Interview de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
France Inter – 6 juillet 2017
Léa Salamé :
Bonjour François VILLEROY DE GALHAU.
François Villeroy de Galhau :
Bonjour Léa SALAME.
Vous adressez aujourd'hui une lettre au président de la République sur l'état économique de la France, cette lettre annuelle est une tradition républicaine depuis 1945 où le gouverneur de la Banque de France va donner au président de la République cette lettre. Dominique SEUX nous répète depuis quelques semaines que ça va mieux, que les voyants sont au vert, que la croissance revient, est-ce qu'il dit la vérité Dominique SEUX où est-ce qu’il nous ment ?
François Villeroy de Galhau :
Le constat par lequel s'ouvre cette lettre, qui rejoint ce que dit Dominique SEUX, c'est que la France et l'Europe connaissent un moment favorable aujourd'hui. Il y a d'abord une clarification politique après les élections françaises, et il y a une embellie économique : on ne sait pas toujours que l'Europe, au sens de la zone euro, va probablement connaître pour la deuxième année de suite le même niveau de croissance que les États-Unis.
C'est-à-dire ?
François Villeroy de Galhau :
C’est-à-dire autour de 2 %. Le défi pour nous c'est de saisir ce moment favorable pour être ambitieux, pour être audacieux et pour rattraper enfin les retards français.
On va parler des réformes que vous demandez, que vous préconisez mais d'abord sur l'état de l'économie est-ce que c'est une reprise, une vraie reprise ou est-ce que c'est une petite « reprisette » ?
François Villeroy de Galhau :
C'est une vraie reprise même si elle reste modérée, la France est en dessous malheureusement de la croissance de la zone euro.
Mais c’est ce que j’allais vous dire, vous prévoyez 1,4 % pour cette année.
François Villeroy de Galhau :
La France devrait être autour de 1,6 %.
Vous avez revu à la hausse ?
François Villeroy de Galhau :
Il se trouve qu’il y a des facteurs mécaniques qui conduisent à ce 1,6 comme d’ailleurs les deux années prochaines, si nous n’accélérons pas par des réformes et par une ambition globale. Cela se traduit par une petite baisse du taux de chômage ; mais nous resterions au-dessus de 9 % de taux de chômage si nous sommes simplement une espèce de France assoupie : c'est-à-dire si nous profitons simplement de cette embellie mais sans avoir l'ambition supplémentaire de nous transformer et de faire les réformes qui ont marché chez nos voisins européens.
Mais pardon François VILLEROY DE GALHAU pourquoi est-ce qu'on dit qu'on a jamais créé autant d'emplois, 200.000 emplois en 2016, c’est une année record, et en même temps le taux de chômage qui ne baisse pas ou qui baisse si peu, 50.000 chômeurs de plus en mars, 22.000 chômeurs de plus en mai. Est-ce qu’il n’y a une contradiction, de plus en plus d’emplois créés et le chômage qui ne baisse pas ?
François Villeroy de Galhau :
Il faut qu’on reste une minute sur cette question du chômage qui est évidemment vitale pour nos concitoyens. La France a créé c'est vrai 200.000 emplois en 2016, c'est l'effet du CICE, du pacte de responsabilité et puis plus temporairement de la prime à la première embauche. Grâce à cela nous sommes descendus un peu en dessous des 10 % de taux de chômage.
C’est peu !
François Villeroy de Galhau :
Quand on se projette sur les prochaines années, selon la prévision de La Banque de France, s'il n'y a pas d'accélération des réformes nous pourrions descendre autour de 9 % de taux de chômage. Et puis en gros nous arrêter là : c'est beaucoup trop élevé. Si nous faisons ces réformes dont nous allons parler avec cette ambition globale de transformation, nous pouvons viser d'être à 7 % de taux de chômage, 7 % nous aurions comblé la moitié de notre retard par rapport à l’Allemagne et c'est le point le plus bas que nous avions atteint avant la crise. Cela paraît peut-être abstrait 7 %, 9 % mais la différence entre les deux c’est près de 600.000 personnes qui auront retrouvé un emploi, 600.000 personnes avec leurs familles, cela changerait totalement la cohésion sociale en France.
