Mesdames et Messieurs,
C’est un grand plaisir pour moi que d’être ici aujourd’hui dans le cadre du Forum international Paris Europlace et je suis particulièrement heureux de pouvoir échanger des points de vue sur le projet d’Union des marchés de capitaux (UMC) avec l’un de ses principaux architectes, Olivier Guersent.
Ce projet fait effectivement écho à de nombreuses préoccupations traitées au niveau des banques centrales, relatives en particulier aux moyens de parvenir à un meilleur équilibre de la structure de financement de l’économie et d’améliorer l’accès au financement des entreprises, notamment en ce qui concerne les PME et les infrastructures, tout en garantissant la stabilité financière. Cette initiative, annoncée il y a seulement un an, est rapidement devenue un sujet d’actualité avec le lancement de la consultation publique par la Commission européenne en février dernier.
La Banque de France s’est engagée à répondre à cette consultation publique, qui constitue une étape importante de la construction d'une Union des marchés de capitaux. Permettez-moi de vous présenter brièvement notre point de vue.
Je salue et je soutiens l’initiative pour la mise en place d’une Union des marchés de capitaux (UMC) et la considère comme une voie prometteuse vers la croissance. Toutefois, je crois que trois conditions préalables majeures doivent être réunies pour assurer son succès : un cadre clairement défini axé sur un nombre limité de résultats opérationnels, (b) un dosage approprié entre financement de marché et financement bancaire ; (c) la nécessité d'assurer la stabilité financière à long terme.
a) Premièrement, l’Union des marchés de capitaux doit être structurée à l’aide d’un cadre clairement défini et énoncé, et être axée sur un nombre limité de résultats opérationnels.
Nous estimons qu’en matière de financement à long terme, il faut, en toute priorité, chercher à promouvoir le financement par émission d’actions plutôt que le financement par endettement. Le financement par émission d’actions est essentiel pour permettre aux entreprises de se développer et de fonctionner à long terme, d’autant plus que nous devons tenir compte du niveau élevé d’endettement en Europe, aussi bien s’agissant du secteur public que du secteur privé, y compris pour les PME emprunteuses. Il faut en effet que les ratios d’endettement actuels soient ajustés pour s’inscrire sur une trajectoire plus soutenable.
En dépit de cet objectif prioritaire, les instruments de dette demeurent un outil de financement indispensable. S’agissant des résultats opérationnels, nous partageons l’opinion de la Commission européenne selon laquelle le développement de placements privés et d’une titrisation simple, transparente et standardisée (STS) est possible à court ou moyen terme.
La titrisation peut en effet constituer un outil pertinent au service du financement de l'économie puisqu'elle permet de libérer du capital réglementaire et de créer des actifs liquides, en particulier dans le contexte d’un durcissement des exigences de fonds propres imposées aux banques. L’UMC pourrait par exemple promouvoir des initiatives comme celles qui ont été menées en France, où les banques, avec le soutien de la Banque de France, ont pris des mesures pour monétiser leurs gisements de créances privées. Les banques ont désormais la possibilité de structurer ces prêts sous la forme de titres négociables (ESN), émis par un véhicule de titrisation, l’Euro Secured Note Issuer (ESNI), pour lever des fonds à moyen terme.
S’agissant des placements privés, les initiatives de place ont déjà permis le développement effectif de normes européennes communes. Le secteur financier français a été particulièrement actif dans ce domaine, avec l’élaboration de la Charte Euro PP (Placements privés) pour la France en 2014. Cette Charte a été réutilisée par l’Association des marchés de capitaux internationaux (ou International Capital Market Association, ICMA) pour rédiger un guide sur les normes de marché et les meilleures pratiques communes. Ces initiatives ont pu s’appuyer sur une définition et une classification européenne communes des PME pour développer un marché paneuropéen des placements privés.
b) Deuxièmement, le financement de marché doit être considéré en complément et non en remplacement du financement bancaire.
Il est essentiel de favoriser le développement du financement de marché en complément du financement bancaire. Bien que cette évolution soit déjà commencée, sa vitesse et son ampleur sont variables selon les pays et les secteurs considérés. Même si un rééquilibrage du dosage de financement de l’économie européenne est souhaitable, dans la mesure où il favorise la diversification des sources de financement disponibles, les banques continueront cependant de jouer un rôle majeur.
Certains compartiments de l’économie, à savoir les PME et les infrastructures, dépendent fortement du financement bancaire, en raison de l’existence de coûts fixes élevés et d’asymétries d’informationimportantes. Les banques sont en effet mieux armées pour évaluer la solvabilité de ces contreparties ou de ces projets.
