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Allocution de bienvenue de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

Bienvenue à Paris ! C'est un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui, et de partager avec vous nos réponses aux nouveaux défis auxquels l'Europe fait face.

Le Brexit en fait indéniablement partie : cette décision a de lourdes conséquences, en particulier pour le Royaume-Uni. De toute évidence, l'Europe se trouve à la croisée des chemins mais ceci n’est pas nouveau : je l'ai déjà dit, notamment dans un article co-écrit avec Jens Weidmann en février dernier. Le Brexit ne change pas la donne, mais il met en lumière la nécessité de donner un nouvel élan au projet européen. Il nous rappelle également l'objectif premier de la finance : trouver le meilleur équilibre entre épargne et investissement. La manière d'y parvenir reste plus importante que le lieu pour le faire ; mais ces deux questions sont clairement liées. Avant de vous présenter les voies à suivre pour libérer le potentiel d'investissement en Europe, je souhaiterais ajouter quelques mots au sujet du Brexit.

1) Faire face aux conséquences du Brexit

Le Brexit est à l’évidence une mauvaise nouvelle, d’abord et avant tout pour le Royaume-Uni. La priorité immédiate est d'en gérer les conséquences avec le moins de heurts possible. Pour les autorités économiques et monétaires, cela signifie réduire l'incertitude et favoriser la confiance, de trois façons au moins :

  • d’abord, en faisant face au choc financier. Les marchés financiers ont connu des corrections brutales, avec une forte baisse de la livre sterling, mais pas de paralysie. La coopération entre les banques centrales a été efficace à la suite du vote du Brexit. Au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, nous restons pleinement mobilisés et déterminés.
  • ensuite, en préservant le bon fonctionnement de la zone euro, ce bien commun que partagent 340 millions de personnes. D'après l'enquête Eurobaromètre, plus des deux tiers des citoyens de la zone euro se déclarent en faveur de la monnaie unique. Le Brexit aura bien sûr un impact sur l'économie de la zone euro mais il sera moins important qu'au Royaume-Uni. Il ne modifie pas nos projections économiques pour cette année en France : nous attendons toujours une croissance d'au moins 1,4 %. Toutefois, il est important de réduire l'incertitude concernant le Royaume-Uni : le plus vite sera le mieux.
  • enfin, en préparant le nouvel accord commercial entre le Royaume-Uni et l'Union européenne de façon rapide, ordonnée et cohérente. A ce stade, nous ne pouvons formuler aucune hypothèse concernant le résultat des négociations. Ce qui est clair, cependant, c'est qu'il ne peut pas y avoir d’Europe « à la carte » (cherry-picking), ni de « passager clandestin » (freeriding). Pour que le Royaume-Uni conserve l’accès au marché financier unique, il devra respecter strictement toutes les règles habituelles de l'Union européenne.

2) S'appuyer sur nos atouts pour renforcer l'investissement et la croissance

En dépit de la reprise économique progressive observée en 2015 et en 2016, le principal défi, pour l’Europe, reste de trouver le moyen de renforcer la croissance. Pour y parvenir, la priorité est de stimuler l'investissement des entreprises - en France, selon les prévisions actuelles, il devrait augmenter de 3,4 % en 2016. Il y a pour cela des leviers économiques, qui doivent être renforcés grâce à des réformes structurelles. Mais il y a également des leviers financiers – le principal défi étant le financement par fonds propres, élément-clé pour l'innovation. De ce point de vue, l'Europe est très en retard par rapport aux États-Unis : la part des fonds propres dans le financement des entreprises est de 52 % du PIB dans la zone euro, contre 121 % aux États-Unis.

La France et l'Europe disposent toutefois d’atouts incontestables pour relever ce défi en matière d'investissement. Je me concentrerai sur deux d’entre eux aujourd'hui :

  • premièrement, l'épargne est abondante. En France, le taux d'épargne des ménages est élevé : 14,1 % du revenu disponible brut en 2015. Il s’agit du deuxième taux le plus haut, après l'Allemagne (17,4 %), parmi les principales économies européennes. Dans la zone euro, l'excédent courant est important : plus de 3 % du PIB en avril 2016, soit un excédent d'épargne par rapport à l'investissement de presque 330 milliards d'euros. Cet écart doit être comblé grâce à une augmentation de l'investissement, plutôt que par une réduction de l'épargne.
  • deuxièmement, notre système financier est solide. Les cadres réglementaire et prudentiel ont été considérablement renforcés depuis la crise, tant à l'échelle internationale qu'au niveau européen. Aujourd'hui, le système bancaire français est l’un des plus solides en Europe et parmi les économies avancées : entre 2008 et 2015, le ratio de solvabilité CET1 des principaux groupes bancaires français a plus que doublé, passant de 5,8 % à 12,6 %, ce qui correspond à une augmentation de 143 milliards d'euros de fonds propres de base. En outre, leur ratio de liquidité a dépassé 100 %, trois ans avant la date butoir fixée par Bâle III. Le secteur français de l'assurance, lui aussi, est robuste et s'est rapidement adapté à Solvabilité II. De nouvelles évaluations sont en cours mais, selon les normes précédemment en vigueur, la couverture des exigences de fonds propres des principaux groupes d'assurance français est de 230 % environ. La stabilité financière est clairement une priorité pour nous, et c'est bien pour cela que les régulateurs financiers - dont la Banque de France et l'ACPR - accordent une attention particulière à la proposition de fusion entre le London Stock Exchange et la Deutsche Börse.

