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La Croix : « Si nous jouons collectif, cette rude crise peut aussi être notre chance »

Comment se porte aujourd'hui l'économie française ?
 
François Villeroy de Galhau : Après un plongeon très brutal de l'activité de 32 % à la fin mars, le début de la remontée est rapide. Nous avons interrogé des milliers d'entreprises, de toutes tailles : la reprise est aujourd'hui supérieure à nos prévisions. À fin juin, le recul est encore de 9 % par rapport à l'avant-Covid, mais nos prévisions antérieures tablaient sur – 12 %.
 
Au troisième trimestre, nous devrions avoir un rebond à deux chiffres de l'économie française, d'au moins 14 %. C'est spectaculaire, mais à partir d'une base plus faible. Retrouver le niveau d'avant la crise prendra du temps. Nous anticipons une reprise en « aile d'oiseau », plutôt qu'en V, avec une courbe qui s'aplanit progressivement.
 
Qu'est-ce qui explique cette reprise rapide ?
 
F. V. G. : Les mesures gouvernementales massives ont permis d'amortir le choc. Il y a eu les mesures gouvernementales, qui ont permis d'amortir le choc, avec notamment les prêts garantis par l'Etat (PGE), dont l'enveloppe pourrait dépasser les 120 milliards d'ici la fin de l'année, le niveau le plus élevé d'Europe. La France a réussi à les orienter à 75% vers les PME et les TPE, beaucoup plus que nos voisins. Avec le déconfinement, les Français ont retrouvé ensuite le chemin des magasins, encouragés aussi par certaines mesures sectorielles, comme dans l'automobile. Mais la crise économique reste sévère, plus dure qu'en 2009. Elle va avoir des effets significatifs, mais décalés dans le temps sur l'emploi.
 
Quand retrouverons-nous le niveau d'avant-crise ?
 
F. V. G. : À la mi-2022, selon notre hypothèse centrale, s'il n'y a pas de mauvaises nouvelles sur le plan sanitaire. Mais, dans un scénario plus favorable, ce serait fin 2021, si les ménages utilisent « l'épargne forcée » accumulée durant cette crise : 65 milliards d'euros à la fin mai et sans doute 100 milliards à la fin de l'année, soit 4 % à 5 % du PIB. Cela suppose que les Français retrouvent suffisamment confiance pour consommer, ce qui soutiendrait la croissance et l'emploi.
 
Comment faire pour leur redonner confiance ?
 
F. V. G. : Au-delà de l'amélioration sanitaire, il y a trois éléments économiques clés. D'abord, une garantie de stabilité fiscale, comme l'avait fait Roosevelt aux États-Unis en 1933 : ni hausse d'impôts, ni baisse d'ailleurs, car, soyons clairs, nous n'en avons pas les moyens. Il faut ensuite rassurer par le maintien d'une indemnisation chômage significative : une des raisons qui peut amener les Français à accroître leur épargne de précaution, c'est la crainte du chômage, qui va augmenter, malheureusement. Une insécurité sur les retraites futures risquerait aussi d'alimenter cette épargne.
 
Le troisième point important, c'est l'accès à l'emploi lui-même. Il n'y a pas de réforme plus forte et plus juste face aux inégalités que celles en faveur de l'apprentissage, de la formation professionnelle et de l'éducation : nous avons fait des progrès ces dernières années, poursuivons-les ! Aujourd'hui, il y a plus d'apprentis en Allemagne, qu'en France, Italie et Espagne réunis, des pays où le taux de chômage des jeunes est trois fois plus élevé. Ce n'est pas une coïncidence.
 
Les réformes de l'assurance-chômage et des retraites doivent donc être abandonnées ?
 
F. V. G. : Je ne dis pas cela ; c'est au gouvernement et au dialogue social d'en décider. Mais notre solidarité sociale –qui doit être durablement financée- est aujourd'hui un élément favorable de la confiance économique et de la reprise.
 
L'État ressort encore plus endetté de cette crise...
 
F. V. G. : Il est important d'avoir une stratégie claire sur la dette. Elle sera à au moins 120 % du PIB, fin 2020, soit 20 % de plus qu'à la fin 2019. L'augmentation cette année est justifiée, mais la tendance longue ne l'est pas : c'est deux fois plus qu'il y a vingt ans. A l'époque nous avions le même niveau de dette que l'Allemagne. Depuis la crise de 2009, l'Allemagne a réduit sa dette. La nôtre a malheureusement continué à croître.
 
On pourrait cantonner la « dette Covid » et ne commencer à la rembourser que dans une dizaine d'années. Mais, quand la reprise sera solide, d'ici un an ou deux, il sera d'autant plus important de réduire la dette « ordinaire », les 100 % du PIB. La croissance aidera, mais nous devrons aussi maîtriser enfin notre dépense publique : elle est nettement plus élevée que nos voisins européens, de l'ordre de 55 % du PIB (hors effet Covid) contre 45 %, alors qu'ils ont le même modèle social que nous.
 
Si nous continuons à faire croître nos dépenses au rythme passé, 1 % par an, nous ne réduirons pas cette dette ordinaire. Si à l'inverse nous stabilisons simplement nos dépenses en volume, nous pouvons diminuer la dette « hors covid » de 100 % à 80 % en une décennie. Cela changerait tout, sur la lourdeur du « sac à dos » que nous transmettons aux jeunes : c'est une question-clé de solidarité entre générations.
 
Le gouvernement prépare un plan de relance pour la rentrée. Qu'en attendez-vous ?
 
F. V. G. : L'Etat a procuré un bouclier efficace au printemps. Mais dans la reconstruction, il ne peut pas tout faire : l'argent public a ses limites, et c'est notre argent ! Plus encore que de mesures de relance, l'économie française a besoin d'un pacte de confiance, avec les acteurs privés. Après les ménages, parlons des entreprises : l'une des priorités est le renforcement de leurs fonds propres. Nous y estimons les besoins d'investissement public entre 10 et 20 milliards d'euros. Ils concerneraient plus d'une centaine d'entreprises de taille intermédiaire, environ 10 000 PME et plus de 100 000 TPE, viables économiquement mais fragilisées financièrement. Cette mobilisation, sous forme de quasi-fonds propres sans droit de vote, devrait se faire avec des investisseurs privés, appelés à prendre une part du risque et aidant à choisir les entreprises viables.
 
Les institutions européennes se sont-elles montrées à la hauteur durant cette crise ?
 
F. V. G. : La politique monétaire a permis d'éviter qu'une crise financière, avec une pénurie de crédit, ne s'ajoute à la crise sanitaire et économique. La Banque centrale européenne a réagi dès mars avec ses taux d'intérêt qui sont les plus bas du monde, et en augmentant encore les volumes de financement à la disposition des entreprises. Nous continuerons aussi longtemps que nécessaire, compte tenu d'une inflation trop faible à 0.3% aujourd'hui.
 
À cela s'ajoute désormais l'espoir d'une politique budgétaire européenne, à hauteur de 750 milliards d'euros. C'est un tournant historique, grâce à l'accord franco-allemand de mai. Nous, banquiers centraux, disions depuis des années que la politique monétaire ne peut pas agir seule.
 
C'est aussi le levier pour financer nos défis communs que sont la transition écologique et la transition numérique. Si nous jouons collectif, en France comme en Europe, alors cette rude crise peut aussi être notre chance.

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InterviewFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
La Croix : « Si nous jouons collectif, cette rude crise peut aussi être notre chance »
  • Publié le 09/07/2020
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