Discours de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Je suis très heureux de vous accueillir ce soir pour cette table ronde, organisée à l’occasion de la parution de la Revue de la Stabilité Financière de la Banque de France, dans le cadre du séminaire co-organisé par Sciences -Po et la Banque sur la régulation financière. Le thème de notre revue et de cette table ronde porte sur « la stabilité financière dans un monde digital ».
Pour assurer la stabilité financière, il y a d'abord la stabilité des prix. L'Eurosystème y est engagé : nos décisions et nos prévisions de Vienne ne sont pas un mode "wait and see". C'est claire ment une attitude "act and see". Agir pour mettre en oeuvre tout le paquet décidé en mars : juin marquera le début du TLTRO 2 et des achats d'obligations d'entreprises; priorité donc à la qualité de l'implementation, sans qu'il soit besoin aujourd'hui de mesures supplémentaires. Et voir avec cette mise en oeuvre quelle est l’amplification de l’impact de notre politique monétaire active. Nos prévisions en donnent déjà une première mesure : l'inflation devrait redevenir positive en deuxième moitié de cette année, et s'amplifier en 2017 et 2018. La reprise européenne se confirme comme prévu, à 1,6 % pour la zone euro, et en France avec au moins 1,4 % et un fort investissement des entreprises (+3,4 %). Mais ceci ne suffit pas : nous avons aussi dit qu'il était souhaitable de démultiplier cette reprise, et les effets de la politique monétaire, par des réformes dans chaque pays comme au niveau européen.
Nous avons vécu, au cours de ces dernières années, une vague d’innovations portées par les nouvelles technologies numériques et informatiques, qui ont tout naturellement trouvé un champ d’application dans le domaine des services financiers. Plusieurs facteurs y ont contribué : technologiques bien sûr mais aussi des facteurs réglementaires, ayant contribué à la hausse du coût de l’intermédiation et favorisé l’émergence de solutions concurrentes ; la crise enfin, avec une image dégradée des banques auprès du public et l’essor des monnaies virtuelles.
S’il est aujourd’hui difficile d’anticiper les conséquences de ces nouvelles technologies sur le fonctionnement futur du système financier, certaines innovations, sur lesquelles nous reviendrons ce soir, telles que la Blockchain ou le Registre distribué (Distributed ledger), rendent aujourd’hui techniquement possible, pour la première fois dans l’histoire, l’émergence d’un système complétement décentralisé, c’est-à-dire où les transactions pourraient potentiellement s’opérer sans intermédiaires financiers et sans banque centrale. Tout cela n’est cependant pas sans risques, notamment opérationnels, en particulier pour le consommateur, aujourd’hui capable d’effectuer quasiment sans délai et sans coût toutes sortes d’opérations bancaires, de paiement, de placement ou d’investissement.
Ces nouvelles technologies sont, tout d’abord, potentiellement porteuses de grands bénéfices pour l’individu et la société. Elles répondent aux besoins des utilisateurs (services personnalisés et fluides par l’exploitation des informations disponibles sur le consommateur, ses habitudes, ses comportements, ses goûts). Ce sont ensuite des sources importantes de gains de productivité mais également de forte réduction des coûts de transactions, favorable à l’augmentation de la concurrence au sein du secteur financier, et ce au bénéfice du client et plus généralement du financement de l’économie.
Les services offerts par ces nouvelles technologies digitales couvrent la quasi-totalité des services financiers : la digitalisation des services bancaires ; les moyens de paiements, avec la possibilité d’effectuer des paiements directs via son smart phone ; les services de paiement, tels les agrégateurs de comptes ou les initiateurs de paiements ; la gestion de portefeuille ou des placements, via l’accélération de la digitalisation des services aux clients particuliers (« robot advisors » pour le conseil financier en ligne), dans la réalisation des opérations de marché elles-mêmes (trading haute fréquence) ou enfin dans le domaine du financement avec le crowdfunding.
Il y a notamment un enjeu particulier autour des Fintechs dont les activités sont multiples et couvrent pratiquement tous les domaines de la finance, qu’elle soit intermédiée ou non. L’association d’Alain Clot en rassemble plus d’une cinquantaine, dont 62% sont aujourd’hui régulées du fait de leur activité par l’ACPR (71 %), l’AMF (21 %) ou les deux autorités (8 %). Ces nouveaux acteurs représentent encore une part marginale de l’activité mais leur essor est notable. Au-delà des Fin Techs dont certaines deviendront peut-être des Big Techs - ou pas, notre regard doit se porter aussi - voire surtout - vers les GAFA et les opérateurs télécom qui présentent des atouts significatifs à l’heure de la finance digitale (base de clientèle/réseau, capacité à analyser et à valoriser la donnée client).
