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« La politique monétaire contribue activement à la croissance »

Léa Salamé - Vous savez Patrick, la plupart des hommes politiques qu’on reçoit le matin, on les écoute poliment ou pas mais ils n'ont que peu ou pas d'influence. Lui en un mot, un seul, peut faire s’enflammer, dévisser les marchés financiers. Du coup sa parole est rare, le président de la Banque de France, François VILLEROY de GALHAU est notre invité exceptionnel ce matin.
Bonjour François VILLEROY de GALHAU.

François Villeroy de Galhau - Bonjour Léa SALAME.

La Banque de France a publié ses résultats hier pour l’année 2015 et ce qui est sidérant et que beaucoup de Français ne savent pas, c’est que la Banque de France est une entreprise qui se porte très bien, qui fait des milliards d’euros de bénéfices. C’est ce que vous avez annoncé hier.

Les résultats de la Banque de France sont solides, au même niveau que l’an dernier, et c’est une bonne nouvelle pour tous les Français. D’abord parce que cela nous permet d’accomplir nos missions sur le terrain, au service des ménages notamment ceux qui sont en difficulté, 237 000 familles dont on a pu régler la situation de surendettement l’an dernier, ou au service des PME et des TPE. Ensuite parce que ces résultats de la Banque de France profitent à la collectivité publique. Tous les gains de la Banque de France – nous avons un seul actionnaire qui est l’État – donc tous les gains sont reversés à la collectivité publique. Cela fait près de trois milliards d’euros par an, ce ne sont pas des gains et de l’argent pour nous évidemment, c’est pour contribuer au budget français.

Alors tout de même, vous êtes, oui ?

Si vous me permettez ?

Oui bien sûr.

Dernier point, c’est que le fait d’avoir une Banque de France solide nous permet de contribuer à la politique monétaire très active que nous menons avec les autres banques de l’euro.

On va en parler de la politique monétaire de la Banque de France et de la Banque Centrale Européenne, mais quand même solide vous affichez 4,7 milliards de bénéfices avant impôt, c’est ce que vous avez annoncé hier, en fait vous êtes un gouverneur de la Banque de France, mais vous êtes un banquier comme les autres.

Pas du tout.

En fait la Banque de France est une banque d’affaires comme les autres qui fait des bénéfices, on ne le sait pas.

Pas du tout, nous avons un seul actionnaire qui est la collectivité publique, donc l’ensemble des Français. Nous n’avons en rien une activité de banque, nous n’investissons pas avec l’idée…

Vous achetez des tableaux.

… avec l’idée de gagner de l’argent.

De Rembrandt.

On va dire un mot de Rembrandt après, mais cela c’est anecdotique et exceptionnel en 2015. Mais nous n’avons pas de clients. Notre but, c’est de servir l’intérêt général économique, c'est-à-dire d’avoir la bonne inflation, légèrement positive, et de soutenir l’activité et la croissance.

Est-ce que l’inflation est bonne ?

Pour faire le lien avec le résultat, le fait d’avoir une Banque de France solide, c’est la condition pour pouvoir mener cette politique qui va vers la bonne inflation et la bonne croissance.

Alors est-ce qu’on est d’abord sur une bonne inflation avec 0, 0,1 %, est-ce que vous appelez ça une bonne inflation, est-ce que vous appelez ça pas du tout assez d’inflation, voire une déflation ?

Nous ne sommes pas aujourd'hui en déflation, mais l’inflation n’est pas suffisante. À zéro, on est même à moins 0,2 % au mois de février, et cela d’expérience n’est pas bon pour l’activité économique. Donc notre cible, c’est d’avoir une inflation à moyen terme proche de 2 %. Pour atteindre cette cible nous avons décidé jeudi dernier, si vous me permettez l’expression de « mettre le paquet » pour soutenir l’activité et pour aider le financement de l’économie réelle, c'est-à-dire les entreprises et les ménages.

Il y a quand même de gros doutes sur la politique de la Banque Centrale Européenne où vous siégez, où le poids de la France est très important puisqu’on est deuxième d’importance après la Bundesbank.

Absolument.

Cette politique, qui est la politique de la planche à billets, c'est-à-dire d’inonder le marché de liquidités en espérant relancer l’activité, eh bien cette politique ne marche pas vraiment monsieur VILLEROY de GALHAU, il n’y a pas de résultat, à tel point que certains économistes comme Patrick ARTUS que je suis sûre, vous avez lu son livre « la folie des banques centrales » vous reproche de nous conduire vers une crise majeure en gavant le marché de liquidités.

Cette politique marche !

Non.

Cette politique marche, parce qu’elle permet pour les entreprises et pour les ménages de disposer de financements à taux extrêmement bas. Nous avons vu augmenter les volumes de crédits et nous avons vu baisser les taux d’intérêt. Donc il y a des résultats très concrets.

Et sur la croissance…

Et c’est favorable à l’investissement. Alors ensuite la question est : qu’est-ce que cela donne sur l’inflation et la croissance ? Et là il y a des estimations tout à fait convergentes qui ont été faites, et qui montrent que sur l’inflation, ceci représente environ 1 % d’inflation cumulée en 2015/2017, autrement dit si nous n’avions pas agi l’inflation aurait été beaucoup plus basse. Elle est basse aujourd'hui à cause du bas prix du pétrole, mais si nous n’avions pas agi, elle aurait été plus basse. Je termine par la croissance puisque c’est sans doute le plus important pour ceux qui nous écoutent, la politique monétaire a représenté environ 0,3 % de croissance supplémentaire en 2015, c’est peut-être abstrait 0,3 %, mais cela veut dire 80 000 emplois supplémentaires en France en 2015.

