très risqué, très spéculatif, et qui doit être réservé à des investisseurs très avisés. Si vous me permettez d’élargir la remarque, si on promet à des épargnants un placement qui rapporterait beaucoup et qui serait sûr, là, c'est une escroquerie. Si un jour, un conseiller bancaire ou financier promet à un de ses clients un rendement élevé et une forte sécurité, il faut fuir. Ce conseiller est soit un escroc, soit un incompétent.
Neïla LATROUS
Rapidement, François VILLEROY de GALHAU, une à une, les banques européennes annoncent des fermetures d'agences, est-ce que la banque de demain est une banque sans guichet, et est-ce que l'épargne des Français est protégée ?
François VILLEROY de GALHAU
L’épargne des Français est protégée; il n'y a aucun doute. Les banques françaises sont solides, heureusement d'ailleurs, grâce notamment à des réglementations que nous avons décidées depuis dix ans, ce qu'on appelle Bâle 3. Sur les agences, je crois qu'elles seront maintenues, et que cela fait partie de la relation des banques avec leurs clients. Pour autant, vous, moi, nous tous, nous utilisons moins la présence physique en agence, et davantage le canal Internet ou nos mobiles. Donc le réseau d'agences doit s'adapter en conséquence. Il faut aussi probablement d'ailleurs que les services rendus en agence changent, et qu'on y assure ceux qui ont vraiment besoin d'un contact et d'une relation.
Marc FAUVELLE
Merci à vous, François VILLEROY de GALHAU, invité ce matin de France Info.