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«Les Français ont pris conscience que le déficit et la dette étaient néfastes»

Gouverneur de la Banque de France depuis 2003, Christian Noyer quitte ses fonctions à la fin du mois. Il commente pour l’Opinion les moments forts de ce long mandat, sans oublier de formuler quelques recommandations...

Quel regard portez-vous sur la situation économique de la France au moment de quitter sa banque centrale ?

A sa manière, la France a beaucoup souffert de la crise. Certes, elle a échappé aux secousses qui ont touché la dette des pays périphériques de la zone euro et elle a eu la chance de ne connaître aucune crise bancaire majeure. Mais elle peine à retrouver un rythme de croissance suffisant qui lui permette de traiter en profondeur ses problèmes, notamment un taux de chômage trop élevé pour intégrer les jeunes sur le marché du travail ainsi qu’une compétitivité dégradée. La crise a révélé les faiblesses structurelles de notre pays qui n'a pas su maîtriser ses coûts de gestion, et a laissé dériver le poids des administrations, notamment locales, et de l'intervention publique sur les forces productives. La complexité des règles et des normes dans notre pays sont un lourd handicap empêchant les entreprises de créer de l'emploi.

Comment peut-on y répondre ?

En accélérant nos réformes structurelles. C'est clairement là que le bât blesse. Nous bénéficions d’une politique monétaire très accommodante menée par la BCE, d’une politique budgétaire globalement neutre sur l'activité en Europe, sans oublier un contexte unique, marqué par une baisse simultanée des taux d'intérêt, de l'euro et du pétrole. Et pourtant, notre taux de croissance reste faible, ce qui est absolument anormal et prouve que nous n'avons pas suffisamment corrigé nos handicaps structurels. La France possède des atouts formidables, notamment un très grand nombre d'entrepreneurs prêts à développer leurs activités. Mais ils sont bridés par nos normes, la régulation et la rigidité du marché du travail. C'est là que doivent se concentrer les réformes.

Croyez-vous encore la réforme possible en France ?

Oui. J'en suis convaincu parce que les Français eux-mêmes sont en train de changer. Un sondage TNS Sofres réalisé pour la Banque de France montre qu’ils sont favorables aux réformes structurelles, qu'ils ont pris conscience que le déficit et la dette étaient néfastes, et que les handicaps à la création d'activité devaient être levés. La loi Macron offre quelques avancées timides et elle recueille l'adhésion des Français qui ont compris, par exemple, que le travail du dimanche était porteur d'opportunités économiques. Au fond, le vrai changement interviendra le jour où les politiques comprendront enfin que les Français sont plus en avance qu'eux en matière de réforme. Le débat sur la décentralisation des négociations salariales au sein des entreprises est très révélateur. Comme l’est l'idée de faire des référendums internes pour savoir ce qui est bon ou non pour sa propre entreprise.

Si vous aviez un seul conseil à donner à votre successeur ?

Vivre en totale indépendance des milieux politiques ainsi que des lobbys économiques et financiers. La Banque de France concentre en son sein beaucoup de talents, ce qui lui donne la capacité de dire les choses franchement, c’est d’ailleurs son devoir. Cette liberté de ton et cette indépendance sont parfois incomprises par les pouvoirs publics qui vivent mal les appréciations que nous portons sur leurs politiques économiques. Mais c'est le rôle clef du gouverneur de la Banque de France.

Quel sera le souvenir le plus fort de votre mandat ?

Beaucoup resteront gravés dans ma mémoire. Le premier bien entendu, c'est la stupeur qui nous a saisis lorsque nous avons compris les dégâts qui allaient être causés par la faillite de Lehman Brothers. La prise de conscience a d'ailleurs été plus rapide de ce côté-ci de l'Atlantique. Mais le moment de vraies tensions a eu lieu au tournant de l'été et de l'automne 2011. Cette époque a été marquée par une très grosse défiance des marchés à l'égard de la France et de ses banques. En particulier, les fonds monétaires américains qui étaient de gros apporteurs de liquidité à court terme se sont brutalement retirés. Nos banques qui étaient en réalité très solides ont pu vendre des actifs rentables qu'elles détenaient à l'étranger pour reconstituer leurs besoins de liquidité. La Banque de France, de son côté, se tenait prête à leur fournir des liquidités de façon illimitée, notamment en dollars. Au final, cette épreuve a été un motif de fierté pour moi car elle a rappelé que les banques sont l'un de nos meilleurs atouts.

Comment expliquez-vous, rétrospectivement, cette attaque contre la France ?

Beaucoup d'investisseurs internationaux ont pensé, à ce moment-là, que la zone euro allait se déliter. Ils en ont déduit que la France serait l'une des principales victimes car c'est la nation la plus fragile du « camp du Nord ». Beaucoup étaient très étonnés et circonspects, également, sur le fait que nos banques aient pu aussi bien traverser la crise. Ils ont voulu nous tester, en quelque sorte.

