Bonjour et bienvenue à toutes et à tous dans l’auditorium de la Banque de France.
C’est un grand plaisir de vous y accueillir avec Patrick Guillaumont, Président de la FERDI,
qui co-organise avec nous cette conférence et que je salue chaleureusement. Je salue également Jan Gunning, Professeur émérite à l’Université libre d’Amsterdam, ainsi que l’ensemble des intervenants, qui nous font l’honneur de leur présence.
La Banque de France a noué des partenariats de recherche avec plusieurs fondations
et universités : l’École d’Économie de Paris, l’École d’Économie de Toulouse ou encore
la Fondation nationale des Sciences politiques. Le partenariat avec la FERDI (Fondation pour les Études et Recherches sur le Développement International), dont nous nous félicitons, vise plus particulièrement à prolonger et enrichir la réflexion et la recherche sur les questions monétaires et financières liées au développement, notamment :
Le sujet choisi est d’une grande actualité, après la très forte baisse des prix des matières premières, en particulier du pétrole entre mi-2014 et début 2016, dont les effets sur les pays exportateurs avaient été sous-estimés, à la fois par les pays concernés eux-mêmes, mais aussi par la communauté financière internationale. Ainsi, les prévisions de croissance économique de l’Afrique sub-saharienne des principales organisations internationales n’ont été que très tardivement révisées à la baisse. Alors que le FMI tablait encore, en janvier 2016, sur une croissance de 4 % pour 2016 et de 4,7 % pour 2017, les prévisions retenues dans les perspectives économiques mondiales d’octobre 2016 s’établissaient à seulement 1,4 % pour 2016 et 2,9 % pour 2017, presque uniquement en raison de la récession des économies pétrolières. L’économie ivoirienne est une autre illustration de l’importance des termes de l’échange pour les économies polarisées sur les matières premières. Après avoir connu une croissance exceptionnelle au cours des trois dernières années, en partie portée par la bonne tenue des cours du cacao, à rebours de celui des autres matières premières, l’activité paraît s’essouffler, dans le sillage du retournement des cours.
Le sujet est également d’une importance majeure pour les banques centrales car l’enjeu est ici de trouver les moyens de politiques contracycliques appropriées face à des chocs de grande ampleur que d’évidence la politique monétaire ne peut traiter ni seule, ni sur le long terme.
Dans cet esprit, je veux partager avec vous ce matin quelques réflexions autour de deux questions : quelle est l’importance des cycles des termes de l’échange pour la situation économique et financière des pays pauvres exportateurs et de leurs voisins ? Et comment atténuer les chocs ?
1.Quelle est l’importance des chocs des termes de l’échange pour les pays pauvres et vulnérables ?
Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de l’Afrique sub-saharienne. Le super-cycle de croissance des prix des matières premières a coïncidé avec plus d’une décennie de forte croissance économique en Afrique sub-saharienne. Le degré de causalité entre ces deux évolutions fait débat. Avant le retournement de ce cycle, une grande majorité d’observateurs soulignait le caractère endogène de la croissance africaine et minimisait, voire niait, le rôle de l’appréciation des termes de l’échange.
Cependant, le choc actuel des termes de l’échange aboutit à un renversement de la perception des perspectives africaines. Pour les pays exportateurs de pétrole, la division par deux des prix entre mi-2014 et début 2016 s’est ainsi traduite par d’amples déficits budgétaires et extérieurs, appelant un ajustement rapide, du fait de la faiblesse ou de l’absence de marges de manœuvre contracycliques. L’épargne accumulée en phase haute du prix du pétrole s’est en effet avérée largement insuffisante et les capacités d’emprunt des pays concernés restent très limitées, bien que certains aient bénéficié des annulations de dette dans le cadre de l’initiative pour les pays pauvres très endettés.
Dans les pays pauvres et vulnérables où le développement financier est faible et l’endettement souverain auprès du secteur bancaire dominant, les effets de rétroaction entre détérioration des comptes publics et montée de l’endettement, d’une part et liquidité, voire solvabilité du système bancaire d’autre part, favorisent également la propagation et l’amplification des chocs.
Le choc actuel des termes de l’échange rappelle ainsi la trop grande dépendance des pays vulnérables et pauvres aux matières premières.
2. Comment atténuer les chocs des termes de l’échange ?
Sur ce sujet, il me paraît essentiel de distinguer deux types d’objectifs : les objectifs de stabilisation économique et financière d’une part, et les objectifs de prévention et de meilleure résilience face aux chocs des termes de l’échange d’autre part.