Permettez-moi d'établir un parallèle pour illustrer la situation. En France et en Europe, nous avons la matière première : l'épargne. Nous avons l'industrie de transformation : le secteur financier. Mais il nous manque deux maillons de la chaîne économique : en aval, nous devons ouvrir de nouveaux débouchés dans l'investissement productif via une gamme plus étendue de produits d'épargne transformés ; et en amont, nous avons besoin de règles stables et lisibles afin de permettre à l’industrie de mener ses activités. Je vois par conséquent deux axes de progression.

Premièrement, mieux orienter notre épargne abondante vers l'investissement productif. Comme je l'ai dit, le principal défi à relever pour accroître l'investissement innovant est de stimuler le financement par fonds propres en France comme en Europe :

  • en France, cela passe par de nouveaux produits d'épargne et un arbitrage approprié entre risque et rendement. En effet, la part de la richesse des ménages investie en actifs risqués est plus de trois fois moins élevée en France qu'aux États-Unis : 77 % contre 241 % du PIB respectivement. Mais les épargnants français et européens sont plus attachés à la sécurité - la protection de leur capital - qu'à la liquidité. Les professionnels devraient donc leur proposer des produits d'épargne moins liquides, dotés d'une certaine garantie du capital à long terme et pouvant bénéficier du meilleur rendement des actions sur la durée. Et il faut à tout le moins éviter des distorsions fiscales au détriment de ces produits par rapport à l’épargne liquide et sans risque. Les taux d'intérêt bas ne sont pas la maladie ; ils sont le symptôme d'un déséquilibre entre épargne et investissement, et sont probablement l’occasion d’accélérer le traitement pour davantage d’investissement productif.
  • au niveau européen, nous devons construire une « Union de financement et d'investissement » (UFI) ambitieuse, rassemblant les initiatives existantes – le plan Juncker, l’Union des marchés de capitaux et l’union bancaire – qui fonctionnent actuellement en silo et produisent de ce fait des résultats insuffisants. Nous devons absolument assembler les pièces du puzzle afin de créer un effet multiplicateur, pour davantage de partage du risque privé en Europe, avec plus de financements par fonds propres et plus de flux transfrontières.

Le second axe de progression pour renforcer l'investissement et la croissance en Europe consiste à stabiliser rapidement l'environnement réglementaire pour les banques, huit ans après la crise financière. Cependant, dans cette phase de finalisation des réformes de Bâle III, nous devrons éviter deux écueils. Premièrement, comme l'ont souligné le GHOS (Groupe des gouverneurs de banque centrale et des responsables du contrôle bancaire) et le G20, l'achèvement des réformes ne doit pas se traduire par une « augmentation significative des exigences globales en fonds propres ». En l'état, les propositions techniques actuelles soumises à consultation par le Comité de Bâle ne respectent pas cet engagement : elles doivent donc être révisées. Deuxièmement, nous devons prendre garde à ne pas simplifier exagérément le cadre réglementaire et perdre la sensibilité au risque. Ajuster l'approche fondée sur les modèles internes ne doit pas revenir à imposer à tous l'approche standard, que ce soit explicitement, ou implicitement par l'application d’ « output floors » mal calibrés.

Permettez-moi de conclure par quelques mots sur les atouts de la place financière de Paris elle-même : elle a des banques et des compagnies d'assurance robustes, un secteur de la gestion d’actifs dynamique, des infrastructures de marchés financiers solides, une population active hautement qualifiée. Et il y a trois choses dont vous pouvez être certains :

  1. d’abord, les autorités françaises, dont la Banque de France, attachent la plus grande importance à avoir à Paris l'une des places financières les plus solides d'Europe. C'est décisif pour l'emploi, pour l'investissement, pour la force de l'économie de la zone euro.
  2. en outre, nous faisons déjà tout pour construire un écosystème de l'innovation : au travers de la coopération récente et efficace entre l'ACPR et l'AMF sur les FinTechs ; au travers du soutien que nous apportons au développement de nouveaux outils, tels que l'ESNI pour la titrisation et Euro GC+ pour les opérations de pensions livrées, ou notre nouveau projet visant à tester des processus de partage de l'information interbancaire fondés sur la technologie blockchain ; mais aussi au travers de nos partenariats avec de nombreuses universités françaises réputées pour leur excellence et leurs masters de finance.
  3. Enfin, nous ferons demain davantage encore pour l'attractivité de la place de Paris. Le gouvernement fera sa part du travail - le premier ministre en parlera tout à l’heure ; la région Ile-de-France et la ville de Paris également ; et l'ACPR procédera avec diligence à l'examen de toutes les demandes d’agrément relevant de ses compétences qui seront déposées par les institutions financières déjà agréées dans un autre État membre de l'Union européenne. Paris n'est bien sûr pas la seule place financière de la zone euro, mais elle a tout pour en être l'une des meilleures. Cela dépend de nous, de nous tous. C'est donc, plus que jamais, l’heure et le jour de Paris Europlace.

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DiscoursFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Allocution de bienvenue de François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France
  • Publié le 06/07/2016
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