Si, je termine la phrase, si les réformes sont faites selon vous. Alors justement ça fait dix ans que vous demandez des réformes structurelles de la France, est-ce que vous les voyez venir aujourd'hui avec les annonces d'Emmanuel MACRON et d’Edouard PHILLIPPE.
François Villeroy de Galhau :
La France a d'abord fait un certain nombre de réformes ces dernières années mais pas assez. Quel est le cap ? Une France plus forte, c'est une France qui enfin interrompt la dérive de ses dépenses publiques -cela c'est une anomalie française flagrante-, c'est une France qui a davantage de talents humains, et c'est une France qui a moins de règles inefficaces.
D’accord, ça pardon on est dans l’abstrait, pour être très clair, on a eu des annonces très claires, vous savez on est dans une nouvelle génération, on parle d’une nouvelle ère politique etc. et la nouvelle ère c’est de dire la vérité, donc même le gouverneur de la Banque de France peut peut-être sortir de ses pudeurs pour dire ce qu’il pense des annonces…
François Villeroy de Galhau :
Disons la vérité tout de suite sur les finances publiques, commençons par cela parce que c'est l’anomalie française. Pour avoir en gros le même modèle social que nos voisins -et je crois au modèle social européen-, cela nous coûte 56 % de notre richesse nationale, de notre PIB. À nos voisins de la zone euro, cela coûte 10 points de PIB de moins, c’est-à-dire 220 milliards de moins. Alors vous voyez que là il y a un champ d’action très concret. Ce qui a été annoncé par le gouvernement sur l’étalement sur la durée du quinquennat d’un certain nombre de baisses d’impôts me paraît lucide et courageux par rapport à cela.
Alors 60 milliards d’économies sur le quinquennat annoncé par Edouard PHILIPPE hier, est-ce que c’est bien ou est-ce que ce n’est pas assez pour être clair.
François Villeroy de Galhau :
Sur la dépense publique elle-même, il ne s'agit pas de la couper mais de freiner beaucoup sa hausse : ce qui a été annoncé pour l’année prochaine, c’est une dépense publique qui progresse comme l’inflation. Cela parait raisonnable. Maintenant il faut associer cela à une grande réforme dans les services publics, il y a des champs d’économie possible dans le logement, dans certaines dépenses sociales, dans certaines dépenses locales…
Qu’est-ce que vous voulez…pardon je vous reprends parce que c’est intéressant pour nos auditeurs, qu’est-ce qu’il faut couper dans les dépenses sociales ?
François Villeroy de Galhau :
Ce n’est pas à moi de choisir les priorités, ou les sujets où on peut simplement reconduire ou faire autrement. Mais on parlait tout à l’heure de l’innovation dans les entreprises, il peut aussi heureusement y avoir de l’innovation dans le service public. Je suis un passionné du service public, je crois qu’il peut innover, je crois qu’il peut faire mieux. Je crois aussi qu’il faut responsabiliser les gestionnaires. Vous savez, quand on donne aux managers publics une enveloppe qui peut être une enveloppe exigeante mais qu’on leur trace leurs objectifs à plusieurs années, et qu’à l’intérieur de cette enveloppe on leur donne d’avantage d’autonomie de gestion, ils peuvent faire des gains d’efficacité, bâtir un meilleur service public.
Alors toujours Edouard PHILIPPE, toujours le Premier ministre, qui annonce pour ce qui est de la Fonction publique, un plan d’économie très strict, il veut stabiliser la masse salariale alors que la croissance naturelle de la masse salariale c’est d’augmenter de 1,5 % par an, est-ce que stabiliser la masse salariale dans la fonction publique c’est suffisant ou ce n’est pas assez ?
François Villeroy de Galhau :
Encore une fois le détail des choix à l’intérieur du service public relève du pouvoir politique, c’est normal, ça fait partie …
Vous ne voulez pas commenter !