C’est suffisant ça ?

Bien sûr que cela ne suffit pas, vous avez raison, il faut que tout le monde se mobilise pour faire plus. Mais si nous n’avions pas agi, il n’y aurait pas eu ces 80 000 emplois en 2015.

En janvier, vous aviez prévu 1,4 % de croissance en France cette année, est-ce que vous avez revu vos prévisions à la baisse ?

Il y a une tendance générale dans le monde et dans toute l’Europe, un tassement de la croissance qui marque le pas, à un niveau qui est un peu plus proche de l’an dernier. Nous ne publions pas de nouvelles estimations pour la France, mais pour la zone euro, nous avons revu la croissance à la baisse à 1,4 % pour l’ensemble de la zone euro. La France sera un peu en dessous.

Et pourquoi ça ne marche pas, pardonnez ma question néophyte, on avait dit que les circonstances étaient très favorables, que le pétrole n’a jamais été aussi bas, que l’euro n’a jamais été aussi bas, qu’il n’y a jamais eu autant de liquidités et pourtant la croissance ne remonte pas en Europe et en France pour ce qui nous concerne, nous. Est-ce que c’est que la politique de la Banque Centrale Européenne n’est pas la bonne ?

Non, la politique monétaire, je vous l’ai dit avec des chiffres et des résultats concrets, contribue activement à la croissance.

80 000 emplois l’an dernier, ce n’est pas…

Mais elle ne peut pas suffire à elle toute seule. Il y a d’abord dans notre environnement extérieur des éléments moins favorables en ce début 2016, le ralentissement de la Chine et des pays émergents, la baisse trop soudaine du prix du pétrole. Mais en même temps que nous sommes très actifs sur la politique monétaire – c’est nécessaire, c’est indispensable – nous répétons à chaque fois que cela n’est pas suffisant. Il faut donc une mobilisation générale autour de l’investissement, de l’investissement privé et public. Cela passe par la confiance des entrepreneurs et cela passe au niveau européen par la relance du plan Juncker. Et il faut des réformes, des réformes dans chaque pays, dont le nôtre.

On va en venir aux réformes, mais un mot sur le plan Juncker annoncé avec tambours et trompettes, 300 milliards d’euros pour l’investissement européen, et on a vu quoi, vous avez vu le résultat ?

Il y a des débuts de résultats, mais vous avez raison là-dessus, ce n’est pas assez. J’ai proposé qu’on renforce le plan Juncker avec d’autres éléments au niveau européen pour faire une vraie Union de financements et d’investissements, là il y a urgence. Vous voyez qu’au-delà de la politique monétaire, il faut actionner aujourd'hui tous les leviers au niveau européen comme au niveau français.

La loi El Khomri en France, largement remaniée, on en a parlé ce matin, Manuel VALLS a-t-il eu raison de reculer sur plusieurs points ?

Ce n’est pas à moi comme banquier central, qui suis indépendant des politiques, de commenter les différents points dont on vient de parler, mais il est indispensable d’avancer. Le statu quo n’est pas une option pour la France, rien ne serait pire pour la France que de ne pas avancer. Nous ne pouvons pas rester le seul grand pays d’Europe – on parlait de l’Europe à l’instant – le seul grand pays d’Europe où le chômage ne recule pas. Parmi les comparaisons que Dominique SEUX citait il y a quelques minutes, je vais rester sur l’Italie, regardons ce qui marche chez nos voisins. L’Italie, c’est un pays qui nous ressemble beaucoup, ils ont eu deux fois moins de croissance que nous en 2015, et pourtant ils ont créé trois fois plus d’emplois, qu’est-ce qui s’est passé ?

Précaires.

Non, non, ils ont unifié leurs contrats de travail, Matteo RENZI a fait ce qu’il appelle le Jobs Act. Donc vous voyez ce n’est pas de l’idéologie, ce n’est pas de la théorie économique abstraite, ce sont des résultats très concrets chez nos voisins.

Mais en France, il y a eu le CICE, il y a eu le pacte de responsabilité, ça n’a pas porté ses fruits, est-ce que cette politique du gouvernement pro-entreprises, cette politique libérale est la bonne ou est-ce que comme le dit Thomas PIKETTY par exemple, il faut miser tout sur la relance pour relancer l’activité, soutenir la demande ?

Par rapport à cela, sortons de ces affrontements très théologiques dont on a le goût en France : il faut à la fois soutenir la demande et l’offre. J’étais il y a 15 jours au G20 à Shanghai, cela peut paraitre un peu loin. Mais nous avons dit des choses extrêmement concrètes : soutenir à la fois la demande et l’offre. Il faut donc activer tous les leviers dont on dispose.

Est-ce que le gouvernement le fait assez sur la demande ?

Sur la demande, la politique monétaire est très active. La politique budgétaire, il faut l’actionner dans d’autres pays européens. Mais surtout en France, il faut faire les réformes pour donner confiance, donner la stabilité des règles, donner de la clarté, en particulier aux entrepreneurs. Cela, ce n’est pas une politique libérale, mais ce sont bien les entrepreneurs qui créent l’emploi par leur confiance.

François VILLEROY de GALHAU, qui ne veut pas entrer donc dans les débats théologiques, vous avez entendu, merci à vous et très belle journée.

Merci.

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
« La politique monétaire contribue activement à la croissance »
  • Publié le 15/03/2016
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