Paris EUROPLACE International Forum
New York, 18 avril 2018
Contact pour la presse : Mark Deen (mark.deen@banque-france.fr).
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux d’accueillir cette rencontre traditionnelle, Paris Europlace à New York, selon un calendrier moins traditionnel : un an après les élections françaises. Et beaucoup de choses se sont passées au cours des douze mois écoulés. Dans mes remarques aujourd’hui, j’aimerais développer le thème que j’appelle « la dynamique française » et de façon plus générale « la dynamique de la zone euro ». Nous disposons d’une opportunité unique de mettre en œuvre des réformes essentielles à la fois en France et en Europe et il faut absolument que nous la saisissions. J’aimerais donc partager avec vous quelques réflexions a) sur notre environnement conjoncturel favorable ; b) de là, sur notre accélération structurelle, et c) sur l’attractivité de Paris, notamment dans le monde post-Brexit que nous devons préparer.
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[Slide 2] L’économie de la zone euro connaît actuellement une expansion robuste
et généralisée avec 19 trimestres consécutifs de croissance positive. En 2017, la croissance du PIB en volume a atteint un pic de 2,5 % et les indicateurs économiques à court terme vont tous dans le sens d’une poursuite de la reprise économique. Selon les dernières projections de la BCE, le PIB en volume devrait croître de 2,4 % en 2018, au-dessus de son potentiel. Le caractère généralisé de cette croissance économique régulière est remarquable : la dispersion entre les pays et les secteurs se situe à son niveau le plus faible depuis deux décennies.
La croissance a été soutenue par la vigueur de la demande domestique et par le redressement des exportations nettes. Les conditions de financement des entreprises ont été très favorables, ce qui a favorisé l’investissement, tandis que la consommation privée a bénéficié des faibles niveaux de l’inflation.
[Slide 3] Cette croissance économique régulière s’est traduite sur le marché du travail, près de 8 millions de travailleurs [7,8 millions] ayant retrouvé un emploi depuis 2013, ce qui a largement compensé les destructions d’emplois subies lors de la crise.
La croissance annuelle de l’emploi a atteint son niveau le plus élevé depuis 2008 et le taux de chômage est tombé à 8,7 % au quatrième trimestre 2017, son niveau le plus faible depuis neuf ans. À l’avenir, le chômage devrait continuer de baisser pour revenir à 7,2 % en 2020, malgré l’augmentation du taux d’activité.
[Slide 4] En France, la croissance du PIB est robuste, ressortant à 2,0 % en moyenne en 2017. L’expansion devrait se poursuivre à un rythme soutenu en 2018, tirée par la vigueur de la demande domestique et par une hausse notable des exportations. L’investissement devrait rester robuste grâce aux bonnes perspectives d’activité et à des conditions de financement favorables. Les exportations nettes devraient se redresser en 2018 et favoriser la croissance. La reprise devrait se poursuivre en 2019-2020, avec un taux de croissance du PIB qui devrait rester supérieur à la croissance potentielle, en dépit d’un léger fléchissement de la demande mondiale.
[Slide 5] En France également, la reprise en cours a entraîné une forte baisse du taux de chômage, qui est revenu à 8,9 % au quatrième trimestre 2017. Depuis 2015, la création d’emplois a été dopée par les mesures prises pour réduire les coûts de main-d’œuvre (CICE, PRS, prime à l’embauche pour les PME) [Je reviendrai de façon détaillée sur les réformes structurelles françaises]. Même si le taux de chômage est encore trop élevé, notamment chez les jeunes, nos dernières projections tablent sur un recul régulier de ce taux jusqu’en 2020. Les créations nettes d’emplois devraient rester robustes à mesure que l’économie s’améliore.
À la suite de l’amélioration sur le marché du travail, la croissance des salaires devrait s’accélérer, soutenant le revenu disponible des ménages et renforçant la dynamique solide de la consommation privée.
[Slide 6] Les risques de déflation ont disparu dans la zone euro. L’inflation totale est ressortie à 1,3 % en mars, tandis que l’inflation sous-jacente reste stable à 1,0 %. Nous sommes désormais sortis de la zone de risque déflationniste, même si les évolutions de l’inflation restent encore modérées. Cependant, la reprise économique actuelle et les améliorations sur le marché du travail devraient ouvrir la voie à une hausse des tensions inflationnistes, préparant un retour de l’inflation à un taux inférieur à, mais proche de 2 % à moyen terme. Notre prévision est de 1,7 % pour 2020.
