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France 2 : « L’écart de dépenses avec nos voisins, c’est plus du double de l’effort budgétaire nécessaire »
Mise en ligne le 30 Septembre 2025

Interview du Gouverneur de la Banque de France au journal de 20h de France 2 le 29 septembre 2025.
« Tout ce qui ramènera la confiance sur la dette augmentera la croissance »
Léa Salamé
Le problème de la dette française, il le connaît bien. Dans ce contexte d'incertitudes économiques et politiques, on voulait entendre l'analyse du gouverneur de la Banque de France. François Villeroy de Galhau, bonsoir.
François Villeroy de Galhau
Bonsoir Léa Salamé.
Léa Salamé
Merci d'être avec nous ce soir. On va parler de la dette, de comment la réduire. Mais d'abord, ça va faire 20 jours que la France est sans Gouvernement. Est-ce que cela inquiète les chefs d'entreprise ? Est-ce que vous avez des remontées de patrons qui sont inquiets, qui disent « Ça fait long, 20 jours » ?
François Villeroy de Galhau
L’incertitude politique ne pèse pas seulement sur les chefs d'entreprise, elle pèse sur les Français. Ils sont inquiets aujourd'hui sur la dette. Du coup, ils épargnent davantage et ils consomment moins. Et ça, ce n'est pas bon pour la croissance. Alors, cela veut dire quelque chose dans l'autre sens, plus positif. C'est que si on s'occupe sérieusement maintenant du problème de la dette et des déficits - il y a des solutions. Cela ne pénalisera pas la croissance et l'emploi comme on le craint souvent, parce que tout ce qui ramène de la confiance augmente la croissance.
Léa Salamé
En tout cas, c'est contre-intuitif par rapport à ce qu'on pensait, c'est-à-dire réduire les déficits, ça va casser la croissance ou vous vous dites non, ça ne le fera pas ?
François Villeroy de Galhau
Non car l'incertitude, on le voit aujourd'hui, se traduit par le fait que les chefs d'entreprises diffèrent leurs investissements et leurs embauches…
Léa Salamé
Ça, vous le voyez.
François Villeroy de Galhau
…et surtout que les Français épargnent davantage et donc consomment moins.
Léa Salamé
Il y a quand même une bonne nouvelle sur le front de la croissance, c'est qu'elle tient la croissance française. Malgré tout, malgré les incertitudes, elle tient. Vous avez même revu à la hausse vos objectifs, vos prévisions de croissance pour 2025 à 0,8 %. Bon, ce n’est pas Byzance, mais ça tient…
François Villeroy de Galhau
Oui, la croissance française, elle n’est pas brillante, mais elle résiste. Souvenez-vous, il y a quelques mois, beaucoup craignaient la récession. L'emploi tient bon aussi. Donc, si je regarde l'économie française, je dirais que notre moral n'est pas très bon, mais que le physique tient bon. Alors raison de plus pour qu'on s'occupe maintenant de nos problèmes N°1 qui sont la dette et les déficits. Ce n’est pas que la France va faire faillite, mais c'est que nous risquons d'être étouffés de plus en plus par une dette qui s'alourdit et qui nous coûte de plus en plus cher. Est-ce que je peux ajouter une autre raison ?
C'est que nous vivons dans un monde évidemment inquiétant : la guerre en Ukraine, la nouvelle agressivité américaine, la concurrence chinoise… Pour s'en sortir, la France devrait être, comme d'habitude, un moteur de l'Europe. Aujourd’hui, la France est vue comme un frein parce que nous sommes paralysés par toutes nos querelles politiciennes. Nous aimons tous notre pays. Mais moi, comme beaucoup de Français, j'en ai assez de ce gâchis. La France a un certain nombre d’atouts économiques grâce au travail des Français, grâce aux entreprises. Il y a des solutions pratiques au problème budgétaire, on va en parler, dans la justice. Il n'y a pas de solutions faciles, mais il y a des solutions possibles. Alors de grâce, qu'on dépasse les remèdes simplistes et les lignes rouges que chacun se jette à la figure, et qu'on travaille sur des compromis pragmatiques.
Léa Salamé
Vous êtes un peu en colère ?
François Villeroy de Galhau
Je ne suis pas en colère, mais j'aime mon pays comme je crois tous ceux et celles qui nous écoutent. Et je dis : « Il y a des solutions. Maintenant, passons au travail. »
Léa Salamé
La note de la France a été dégradée par l'agence Fitch. On est maintenant à 3400 milliards de dettes. C'est du jamais vu, c'est du jamais vu. Est-ce que vous diriez qu'on est la lanterne rouge de l'Europe ?
François Villeroy de Galhau
Oui, aujourd'hui…
Léa Salamé
On est le mauvais élève ?