François Villeroy de Galhau :
J’ai donné un certain nombre de pistes sur la dépense publique. Mais les réformes, ce n’est pas que cela. Ce qui est très important pour qu’il y ait un équilibre, une efficacité économique et puis un équilibre social c’est qu’on agisse sur un peu tous les fronts à la fois. C’est vraiment le moment d’être audacieux et ambitieux : pour vous citer une très grande priorité sur les talents humains, ce qui concerne l’éducation, la formation professionnelle et l’apprentissage pour les jeunes, cela c’est vital pour donner sa chance à chaque Français.
Est-ce que vous avez entendu, ce que vous avez entendu de Jean-Michel BLANQUER, le nouveau ministre de l’Education, vous semble aller dans le bons sens ?
François Villeroy de Galhau :
Je crois que de façon générale la priorité est située assez haut. Après il y a 5 ans pour juger et pour avancer. Je voudrais insister sur la formation professionnelle et sur l’apprentissage, parce que là on peut avoir des retours rapides. Donner plus de qualifications aux Français cela leur permet de retrouver un emploi. Pour les jeunes, nous avons deux fois et demi moins d’apprentis qu’en Allemagne et nous avons malheureusement un taux de chômage des jeunes qui est trois fois plus élevé. Il n’y a sans doute pas de priorité plus urgente que celle-là.
Une question plus large, on dit souvent que les planètes sont alignées pour Emmanuel MACRON, est-ce que vous pensez qu’il a du bol pour être clair Emmanuel MACRON, qu’il a de la chance ou qu’il bénéficie d’une conjoncture très favorable qui a été amorcée, qu’il bénéficie des réformes déjà entamées par François HOLLANDE ?
François Villeroy de Galhau :
Non je crois que c’est la France qui a de la chance, et l’Europe. C’est cette embellie économique dont nous parlions. Mais il ne s’agit pas simplement d’attendre que cette chance se réalise, il s’agit de la transformer par l’action et c’est le terrain de jeu français. Il faudrait aussi réformer le marché du travail, casser un certain nombre …
Elle arrive la loi travail, elle arrive la loi travail !
François Villeroy de Galhau :
La loi travail va permettre d’augmenter l’emploi.
Vous l’a regardez avec un œil bienveillant cette loi, ce que vous en voyez ?
François Villeroy de Galhau :
On va voir les détails mais il est sûr que c’est un des retards français sur l’emploi, qui explique le chômage. Mais à côté de ce terrain de jeu français dont on a parlé, il faut aussi accélérer sur le terrain de jeu européen. La France avec l’Allemagne a les moyens de pousser une optimisation de la zone euro. L’euro est une bonne monnaie mais nous pouvons avoir davantage de croissance et d’emplois si nous agissons ensemble.
Question plus personnelle, vous qui avez travaillé avant d’être gouverneur de LA BANQUE DE FRANCE avec Dominique STRAUSS-KAHN, quand vous voyez que la Strauss-Kahnie est très fortement représentée dans la Macronie, en clair la plupart des conseillers, des proches d’Emmanuel MACRON sont des ex Strauss-Kahniens, vous vous dites que c’était une bonne école ?
François Villeroy de Galhau :
Je ne crois pas que ce soit un critère de jugement d’avoir appartenu à l’école A, B ou C. J’ai mon histoire, j’ai aussi travaillé avec Pierre BEREGOVOY, j’ai travaillé à l’intérieur du service public avec des ministres de tous bords. Ce qui compte c’est la qualité des personnes, leurs compétences professionnelles. Ce qui compte peut-être aussi c’est la passion de la France : pardon de le dire comme cela, mais je crois que nous aimons tous notre pays. Or la réussite de notre pays dont nous parlons ensemble dépend bien sûr du gouvernement, d’un programme politique ; mais elle dépend aussi de chacun de nous. Saisissons ce moment favorable pour avoir une mobilisation collective.
Merci François VILLEROY DE GALHAU d’être venu en exclusivité nous détailler votre lettre au président de la République et belle journée.