[Slide 7] Cette hausse progressive de l’inflation dans la zone euro et l’amélioration des perspectives en matière d’inflation sont dues en grande partie à la politique monétaire accommodante de la BCE. Nous sommes maintenant de plus en plus confiants sur le fait que l’inflation se situera bientôt sur une trajectoire durable d’ajustement vers notre objectif d’inflation, justifiant ainsi notre stratégie de normalisation progressive. Et nous ne céderons pas aux préoccupations budgétaires (fiscal dominance) : nul ne doit s’attendre à ce que nous retardions une indispensable normalisation monétaire dans le but de permettre à un État membre de régler ses problèmes de dette.
[Slide 8] La politique monétaire joue pleinement son rôle, mais elle ne peut pas tout faire, car son incidence sur les ajustements économiques nationaux au sein de la zone euro est limitée. Depuis la crise financière, plusieurs pays européens, notamment l’Espagne, ont lancé avec succès d’importantes réformes et ont atteint une croissance durable et plus élevée, tout en préservant leur modèle social.
[Slide 9] Il est cependant nécessaire de poursuivre les efforts afin de stimuler la croissance économique à moyen terme. Le chômage structurel demeure élevé et la croissance potentielle reste sensiblement inférieure à sa moyenne des années 1990 ou 2000.
Des réformes structurelles s’imposent pour libérer tout le potentiel économique des pays européens.
À cet égard, le cas de la France est actuellement particulièrement intéressant. Notre pays est confronté à d’importantes difficultés structurelles mais, comme je l’ai déjà dit, l’environnement économique n’a jamais été aussi favorable aux réformes depuis la crise financière. C’est donc maintenant, absolument, que nous devons « réparer le toit ».
Et la bonne nouvelle, c’est que les réformes sont fermement lancées. Je souligne ce point en tant que banquier central totalement indépendant : le nouveau gouvernement s’est en effet fortement engagé en faveur des réformes et a déjà mis en œuvre d’importantes réformes structurelles afin de stimuler l’emploi, la productivité et la résilience.
[Slide 10] Les récentes réformes du marché du travail ont élargi l’espace de négociation dont disposent les partenaires sociaux en matière de prise de décisions et ont réduit les incertitudes liées aux conflits du travail. Cela devrait donner une plus grande flexibilité aux entreprises et contribuer à soutenir l’emploi. La réforme en cours de l’apprentissage a pour but de rendre cette voie plus attrayante, pour les salariés comme pour les entreprises, afin de lutter contre le chômage des jeunes. Dans un contexte marqué par un nombre encore trop élevé de postes vacants, la réforme en cours de la formation professionnelle tout au long de la vie, dispositif actuellement trop onéreux et inefficace, devrait favoriser une meilleure adéquation entre qualifications des travailleurs et besoins des entreprises.
Si l’on ajoute à cela des réformes très importantes de l’enseignement primaire et secondaire et de l’université, on peut espérer une amélioration constante des compétences de la main-d’œuvre française dans les prochaines années.
La réforme de l’indemnisation du chômage sera également une contribution essentielle à l’amélioration du fonctionnement du marché du travail. Le contrôle plus étroit de l’effort de recherche d’emploi devrait accroître le taux d’activité et contribuer également à réduire le chômage structurel, tout en améliorant l’efficacité de l’État providence.
[Slide 11] Enfin, des réformes fiscales cohérentes ont visé à rééquilibrer la charge fiscale des facteurs de production vers une imposition à assiette large. Les coûts de main-d’œuvre ont été réduits, en particulier grâce au crédit d’impôt sur la masse salariale mis en œuvre en 2013 et renforcé par des réductions de cotisations sociales cette année. S’agissant du capital, d’importantes mesures ont également été prises afin d’alléger la taxation du capital productif et de l’épargne : suppression de l’impôt sur la fortune hors biens immobiliers, introduction d’un taux d’imposition unique de 30 % sur les revenus du patrimoine (dividendes ou intérêts) des ménages et réduction de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % en 2022 pour assurer la convergence vers la moyenne de l’UE. Ces mesures devraient contribuer à soutenir la tendance positive de l’investissement privé national et étranger en France.
[Slide 12] Toutes ces réformes devraient être renforcées par de nouveaux progrès en matière de soutenabilité des finances publiques ; j’espère également une accélération à cet égard. Néanmoins, le programme actuel est déjà impressionnant, et il renforce l’attractivité de la France. Comme vous le savez, la France possède de nombreux atouts : elle compte de nombreuses entreprises technologiques à croissance rapide. Elle offre des infrastructures de grande qualité et une qualité de vie élevée. Plus important encore, sa capitale, Paris, en plus d’être l’une des villes les plus attrayantes d’Europe, est en bonne position pour devenir le principal centre des activités de marché dans la zone euro, en particulier dans le contexte du Brexit.
