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France Info : « Les Français méritent une discussion plus sérieuse sur le budget »
Intervenant
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France
Mise en ligne le 27 Novembre 2025
Interview du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, sur France Info le jeudi 27 novembre 2025.
« Les Français méritent une discussion plus sérieuse sur le budget »
Jérôme Chapuis
Et notre invité à présent est le gouverneur de la banque de France, bonjour François Villeroy de Galhau.
François Villeroy de Galhau
Bonjour, Jérôme Chapuis.
Jérôme Chapuis
Gardien avec d'autres de la stabilité de l'euro, de notre crédibilité. Hier soir, on en parlait à l'instant dans le journal, sénateurs et députés ont échoué à s'entendre sur le budget de la sécurité sociale. Le texte repart à l'Assemblée. Que vous inspire cette situation ?
François Villeroy de Galhau
Écoutez, ça n'est pas la fin du débat budgétaire, mais ce qui s'est passé hier soir, c'est un cahot supplémentaire sur un chemin qui est déjà tortueux.
Jérôme Chapuis
Un chaos ?
François Villeroy de Galhau
Un cahot comme un cahot sur un chemin, et on s'y perd vraiment. Pierre Moscovici, qui est le président de la Cour des comptes, a parlé d'un débat « estomaquant ». Je vais dire plus simplement que le débat est jusqu'à présent inquiétant et divergent. Il devrait réduire l'incertitude, il devrait nous rapprocher d'un budget 2026, et pour l'instant, il accroît la confusion. Donc je souhaite ardemment qu'on dépasse le spectacle actuel pour trouver des compromis et pour trouver une vision de moins court terme. Je voudrais souligner qu'il y a des voies de solution par le haut, surtout quand on regarde nos voisins européens qui, eux, ont réglé leurs problèmes budgétaires.
Jérôme Chapuis
Mais sur cette situation, sur cette instabilité, est-ce qu'elle a déjà, aujourd'hui, des effets sur notre économie ?
François Villeroy de Galhau
Alors notre économie résiste plutôt bien, ou moins mal qu'on ne pouvait le craindre, grâce au courage des entrepreneurs et au travail des Français, que je veux saluer. Nous avons donc une prévision de croissance encore positive cette année pour au moins 0,7%, mais nous estimons quand même que l'incertitude au total coûte 0,5 point de croissance à l'économie française. Là-dedans, il y a une part internationale, c'est la guerre en Ukraine, c'est le protectionnisme américain, mais, au sein de ces 0,5, l'incertitude française, politique et budgétaire, nous coûte au moins 0,2 point de croissance.
Jérôme Chapuis
Et s'il n'y a pas de budget à la fin de ce processus, vous réviserez vos prévisions de croissance ?
François Villeroy de Galhau
Un resserrement budgétaire est souhaitable, parce qu'il faut vraiment diminuer les déficits. Il faut un budget à la France, mais il ne faut pas n'importe quel budget, on va en reparler. Sur son effet, nous estimons que le redressement budgétaire, dont d'habitude on dit qu’il freine l'économie, cette fois peut avoir un effet positif, c'est d'augmenter la confiance des Français. Il y a aujourd'hui un taux d'épargne très élevé de la part des Français, et cela pèse sur la consommation et donc sur la croissance.
Jérôme Chapuis
Alors, d'un mot, justement, parce que vous parlez du taux d'épargne, on a quand même eu ce chiffre cette semaine, les Français se sont assez massivement détournés du Livret A le mois dernier, en octobre, cinq milliards d'euros de moins de décollecte, comme on dit, voilà, sur ces Livrets A, il y a des raisons de s'inquiéter ?
François Villeroy de Galhau
Je crois qu'il faut un peu relativiser : d'abord, le mois d'octobre est traditionnellement un mois de décollecte, c'est vrai que c'est un peu plus fort cette année, mais les cinq milliards que vous citez représentent moins de 1% de l'encours total du Livret A, et du livret de développement durable.
Jérôme Chapuis
Ça ne veut pas dire que les baisses de taux ont eu un effet ?
François Villeroy de Galhau
Parlons du taux : il est maintenant de 1,7%, cela reste un taux très favorable par rapport à l'inflation qui est seulement 0,9% ; il a par ailleurs une fiscalité qui est tout à fait favorable, et cette fiscalité-là, personne ne propose d'y toucher. Il ne faut pas non plus que le taux soit trop haut, parce que le livret A sert à financer le logement social et les PME, donc l'économie française. J'en profite juste pour dire qu'à côté du livret A, il y a un produit moins connu, encore plus avantageux, c'est le livret d'épargne populaire, à 2,7%, il y a des millions de Français qui pourraient en bénéficier, et qui n'ont pas encore ouvert le livret d'épargne populaire. Ce sont des produits très bienvenus.
Jérôme Chapuis
Juste d'un mot, parce que la prochaine révision du taux du Livret A sera en février, s'il y avait toujours le même niveau d'inflation, c'est-à-dire assez bas, vous pourriez être amené à...
François Villeroy de Galhau
J'ai un scoop, Jérôme Chapuis, nous sommes en novembre. Donc les décisions qu'on prend au début de l'année prochaine, ce sera au début de l'année prochaine.
Jérôme Chapuis
Nous aurons essayé. Cela dit, il y a quelque chose qui surprend pour revenir à ce budget, à la situation financière de la France. On entendait hier chez nos confrères de France Inter, Roland Lescure, le ministre de l’Économie et des Finances, qui disait qu'au fond, dans ce contexte d'instabilité, il y avait finalement une sorte de miracle, c'est que la France n'a pas trop de difficultés à financer sa dette. (Extrait) « On a complété cette semaine le financement de nos dettes publiques pour l'année 2025, plus de 300 milliards d'euros qui sont passés sur les marchés. Aujourd'hui, les gens continuent à prêter à la France, et c'est tant mieux. » Il n'y a pas d'inquiétude sur le financement de la dette française, François Villeroy de Galhau ?