Concernant la stabilisation économique et financière d’abord, les politiques macroéconomiques jouent dans ce domaine un rôle central, en particulier les politiques budgétaires. Bien sûr, pour que celles-ci puissent être mises en œuvre, il est nécessaire que des marges de manœuvre contracycliques suffisantes subsistent. Mais il convient aussi de réfléchir à la manière dont les politiques de consolidation budgétaire peuvent préserver les priorités d’investissement en faveur d’un développement durable, reposant sur le développement des infrastructures et du capital humain (santé, éducation). Les effets de la consolidation budgétaire peuvent ainsi être atténués par une évolution de la composition des recettes et des dépenses, plus favorable à la croissance à long terme.
S’agissant du taux de change, il y a débat sur les politiques optimales à mettre en place dans les pays en développement confrontés à des chocs exogènes. Si la flexibilité du taux de change permet d’accommoder un choc des termes de l’échange, elle est également associée à des risques d’amplification, via le déclenchement de spirales inflationnistes ou les pertes de change que doivent supporter les agents économiques. Les régimes de change fixe ont l’avantage d’ancrer les anticipations des agents économiques et d’offrir ainsi un cadre favorable à l’investissement. Ils seront bien entendu d’autant plus crédibles qu’ils bénéficieront d’une garantie de convertibilité, comme c’est le cas des unions monétaires de la Zone franc.
Par ailleurs, pour les pays pauvres et vulnérables disposant d’accès limités aux financements internationaux et parfois dépendants de l’aide publique au développement, la coordination des autorités publiques nationales et des partenaires internationaux pour le développement constitue un enjeu important.
La mise en œuvre effective des politiques de stabilisation macroéconomique est en effet conditionnée au financement de leurs balances des paiements, souvent catalysé par le FMI. J’aimerais à cet égard saluer l’engagement, annoncé simultanément par les pays membres de la CEMAC le 23 décembre dernier, à ouvrir et à conclure à brève échéance des négociations bilatérales avec le FMI pour mieux structurer leurs efforts d’ajustement.
En parallèle, il est souhaitable que le FMI adapte ses instruments d’intervention et les conditionnalités associées à ses programmes dans les pays pauvres et vulnérables de façon à répondre pleinement à l’ampleur des chocs de prix des matières premières. En premier lieu, le FMI doit apporter directement ou indirectement un volume de financement proportionné au choc. En second lieu, le FMI doit avoir pour objectif de trouver les modalités d’un ajustement budgétaire le moins coûteux en termes de croissance, tout en renforçant ses recommandations sur la prévention de ce type de choc.Ceci m’amène à mettre l’accent sur le second type d’objectifs : les objectifs de prévention et de meilleure résilience face aux chocs des termes de l’échange.
La première priorité pour améliorer la prévention et la résilience est de constituer des marges de manœuvre budgétaires contracycliques suffisantes, en limitant l’endettement public, voire en accumulant des réserves budgétaires. La maîtrise de la masse salariale publique, qui constitue le poste de dépenses le plus dynamique en période de croissance dans de nombreux pays pauvres et vulnérables, ainsi qu’une meilleure efficacité de la dépense publique, apparaissent à cet égard essentielles.
Il convient également d’envisager la mise en place de règles budgétaires sur la base des déficits hors recettes liées aux matières premières, l’adoption de plafonds d’endettement plus stricts pour le secteur public et la constitution d’un volant d’épargne suffisant à des fins contracycliques, en tenant compte de l’ampleur et de la longueur des cycles de prix des matières premières. Dans les pays exportateurs de matières premières non renouvelables, notamment de pétrole, ce volant d’épargne doit être encore plus important car il doit viser à couvrir non seulement la baisse de la valeur des recettes, mais encore une partie de la baisse de la valeur des réserves.La deuxième priorité concerne la diversification de l’économie. Les politiques industrielles fondées sur des subventions sectorielles ou des dépenses fiscales ne sont pas viables en cas de baisse du prix des matières premières et rendent la politique de diversification pro-cyclique. L’action publique doit plutôt se concentrer sur l’amélioration du climat des affaires, seule susceptible de favoriser l’entreprenariat dans le secteur formel et d’améliorer à terme l’attractivité internationale du pays. La diversification n’est enfin soutenable que si l’on évite le syndrome hollandais, caractérisé par une appréciation excessive du taux de change réel contraignant l’essor d’autres secteurs d’exportation. L’accumulation d’une épargne externe contribue à cet objectif. Enfin, la troisième priorité se rapporte à la robustesse du secteur financier. J’insisterai à ce titre sur l’importance de mesurer, via des stress tests, les effets potentiels d’une forte baisse du prix des matières premières sur la solvabilité du système bancaire. Ces stress tests permettent de déterminer le niveau adéquat des fonds propres des banques pour résister aux chocs.
Permettez-moi à présent de conclure brièvement en exprimant de nouveau ma gratitude envers l’ensemble des intervenants et participants venus aujourd’hui partager leurs réflexions sur ces sujets cruciaux. Je vous souhaite de fructueux échanges et laisse à présent la parole à Patrick Guillaumont. Je vous remercie de votre attention.