Le Brexit a été et reste une mauvaise nouvelle, surtout pour le Royaume-Uni mais également pour l’Europe. Pour l’instant, un principe nous semble être la clé de voûte de l’accord futur entre l’Union européenne et le Royaume-Uni : préserver l’intégrité de notre bien commun, le Marché unique européen. En pratique, cela signifie qu’il est impossible de dissocier l’accès et les règles, et que les entités établies au Royaume-Uni ne pourront obtenir de passeport européen et accéder au Marché unique si elles ne se conforment pas intégralement aux règles du Marché unique et ne reconnaissent pas l’autorité de la Cour européenne de Justice. La City de Londres restera bien évidemment une place financière majeure au niveau mondial mais elle ne sera plus en position de jouer le rôle de pôle financier européen. Dans ce contexte, la poursuite de l’intégration des marchés de capitaux de l’UE est d’autant plus nécessaire. Pour réussir dans cette entreprise, il est nécessaire d’adopter une approche intégrée qui réunisse et coordonne le plan d’investissement Juncker, l’Union bancaire et l’Union des marchés de capitaux afin de parvenir à une véritable « Union de financement pour l’investissement et l’innovation ». Cette Union de financement s’appuiera sur l’excédent d’épargne annuel de 390 milliards d’euros de la zone euro.
Une autre conséquence du Brexit est qu’un certain nombre d’activités financières seront relocalisées au sein de l’UE à 27. Par conséquent, le paysage de la concurrence entre places financières va changer, même si l’on ne s’attend pas à voir apparaître une « City de Londres » continentale, mais une structure compétitive plus multipolaire et spécialisée.
Il en va de notre responsabilité collective de favoriser un écosystème compétitif et équitable pour les acteurs internationaux ; avec notre corpus réglementaire unique, cette concurrence ne permettra aucun « nivellement par le bas », réglementaire ou prudentiel.
Dans ce contexte, la place financière de Paris possède de nombreux atouts. Paris abrite l’un des marchés de capitaux les plus développés d’Europe continentale, elle est numéro un du secteur de la gestion d’actifs, elle dispose d’un marché obligataire de premier plan, du plus grand marché de titres négociables à court terme (NEU-CP) et occupe la première place en matière de financement du capital-risque d’Europe continentale. En outre, Paris offre un gisement intéressant de personnel hautement qualifié dans les services financiers.
Le gouvernement français et les autorités financières du pays, y compris la Banque de France, œuvrent également de concert pour faciliter la diffusion d’innovations financières saines et solides et pour favoriser le développement d’une finance durable. Ces investissements sont protégés par un système bancaire très résilient, accompagné d’une réglementation cohérente. Permettez-moi de vous rappeler que Paris abrite déjà l’Autorité européenne des marchés financiers et bientôt l’Autorité bancaire européenne. De plus, la Cour d’appel de Paris a été dotée d’une chambre internationale en février dernier, les litiges commerciaux internationaux relevant de sa compétence. Cette évolution complètera l’organisation du Tribunal de Paris, dont le Tribunal de commerce dispose déjà d’une chambre internationale. Enfin, et surtout, je voudrais souligner que les autorités françaises font actuellement en sorte que la place financière de Paris et ses intervenants bénéficient d’un cadre réglementaire rationalisé et favorable à l’activité, notamment dans des domaines tels que les émissions obligataires et la titrisation. Dans le même temps, des efforts importants ont été réalisés par le gouvernement français afin d’alléger le régime fiscal et les cotisations sociales applicables aux « impatriés ». Ce processus, qui avait démarré en 2016 sous le précédent gouvernement, a été amplifié par le nouveau, notamment à la veille du sommet des affaires qui s’est tenu en janvier dernier.
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La France est en train de changer, pour le meilleur. Mais, elle reste bien évidemment tributaire de son environnement économique. Permettez-moi de conclure en formulant deux souhaits. Le premier : que l’Europe soit suffisamment courageuse pour profiter de la reprise conjoncturelle en cours pour se renforcer. La perspective d’un accroissement des réformes en France conjugué à une relance budgétaire plus importante en Allemagne est bienvenue mais insuffisante : la zone euro a besoin d’une Union économique plus forte pour éviter de surcharger la politique monétaire avant la prochaine récession. Mon second souhait est que les États-Unis et le G20 soient suffisamment clairvoyants pour apporter à leurs défis économiques des réponses mutilatérales, et non unilatérales : là encore, la France constitue un partenaire fiable.