Cela dit, la fourniture d’informations claires et transparentes sur le risque de crédit est une condition préalable au recours à toute source de financement, qu’elle soit intermédiée ou non. Le plan d’action pour l’UMC doit prévoir des initiatives favorisant des solutions impliquant le secteur privé, telles que l’utilisation plus large des outils de notation existants.
Les investisseurs doivent également avoir accès à des informations comptables claires, comparables et complètes, dont la plupart des PME en Europe sont actuellement dépourvues. Les règles comptables constituant le fondement de l’information financière, une Union des marchés de capitaux ne peut être efficace avec 28 systèmes comptables différents. Cela est d’autant plus important dans l’Union bancaire européenne, où les banques supervisées par l’Autorité bancaire européenne dans le cadre du Mécanisme de surveillance unique (MSU) demeurent soumises à des systèmes comptables différents. Des progrès sont hautement souhaitables dans ce domaine et, à titre de première étape, je serais favorable à une initiative visant à évaluer la qualité et le degré de comparabilité des normes comptables nationales et à promouvoir la poursuite de la convergence.
c) Troisièmement, il demeure nécessaire de garantir la stabilité financière à long terme.
L’évolution vers davantage de financement de marché entraînerait plusieurs conséquences du point de vue de la stabilité financière.
Le développement de sources de financement alternatives, extérieures au système bancaire, apporte une nécessaire diversification. Cependant, les risques associés à la désintermédiation sont clairs, notamment une évaluation limitée des risques par les investisseurs ou une moindre capacité à gérer les situations difficiles et certaines lacunes dans la supervision. En parallèle, la réintermédiation non bancaire soulève des questions d’égalité de traitement liées au manque d’uniformité de la réglementation et de la surveillance d’un secteur ou d’un pays à l’autre.
Les objectifs de l’Union des marchés de capitaux doivent servir de base aux efforts réglementaires réalisés au niveau européen. Avant d’adopter de nouveaux textes législatifs, il est primordial d’examiner leur incidence de manière approfondie. Même si l’analyse de l’incidence cumulée des réglementations et de leurs interactions n’a commencé que depuis peu, il convient d’être vigilant afin de garantir que la mise en oeuvre des réformes n’aboutisse pas à une réduction des activités financières, telles que la tenue de marché, qui sont indispensables pour préserver la liquidité de marché, financer les investissements et les entreprises et, au final, l’économie réelle.
La réforme prévue des structures bancaires et la future taxe sur les transactions financières dans l’Union européenne (European Financial Transactions Tax – EFTT) sont deux bons exemples à cet égard. Dans ces deux projets, une démarche appropriée doit permettre d’atteindre un juste équilibre entre la limitation des risques associés aux activités de marché et la nécessité de préserver les activités financières utiles, voire même essentielles, au développement de l’économie réelle. Cette approche serait pleinement compatible avec les objectifs fondamentaux de l’Union des marchés de capitaux.
Une meilleure intégration des marchés au sein de l’Union européenne (UE) signifierait également l’apparition de nouveaux enjeux de réciprocité en matière de politiques macro-prudentielles. Au niveau macroéconomique, les autorités doivent procéder à un examen approfondi des vulnérabilités et des risques supplémentaires que l’UMC est susceptible de faire apparaître aussi bien à l’échelle nationale qu’au plan transfrontière. Les autorités devront renforcer leur cadre analytique et éventuellement compléter leurs instruments macro-prudentiels, principalement issus du secteur bancaire au stade actuel.
Je conclurai par quelques remarques relatives aux travaux à plus long terme, portant sur la manière d’harmoniser davantage les régimes juridiques nationaux et l’architecture institutionnelle.
Le Livre vert de la Commission européenne recense les domaines pouvant faire l’objet de travaux à plus long terme, comme l’harmonisation des régimes d’insolvabilité, de la législation applicable aux titres et des régimes fiscaux. La réalisation de ces objectifs nécessiterait un processus très complexe et politiquement sensible. C’est pourquoi nous proposons de commencer par une première étape plus réaliste, à savoir un exercice d’évaluation des résultats qui permettra aux investisseurs d’avoir une vision plus claire des divergences et des éventuelles incohérences entre les différentes législations des États de l’UE. Il convient également de noter que, dans le domaine des infrastructures de marchés financiers, les initiatives de l’Eurosystème se sont avérées de puissants catalyseurs de l’harmonisation. Par exemple, des progrès significatifs ont été réalisés en matière de normalisation des décisions des entreprises dans le cadre du projet Target2-Titres, sans besoin d’ajuster les différents cadres juridiques.
Enfin, et je sais que c’est un sujet qu’Olivier reprendra avec plaisir, une plus grande convergence réglementaire est possible sans modification de l’architecture institutionnelle actuelle, mais grâce à une coopération renforcée entre autorités européennes de surveillance (AES) et autorités nationales.
Je vous remercie de votre attention.