Nous devons cependant rester attentifs aux risques, en particulier ceux portant sur la sécurité des transactions (paiements mobiles, monnaies virtuelles…) ; la cybercriminalité, en très forte augmentation en partie du fait de la multiplication des objets connectés qui recèlent de nombreuses failles de sécurité exploitables par les cybercriminels ; la protection du consommateur et la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que les risques de conformité, la relation client étant au coeur du business model de ces innovations.
Nous devons, dans ce contexte, construire un triangle de compatibilité entre innovations, stabilité et régulation. L’innovation ne doit en effet pas se traduire par un nivellement par le bas de la sécurité. La Banque de France et l’ACPR l’ont récemment rappelé à l’égard des monnaies virtuelles. Pour autant, il ne faut pas non plus freiner ou brider son essor au point de la fragiliser voire de la condamner. Nous devons donc trouver un équilibre subtil entre différents objectifs : simplifier les démarches sans pour autant déréguler ; viser au développement d’un cadre souple mais sécurisé par une application proportionnelle des règles.
La Banque de France et l’ACPR sont parties prenantes de ces évolutions en tant que garantes de la stabilité financière. Deux principes fondamentaux ont ainsi guidé notre réflexion et structuré notre plan d’action :
Premièrement, un principe absolu de sécurité des paiements, des opérations et des données.
Je souhaite en particulier revenir sur le strict respect des obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. La responsabilité des acteurs (en termes de conformité et, de manière plus profonde, en termes d’éthique) sera particulièrement importante en ce qui concerne l’usage des données clients, qui constitue un des enjeux fondamentaux de l’ère digitale.
Deuxièmement, un principe relatif de proportionnalité dans la supervision. Nous visons ici à : adapter la réglementation à la taille et aux risques encourus par les acteurs, comme c’est par exemple le cas de l’agrément allégé d’établissement de paiement ou d’établissement de monnaie électronique (régime « small business ») et nous serons à l’écoute du marché sur ce sujet ; adapter également notre supervision, via une coopération renforcée ACPR-AMF pour les projets innovants impliquant les deux autorités et la création d’une équipe dédiée aux Fintech-Innovation à l’ACPR, s’appuyant en particulier sur un site ACPR destiné aux Fintechs (en lien avec le site AMF) et sur des démarches de communication dédiées à ces acteurs. Cette démarche vise à développer le dialogue des deux Autorités avec ces nouveaux intervenants, avec le Forum Fintech ou sous la forme d’évènements ad hoc. Je réunirai avec Gérard Rameix le premier Forum le 18 juillet prochain.
Ces deux principes doivent toutefois veiller à préserver des conditions équitables de concurrence, notamment avec le secteur bancaire - nous sommes donc plus sur une approche de supervision en proportionnalité des risques que sur une approche de type « bac à sable » comme c’est le cas en Grande-Bretagne - et s’inscrire dans un cadre de coopération européenne et internationale.
Je voudrais à présent vous présenter nos panélistes dont certains nous ont fait l’honneur de contribuer à notre revue. Dans l’ordre de leurs interventions, j’ai tout d’abord le plaisir de vous présenter M. Yves Mersch, membre du Directoire de la Banque Centrale Européenne, en charge notamment des questions relatives aux paiements et aux infrastructures de marché, aux billets et à la gestion des risques. Yves vous présentera succinctement son article, qui porte sur l’impact de ces nouvelles technologies sur les systèmes de paiement et les infrastructures de marché, et plus largement sur le fonctionnement des marchés et la stabilité des systèmes financiers. M. Cyril Vignet, Responsable Projets Innovation pour le groupe BPCE, abordera pour sa part la question de l’impact de la digitalisation sur la banque et ses métiers, à la fois sous l’angle des ruptures qu’elle pourrait engendrer mais également des opportunités qu’elle pourrait créer. M. Serge Darolles, Professeur de Finances à l’Université Paris-Dauphine, également contributeur à la Revue, traitera de l’essor des Fintechs et de la question de leur régulation. Alain Clot, Président de l’Association France Fintech, nous présentera un panorama des Fintechs en France, leur contribution au financement de l’activité, leurs risques mais également ses attentes vis-à-vis du Superviseur.