Osservatorio Permanente Giovani-Editori
Florence, 7 février 2017
Discours de François Villeroy de Galhau,
Gouverneur de la Banque de France
Bonjour à toutes et à tous. Je remercie sincèrement l’Osservatorio Permanente Giovani-Editori et son président, Andrea Ceccherini, de m’avoir invité. Je suis très heureux d’être parmi vous cet après-midi, avec la jeunesse italienne, dans un pays que j’aime. Un pays qui est au cœur de l’Europe et qui a souvent marqué son histoire, comme nous le rappelle votre magnifique ville de Florence, et la gloire de son Quattrocento, berceau de toute la Renaissance européenne. Mais un pays qui doute aujourd’hui de l’Europe. Je viens devant vous, à la suite d’Ignazio Visco, Jean-Claude Trichet, Jens Weidmann et Klaas Knot, comme banquier central, mais aussi comme Européen convaincu. Et, en ce 7 février, c’est de l’euro que je veux vous parler : cela fait aujourd’hui 25 ans, jour pour jour, que nous avons signé le traité de Maastricht. Et cela fait désormais 18 ans que l’euro existe et 15 ans qu’il a remplacé dans nos porte-monnaie la lire italienne et le franc français. Je veux vous dire d’abord ce que la monnaie unique a apporté concrètement aux Européens et répondre ensuite à quatre doutes que l’on entend souvent à propos de l’euro. Je veux parler enfin de ce qui nous reste à faire, demain, ensemble.
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I. L’euro nous a apporté à tous quatre bénéfices majeurs
Maastricht et l’euro s’inscrivent bien sûr d’abord dans une histoire qui les dépasse : l’histoire de l’Europe, et de son élan unique au monde pour passer enfin de la guerre à la paix. Cette histoire-là n’a rien perdu de son actualité dans le monde si incertain de 2017. De grands Italiens en ont été des acteurs essentiels, et notamment Alcide de Gasperi ou Altiero Spinelli. Mais je veux vous citer aussi un Allemand presqu’inconnu, Josef Müller, fondateur de la CSU bavaroise, qui a été déporté en camp de concentration durant la Seconde Guerre mondiale ; en 1946, il a été un des premiers à dire : « nous avons besoin d'une monnaie européenne, car des pays qui partageront une monnaie ne se feront plus jamais la guerre ». En 1990-1992, le temps était venu : parce que l’Union allemande devait s’accompagner de plus d’Union européenne ; et parce que la disparition du bloc soviétique conduisait le continent européen à revenir dans le jeu mondial. Alors, de Rome en 1990 où nous avons lancé la conférence intergouvernementale – je me souviens du Palazzo Madama – à Maastricht en 1992, nous avons bâti l’euro. Et d’autres Italiens ont continué à en être les auteurs, de Tommaso Padoa-Schioppa à Mario Draghi aujourd’hui.
Nos fondations sont en partie politiques, donc ; mais l’édifice a aussi de solides charpentes économiques. Et ce sont ces quatre bénéfices tangibles, concrets, que je veux maintenant préciser. Il y a les trois avantages d’une monnaie solide : la stabilité des prix ; la stabilité des financements ; la stabilité des changes. Et il y a en conséquence la reconnaissance de notre monnaie au plan international.
⦁ La stabilité des prix, condition du pouvoir d’achat
L’euro permet d’abord de bien assurer la stabilité des prix, c’est-à-dire à maîtriser l’inflation. Cela est essentiel pour préserver le pouvoir d’achat des ménages et, face aux incertitudes, pour bâtir la confiance dans la valeur de la monnaie.
Avant l’euro, l’inflation pouvait atteindre des niveaux parfois très élevés en Europe. Sur les quatorze années précédant l’euro (1985-1998), l’inflation a baissé progressivement mais elle est restée supérieure à 3 % en moyenne, avec des écarts importants entre les pays : 5,1 % en Italie et 2,6 % en France par exemple. Sur les quatorze années depuis l’euro, l’inflation a nettement diminué – sur la période 1999-2012 nous étions à 2 % en moyenne – mais également les écarts entre les pays se sont réduits : sur la même période, l’Italie n’a connu que 2,2 % d’inflation. On a trop oublié l’érosion de valeur – et donc de confiance – qu’entraînait l’inflation. En quatorze années, l’inflation cumulée avec la lire avait atteint 98 % ; sur la même durée, avec l’euro, elle est près de trois fois moindre. À partir de 2013, l’inflation a même été trop basse dans la zone euro, et c’est la raison pour laquelle la BCE mène, avec succès, depuis 2014, une politique monétaire active.
En pratique, la cible de la BCE est une inflation à moyen terme proche de, mais inférieure à 2 %. Cette définition n’a pas varié depuis qu’elle a été adoptée en 2003 et elle est largement partagée aujourd’hui par toutes les grandes banques centrales des pays développés, y compris aux États-Unis et au Royaume-Uni. Dans le contexte actuel, il est important de rappeler que la politique monétaire vise un objectif interne (la maîtrise de l'inflation), pas un objectif externe (un taux de change dévalué, qui pourrait conduire à de mauvaises réactions en chaîne). Pourquoi 2 % et pas 0 % ? Pour garder une marge de sécurité, car une inflation trop faible est aussi néfaste qu’une inflation trop forte : elle crée le risque de la déflation, c’est-à-dire un cercle vicieux de baisse générale et durable des prix, qui provoque une chute de l’activité et une hausse du chômage. De plus, une inflation légèrement positive met de l’huile dans les rouages de l’économie, par exemple quand il existe des rigidités sur le marché du travail ou des différences entre régions de la zone euro.
