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Interview de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, Bloomberg Europe (TV)

Francine Lacqua, présentatrice

Et maintenant, un autre échange que nous attendons avec impatience : notre entretien avec le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, qui, bien sûr, est également membre du Conseil des gouverneurs de la BCE.  

 

 

Monsieur, merci beaucoup de nous avoir rejoints. Nous allons parler de politique monétaire et d’inflation dans un instant mais tout d’abord, une première réaction : que signifie l’élection de Donald Trump pour les politiques européennes? 

 

François Villeroy de Galhau

Il est trop tôt pour pouvoir le dire et beaucoup d’incertitudes demeurent concernant le programme économique du nouveau président. Il y a en tout cas à Davos un souhait, qui est partagé par tous, y compris par les chefs d’entreprise américains : éviter le recours au protectionnisme parce que ce serait un mauvais coup pour la croissance mondiale. Mais certains éléments de ce programme pourraient s’avérer positifs. Nous verrons bien.  

FL. Donc, pour en revenir à ce que nous avons entendu hier de la Banque centrale européenne et de Mario Draghi, on a beaucoup parlé de l’inflation, et l’inflation totale est très clairement en train de se redresser. L’inflation sous-jacente est actuellement assez faible. Combien de temps êtes-vous prêts à faire abstraction de cette divergence ?

 

François Villeroy de Galhau

Dans cet environnement très incertain, Francine, s’il existe une région dans laquelle la situation évolue comme prévu, voire un peu mieux que prévu, c’est probablement la zone euro, dont la croissance se raffermit, à 1,7 % cette année, tout comme l’année dernière. L’inflation se redresse. L’inflation totale s’élève à 1,1 % et nous examinons également l’inflation sous-jacente, qui est un peu plus faible – à 0,9 % – mais cette évolution est conforme à nos anticipations. Ce que nous avons décidé en décembre et confirmé hier au terme d’une discussion, qui, je dois le dire, a été plutôt brève et facile, c’est de maintenir l’orientation accommodante de notre politique monétaire – car nous n’avons pas encore atteint notre cible d’inflation de 2 % à moyen terme – mais de réduire de 80 milliards à 60 milliards d’euros le montant de nos achats mensuels – car il y a des signes de progrès. Nous sommes sur la bonne voie pour atteindre notre objectif d’inflation. Nous soutenons la croissance en Europe mais la politique monétaire ne peut évidemment pas être la seule partie à jouer. Les réformes structurelles et les progrès accomplis vers une union économique sont importants.  

 

 

Tom Keene, présentateur

En France, la science économique est, par tradition, une science mathématique et de précision, on le voit bien notamment dans les publications du Trésor public. En ce qui concerne les recherches sur la productivité, pouvez-vous nous dire ce que vous avez appris à la Banque de France au sujet de la productivité française, de la productivité européenne et de la productivité à laquelle Donald Trump peut s’attendre aux États-Unis ?

 

François Villeroy de Galhau

Cela est peu connu, mais la productivité française est l’une des plus élevées au monde avec celle de l’Allemagne et des États-Unis, notamment parce que nous disposons d’une main-d’œuvre qualifiée. Quant à nos autres atouts, nous avons une démographie favorable  et de bonnes infrastructures. Cependant, le ralentissement de la productivité, que nous constatons partout ailleurs, touche également l’Europe et la France, et nous devons donc renforcer la croissance grâce à des mesures plus structurelles. Il y a eu des réformes en France, plus qu’on ne le pense généralement : la réforme des retraites, du régime de fiscalité des entreprises et la nouvelle loi travail. Mais si nous voulons renforcer la productivité et la croissance – et les deux vont dans le même sens – nous devons mettre en œuvre de nouvelle réformes, en nous inspirant également des exemples positifs de certains autres pays européens. Les pays nordiques, par exemple, sont très intéressants à étudier du point de vue de la productivité et de l’innovation. Ils disposent également d’un niveau élevé de cohésion sociale et d’une croissance plus inclusive avec moins d’inégalités. C’est un exemple intéressant, non seulement pour la France mais également au-delà des frontières de l’Europe.

 

FL. Monsieur le Gouverneur, nous reviendrons sur la question de la productivité, mais je m’interroge sur votre optimisme concernant l’Europe. Il va y avoir en France et aux Pays-Bas des élections dont nous ne connaissons pas le résultat ; l’Italie est en passe de plonger dans le chaos politique. Cela ne manquera pas d’avoir un impact sur la stabilité, sur l’emploi et, donc, sur vos décisions monétaires.

 

François Villeroy de Galhau

Je n’ai pas utilisé le terme d’« optimisme ». Je parlerais plutôt de « confiance ». Regardons l’économie. À la BCE, nous avons dit, il y a un an, que la reprise était fragile, puis nous avons dit qu’elle était régulière et maintenant nous disons clairement qu’elle se raffermit. Tous les signes pointent dans la même direction, et je n’ai pas le sentiment que le cycle électoral modifiera ce climat économique. Mais ce n’est pas suffisant. Nous devons renforcer la croissance en Europe et en France, avec davantage de réformes. Nous avons des exemples très positifs dans la zone euro de pays ayant l’euro comme monnaie commune, des taux de croissance et d’emploi plus élevés, et dont la société est plus inclusive. Ces pays sont pour nous tous, ici à Davos, des exemples intéressants.

 

FL. Le Conseil des gouverneurs a-t-il commencé à parler de retrait progressif [tapering] de son programme ?

 

François Villeroy de Galhau

Non.

 

 

FL. Pourquoi pas si la confiance est là ?