François Villeroy de Galhau
Aujourd'hui, la France a beaucoup d'autres atouts économiques, avec une population plus jeune qu'ailleurs, des grandes entreprises, de la Tech, etc. Mais en matière de dette et de signature de crédit, c'est-à-dire le taux auquel nous empruntons, nous étions assez proches de l'Allemagne. Ce qui s'est passé depuis 15 mois, c'est que nous avons été dépassés par l'Espagne, par le Portugal, par la Grèce, et maintenant rattrapés par l'Italie. Au passage, chacun des pays que je viens de citer a réussi à régler ces problèmes de déficit et de dette. Donc, il faut regarder ce que font nos voisins.
Léa Salamé
Il n'y a pas de fatalité, c'est ce que vous dites. Vous lui mettez quelle note à la France, à la dette française sur 20 ?
François Villeroy de Galhau
Ce n'est pas à moi de la noter. Simplement quand on regarde les solutions, il faut d'abord regarder les dépenses. Pas du tout pour des raisons politiques ou idéologiques, mais pour des raisons pratiques.
Léa Salamé
Il y a les dépenses, monsieur le gouverneur ?
François Villeroy de Galhau
Oui : j'ai parlé de nos voisins européens. Ils ont à peu près le même modèle social que nous. Notre problème à nous, c'est que pour avoir le même résultat, cela nous coûte plus de 250 milliards d'euros de plus que nos voisins. Le chiffre que je viens de citer, c'est le double de l'effort qu'il faut faire pour revenir à 3 % de déficit d'ici 2029, ce qu'il faut faire pour stabiliser notre dette. Je ne dis pas que tout cela est facile, mais voyez qu'il y a un gisement. Et je pense que les dépenses doivent représenter au moins les trois quarts de la solution.
Léa Salamé
Vous me parlez des dépenses. Je vais vous parler des recettes. Sébastien Lecornu va faire des arbitrages. Là, il va les annoncer demain, après-demain, dans les prochains jours. Taxe Zucman, vous l'entendez, cette taxe Zucman, retour de l'ISF. Certains disent, faut-il que les plus riches payent davantage ?
François Villeroy de Galhau
Ce n'est pas à la Banque de France de faire les choix fiscaux, mais je crois qu'il peut y avoir besoin de mesures ciblées, exceptionnelles sur les impôts, en complément de ce que j'ai dit sur les dépenses, donc jusqu'à un quart, puisqu’encore une fois, notre problème pratique, ce sont les dépenses beaucoup plus élevées que nos voisins. Sur les impôts, il faut éviter de cibler les classes moyennes ou de cibler les entrepreneurs, parce que ce serait très mauvais pour l'activité économique. Il faut dire simplement qu'il n'y a pas d'impôt indolore, il n'y a pas de recette miracle. Vous savez, nous rêvons tous, et c'est très humain, d'un impôt qui serait payé par les autres, qui rapporterait énormément, alors qu'il ne s'appliquerait pas du tout chez nos concurrents. Ça, ça n'existe pas. Il n'y a pas d'impôt magique. Cela vaut pour la taxe Zucman.
Léa Salamé
Donc la taxe Zucman…
François Villeroy de Galhau
… mais souvenez-vous aussi d'un autre bord politique, il y a quelques mois, on parlait de la TVA sociale qui allait tout régler. Mais il y a des solutions qui peuvent contribuer à la justice, et je crois effectivement qu'il faut des mesures de justice fiscale.
Léa Salamé
Dernière question. La Banque centrale européenne nous a conseillé la semaine dernière – on a fait un sujet dans le 20h sur ça – de garder du cash à la maison, de garder entre 70 euros et 120 euros de liquide chez soi. C'est quoi, cette recommandation ? Ça fait un peu peur parce que quand on dit… Ça veut dire quoi : « Enlevez votre argent des banques ».
François Villeroy de Galhau
Il n'y a pas de raison d'avoir peur. Une précision pratique, c'est que c'est un papier issu d'un département de recherche de la Banque centrale européenne, ce n'est pas du tout une position de fond de celle-ci. Je vais dire beaucoup de bien du cash et des billets : la Banque de France les imprime à Chamalières dans le Puy-de-Dôme ; nous sommes le premier imprimeur d'Europe. Mais il n'y a aucune raison aujourd'hui de constituer une épargne de précaution particulière. Notre monnaie, qui est l'euro, est évidemment très solide. Nous avons ramené l'inflation à 2%, et l'euro est soutenu par 80% des Européens. Là, voyez, dans le combat pour redresser les déficits, il y a un point d'appui solide, c'est l'euro.
Léa Salamé
Pas besoin non plus de garder du cash à la maison. On l'a compris. Merci, François Villeroy de Galhau, d'avoir été avec nous ce soir en direct pour nous parler de la dette dans ce grand format consacré à la dette française.
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Mise à jour le 30 Septembre 2025