François Villeroy de Galhau
Non, mais cela nous coûte de plus en plus cher. J'ai toujours dit que la France ne risquait pas la faillite. Par contre, la France risque l'étouffement progressif. C'est pourquoi nous devons réduire les déficits et nous pouvons les réduire. Cette dette qui augmente nous coûte en charges d'intérêt des dizaines de milliards de plus au cours de la décennie. Pour redire les chiffres, c'était 30 milliards de charges d'intérêt en 2020, et ce sera plus de 100 milliards à la fin de la décennie. Ces 70 milliards supplémentaires, c'est autant que nous ne pouvons pas consacrer à l'éducation, à la lutte contre le changement climatique ou à la défense. Il faut absolument sortir de cet étouffement progressif. Cela veut dire une chose très simple, c'est qu'il faut aller vers les 3 % de déficit en 2029. Ce n'est pas seulement nos engagements européens, c'est aussi le niveau qui stabilise notre ratio de dette, enfin. Comme on part de 5,4 % en 2025, notre pays a quatre ans pour faire ce chemin. Il faut faire le quart du chemin la première année. Donc, le seuil de crédibilité du budget 2026, c'est un déficit de 4,8 % au maximum. C'est vraiment ce niveau que nous devons et que nous pouvons viser.
Jérôme Chapuis
Vous parliez de ce que nous coûtent les intérêts qu'on paye chaque année. Je voudrais avoir votre avis, parenthèse, sur une idée qui a surgi dans le débat public avant-hier. Un emprunt forcé, en quelque sorte obligait les plus riches à prêter de l'argent à taux zéro. Est-ce que cette idée, évoquée par les socialistes, qui a été rejetée hier par le Gouvernement, vous semble pertinente ?
François Villeroy de Galhau
Il y a beaucoup d'idées évoquées par beaucoup de bords politiques. Je redis que la Banque de France est totalement indépendante des divers camps. Si vous me permettez l'expression, on a un peu l'impression que chaque jour, un nouveau lapin sort du chapeau. Hier, on nous parlait d'une éventuelle baisse des prix d'électricité. On ne sait pas pourquoi et on ne sait pas comment on la finance ; cela venait d'un autre bord politique. Je crois que les Français méritent une discussion plus sérieuse.
Sur les impôts en général, il se trouve que nous avons aujourd'hui les vingt ans du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). Je vais dire des choses très simples : il n'y a pas de recette miracle pour augmenter les impôts, il n'y a pas d'impôt magique ou indolore. Et en sens inverse, nous n'avons pas d'argent pour baisser les impôts. Il y a certaines mesures naturelles de justice fiscale, je crois, sur les holdings patrimoniales, sur certaines niches fiscales, sur l'avantage fiscal, les 10% des retraités les plus aisés. On peut avoir des mesures ciblées et exceptionnelles tant qu'on n'est pas revenu sous 3% de déficit. Je pense à la surtaxe sur les bénéfices des grandes entreprises. Mais pour le reste, il faut qu'on se dise les choses très directement : nous n'avons pas beaucoup d'espace pour augmenter les impôts et nous n'avons pas d'argent pour les baisser. Alors, puisque la stabilité fiscale est une nécessité, essayons d'en faire une vertu. C'est cela, la sagesse fiscale à laquelle j'appelle. Arrêtons de jouer tout le temps avec l'impôt.
Jérôme Chapuis
Je relève quand même que vous avez évoqué un éventuel effort des retraités…
François Villeroy de Galhau
Les plus aisés.
Jérôme Chapuis
Les plus aisés. Quand on regarde, et c'est intéressant, je regardais à l'occasion des vingt ans du conseil des prélèvements obligatoires, vous faites remarquer que la seule hausse des dépenses de retraite explique à elle seule la moitié de la hausse des dépenses publiques depuis vingt ans.
François Villeroy de Galhau
Oui, et ce n'est pas un problème spécifiquement français. C'est lié à l'allongement de la durée de la vie, qui est en soi une bonne nouvelle, mais qui creuse les dépenses de retraite. La difficulté supplémentaire que nous avons en France, c'est que l'accouchement difficile de la réforme de 2023 crée des attentes politiques et sociales fortes de correction. Dans ce cas-là, on se met autour d'une table et on essaie de trouver des solutions. Je regrette encore l'échec du conclave social au printemps. Mais regardons plus globalement le niveau de nos dépenses. Je crois que c'est un des principes aussi assez simples, c'est que nous devons et nous pouvons accroître l'efficacité de nos dépenses publiques, mieux maîtriser nos dépenses. Vous savez, quand on se compare à nos voisins européens, ce qu'on fait beaucoup trop peu dans le débat, nous avons à peu près le même modèle social, mais nous avons plus de 9 points de PIB de surcroît de dépenses par rapport à nos voisins. Cela fait 280 milliards d'euros, il doit y avoir moyen d’être plus efficaces.
Jérôme Chapuis
Merci beaucoup, François Villeroy de Galhau. Je retiens ce que vous nous avez dit sur les impôts. Pas possible, pas de marge pour les augmenter et pas les moyens de les baisser.
François Villeroy de Galhau
Pas « beaucoup » les augmenter, à part des mesures ciblées de justice ou exceptionnelles.
Jérôme Chapuis
On vous a bien entendu. Merci François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France était l'invité de France Info.
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Mise à jour le 27 Novembre 2025