 

François Villeroy de Galhau

Non, parce que grâce aux décisions de politique monétaire que nous avons prises en décembre dernier et qui ont été confirmées hier, nous avons apporté prévisibilité et stabilité aux acteurs économiques en Europe, pour toute l’année à venir. Dans un monde très incertain, cela constitue probablement un repère de stabilité et de prévisibilité. S’agissant de ce que nous ferons dans le futur, après décembre 2017, vous conviendrez avec moi que nous avons le temps ; nous avons toute l’année devant nous. Mais évidemment, nous suivons la situation économique. Nous avons indiqué hier que nous examinerons les chiffres de l’inflation, et pas seulement ceux de l’inflation totale. Nous nous intéresserons également à l’inflation sous-jacente, dans une perspective de moyen terme, car notre objectif de 2 % est un objectif à moyen terme.

 

TK. M. le Gouverneur, à Bloomberg News, nous avons déclenché une tempête en annonçant que HSBC pourrait délocaliser de nombreux employés à Paris. Pour aller à Paris, il faut qu’ils le veuillent. Que doit faire la France pour que, dans les cinq prochaines années, sans être anglicisée ou ressembler à l’Allemagne, elle reste au contraire la France que nous avons étudiée dans nos livres d’histoire, une France où le capitalisme est dynamique ? Que devez-vous faire dans les cinq ans qui viennent pour que ceux qui quittent l’Angleterre s’installent à Paris ?  

 

François Villeroy de Galhau

Si je peux me permettre, Tom, il y a deux parties dans votre question. La première concerne le Brexit. Les discours de la Première ministre mardi dernier et ici à Davos ont le mérite de clarifier certaines choses. Mais tous les leaders européens, les 27, ont rappelé un principe de cohérence très simple : vous ne pouvez pas diviser le Marché unique. Cela signifie qu’il ne peut pas y avoir d’Europe à la carte. Avoir accès au Marché unique signifie mettre en application l’ensemble de ses règles et cela constituera une vraie difficulté lors de la négociation d’un accord de libre-échange. En ce qui concerne les services financiers, d’après les discours de la Première ministre, la City de Londres aura probablement du mal à conserver son passeport européen. C’est donc de notre responsabilité que la zone euro, y compris la place financière de Paris, soit très attractive, en adoptant une attitude très favorable aux affaires. Je peux seulement dire que nous sommes mobilisés pour accueillir les acteurs financiers à Paris et que nous avons des contacts très sérieux avec nombre d’entre eux.

 

FL. Quel est le plus grand risque identifié par le Conseil des gouverneurs pour les douze prochains mois et quelle est la place de la Chine et des États-Unis dans ce contexte ?

 

François Villeroy de Galhau

Nous avons indiqué hier que les risques entourant la croissance continuent de refléter principalement des facteurs mondiaux, hors de l’Europe : ceux que vous avez mentionné ou d’autres. Ce matin, à Davos, nous avons évoqué les « cygnes noirs » et, par définition, vous ne savez pas à l’avance quelles formes ils prendront. Mais en Europe, nous savons au moins où nous allons en termes de politique monétaire. Et la croissance repart. Nous devons en accélérer le rythme.

 

FL. M. le Gouverneur, revenons à l’inflation et c’est un sujet que nous abordons souvent. L’inflation en Italie, qui est différente de l’inflation en Allemagne. Lorsque vous examinez l’inflation (au Conseil des gouverneurs), il s’agit de la situation globale, de l’inflation tous pays confondus. Que se passe-t-il si l’inflation allemande se redresse brusquement ? Est-il difficile alors d’élaborer une politique monétaire commune ?

 

François Villeroy de Galhau

Notre mandat porte clairement sur l’inflation moyenne dans la zone euro, et tout le monde autour de la table s’accorde sur ce mandat. Il peut y avoir des différences. L’inflation peut enregistrer un pic temporaire en Allemagne, c’est ce que nous observons aujourd’hui. Ces différences se réduiront probablement légèrement à l’avenir et l’inflation allemande devrait demeurer inférieure à 2 % en moyenne cette année. Mais, encore une fois, nous examinons l’inflation dans une perspective de long terme et c’est bénéfique pour tout le monde dans la zone euro, y compris pour les entrepreneurs allemands, d’avoir la stabilité des prix dans l’ensemble de la zone. C’est un signe de bonne santé économique et cela aidera également l’économie allemande. 

 

TK. Une dernière question, depuis l’époque d’Otmar Issing en passant par celle de Papademos et d’autres, la BCE a évolué. Comment se déroule le Conseil des gouverneurs à présent ? Les réunions sont-elles conflictuelles ? Est-ce une instance collégiale ? Tout le monde est-il sur la même longueur d’onde ? Comment la situation a-t-elle évolué au cours des dix dernières années ?

 

François Villeroy de Galhau

Comme vous avez mentionné Otmar Issing, permettez-moi de vous rappeler une chose très simple : notre objectif d’une inflation à 2 % en moyenne date de 2003 et à cette époque-là, Otmar Issing était le chef économique de la BCE. Nous appliquons donc la cible qu’il avait proposée au Conseil des gouverneurs. Aujourd’hui, celui-ci est une instance collégiale et amicale. Mais je ne commenterai pas davantage sur notre processus de décision. C’est également une condition de notre indépendance. Il s’agit d’un véritable système fédéral, qui fonctionne. Les décisions sont prises collectivement et non par un seul homme. Et le débat est très ouvert et amical. 

 

FL. M. le Gouverneur, je vous remercie, ce fut un plaisir.

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Interview de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, Bloomberg Europe (TV)
  • Publié le 20/01/2017
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