Et quel est votre plus grand motif de fierté, durant cette période ?

La chose dont je suis le plus fier et qui n'est pas forcément très connue, c'est le rôle décisif joué par la Banque de France au tout début de la crise des subprimes dans la mise en place du “fixed rate full allotment” [Ndlr: taux fixe pleine adjudication]. Dès le mois d’août 2007 nous avons décidé, au niveau de la BCE, de fournir toutes les liquidités nécessaires aux banques qui en avaient besoin. Nos équipes de marché à Paris avaient vite compris que le blocage des prêts interbancaires pourrait être fatal à tout le système financier. C'est la première mesure non conventionnelle que nous ayons adoptée.

Quelles sont les personnalités qui vous ont le plus marqué durant toutes ces années ?

Mes collègues banquiers centraux bien sûr. Jean Claude Trichet et Mario Draghi qui ont toujours défendu l'intégrité de la zone euro, ou encore Ben Bernanke qui a fait preuve d'une lucidité exceptionnelle pendant la crise. Mais si je devais n'en citer que deux ce serait d'abord Wim Duisenberg, le premier président de la BCE. Je l'ai côtoyé de près lorsque j'étais vice-président de l'institution et je suis admiratif de la manière dont il a su instaurer un élan fédéral au sein du comité des gouverneurs de la BCE. Il n'a eu de cesse de nous faire comprendre que nous avions un devoir collectif à l'égard de l'ensemble de la zone euro, que nous n'étions pas là pour influencer les décisions de la BCE en faveur de notre propre pays d'origine. Il a créé une culture qui a subsisté. L’autre personnalité très visionnaire qui m'a beaucoup impressionné, c’est Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la banque centrale chinoise. Cela fait des années qu'il nous explique combien le modèle économique chinois va devoir évoluer et c'est exactement ce qui est en train de se produire. De ce point de vue, ce qui se passe aujourd’hui inquiète peut-être les marchés, mais c’est pour moi tout sauf une surprise.

Avez-vous un regret ?

Oui, celui de n'avoir pas su davantage faire passer auprès du grand public et dans la communication de la BCE le terme «Eurosysteme». L’Eurosysteme est un système fédéral qui regroupe la BCE et les banques centrales nationales et qui prend des décisions dans l'intérêt commun de tous les pays de la zone euro. On ne doit pas commenter l'action de l’Eurosysteme en fonction des intérêts de chaque pays. A cet égard, la Fed - le système fédéral de banques centrales américaines - possède une avance sur nous : quand un gouverneur prend une position spécifique, il n’est pas perçu comme parlant en fonction des intérêts de son État ou de sa région, mais simplement comme ayant une divergence d’analyse économique.

Le «quantitative easing», qui vise à remettre un peu d'inflation dans l'économie, n'est-il pas un échec ?

Certainement pas ! Si les prix ne repartent pas aussi vite que prévu c'est en raison des chocs successifs qui ont touché le pétrole et les matières premières. Ensuite, la crise a laissé de profonds stigmates sur la demande mondiale et aujourd'hui, nous sommes encore en situation de «output gap» - trop de capacités productives inutilisées - et de croissance potentielle insuffisante. Mais cela ne veut pas dire que notre politique ne fonctionne pas. Au contraire, si on observe l'évolution de l'inflation sous-jacente, on voit qu'elle remonte peu à peu, aux Etats-Unis comme en Europe.

La Banque de France a-t-elle encore un rôle à jouer ?

Bien sûr et je m'élève contre ceux qui la stigmatisent sans la connaître. En douze ans, l'institution est devenue plus compétitive sans perdre aucune de ses compétences. Nous avons fait, les premiers, une réforme exemplaire des retraites. Nous avons réorganisé en profondeur notre réseau d'agences sans négliger de continuer à traiter la situation financière des entreprises, à travers notre activité de cotation grâce à laquelle la France est le seul pays où le crédit n'a pas reculé durant la crise, ou avec le traitement du surendettement des ménages. Nous sommes passés de 16000 équivalents temps plein à un peu plus de 12000 aujourd'hui et 10000 dans cinq ans. Imaginez les gains qui pourraient être générés par une telle réforme au niveau de l'ensemble de la sphère publique ? A titre personnel je suis profondément ému de quitter ces équipes formidables.

Qu'allez-vous faire désormais ?

C'est une période toujours très émouvante et difficile. Bien sûr, compte tenu des règles déontologiques qui s’imposent à un ancien gouverneur de la Banque de France, je ne compte pas rejoindre la sphère privée. J'ai été nommé au Haut conseil des finances publiques et je vais participer aux travaux de recherche, aux débats et réflexions qui sont menés au sein des cercles économiques internationaux, notamment sur les sujets de politique monétaire et de stabilité financière.

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InterviewChristian Noyer, Gouverneur de la Banque de France
«Les Français ont pris conscience que le déficit et la dette étaient néfastes»
  • Publié le 23/10/2015
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