⦁ La stabilité des financements à travers la baisse des taux d’intérêt
La maîtrise de l’inflation entraîne ensuite une baisse des primes de risque exigées par les marchés : cela se traduit par des taux d’intérêt plus faibles en zone euro, et surtout par moins d’écarts entre les pays, les « spreads ». Prenons l’exemple de nos pays respectifs. Avant Maastricht, entre 1986 et 1992, le spread entre l’Italie et l’Allemagne était de 5,1 % en moyenne ; il n’était plus que de 1,4 % en 2016 ; il y a eu certes des tensions en 2011-2012, liées directement aux doutes qui ont un moment existé sur la pérennité de la zone euro. Pour la France, l’écart s’est réduit aussi, de 1,9 % entre 1986 et 1992 à 0,3 % en 2016. Le spread français peut aussi réagir temporairement à des incertitudes politiques, mais l'ancrage durable dans l'euro reste notre meilleure protection. Tous les acteurs économiques bénéficient des taux d’intérêt plus faibles : les ménages – lorsqu’ils achètent un bien immobilier – et les entreprises qui investissent, mais aussi les États et donc les contribuables. Certains critiques voudraient sortir de l’euro pour pouvoir faire plus de déficits sans être bridés par les règles européennes. C’est une utopie : le financement des déficits coûterait nettement plus cher aux pays de la zone euro hors de la monnaie unique, si l’on devait revenir aux spreads d’avant l’euro.
⦁ La stabilité des changes et la solidité du marché unique
L’euro permet également de consolider le marché unique, que les États européens ont construit pas à pas depuis le traité de Rome de 1957, il y a soixante ans. Pour permettre une plus grande intégration commerciale, il fallait réduire les fluctuations des monnaies : l’Europe l’a d’abord tenté, à partir de 1979, avec le système monétaire européen, organisé autour d’une monnaie commune, l’ECU. Mais ce mécanisme n’a pas suffi à éviter les attaques spéculatives : il faut se souvenir de la crise violente de septembre 1992 qui a forcé la lire italienne à en sortir et à perdre 21 % de sa valeur, et qui a déstabilisé l’économie européenne. La monnaie unique a mis fin à ces graves turbulences. Elle simplifie aussi considérablement la vie : il n’y a plus de frais de conversion de monnaie pour les particuliers ; il n’y a plus non plus d’incertitudes liées à la volatilité des taux de change pour les entreprises. Pour beaucoup d’entre elles, y compris les imprenditori italiens, leur marché domestique s’est élargi naturellement de leur seule base nationale à l’ensemble de la zone euro. Selon les études empiriques, l’euro a ainsi fait augmenter de 5 à 15 % le commerce entre les pays membres.
⦁ Une monnaie reconnue au plan international
La taille économique de la zone euro et la stabilité de sa monnaie permettent enfin à l’euro de peser au niveau international. Avant l’euro, en 1995, seul le Deutsche Mark comptait dans les réserves de change mondiales à hauteur de 15 %. Aujourd’hui, notre monnaie partagée représente 20 % des réserves mondiales, au deuxième rang derrière le dollar. Avoir une monnaie reconnue au plan international procure des gains économiques : les marchés financiers sont plus attractifs pour les investisseurs étrangers, plus liquides, et donc plus efficients. Mais aussi un poids politique : je peux témoigner que quand Mario Draghi parle au G7 ou au G20, le monde entier écoute l’Europe avec attention. Sur une scène financière mondiale devenue très agitée, cette union est notre meilleure chance ; aucun de nos pays ne pèserait isolément. Notre souveraineté passe nécessairement par cette souveraineté européenne.
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L’euro nous a apporté plus de solidité, et donc plus de confiance dans la monnaie : c’est un acquis considérable au milieu de tant d’incertitudes. L’euro nous a aussi apporté, bien sûr, un puissant signe d’unité des peuples européens. De 12 au départ, le nombre de pays participants est d’ailleurs monté à 19 aujourd’hui : 7 pays ont souhaité démocratiquement rejoindre l’euro, aucun n’a voulu le quitter. Ce sont bien ces bénéfices concrets économiques qui fondent l’attachement des 340 millions de citoyens de la zone euro à leur monnaie, à notre monnaie. Mesuré depuis l’origine, cet attachement est resté élevé à travers la crise. 70 % soutiennent aujourd’hui l’euro, soit le plus haut niveau depuis 2008 ; les soutiens à l’euro sont très majoritaires aussi en France (68 %). Ils le restent en Italie même si c’est à un niveau moins élevé (53 %). L’euro n’est pas une utopie technocratique : c’est une décision politique, démocratique, soutenue 25 ans après - à l’expérience - par une nette majorité des peuples.
II. Pourtant il y a quatre doutes sur l’euro.
Il faut y répondre avec sérieux, même si je crois que ce sont des idées non fondées.
a) L’euro serait l’ennemi de la croissance et de l’emploi
Des voix s’élèvent pour dire que l’euro est un frein à la croissance, à l’emploi, à la compétitivité. Pourtant, en 2016 la croissance de la zone euro à 1,7 % a été un peu supérieure à la croissance américaine (1,6 %) et surtout il y a de grands succès économiques dans la zone euro. Parmi les 35 pays de l’OCDE, la deuxième croissance du PIB réel la plus forte, c’est l’Irlande à 4,3 % en 2016, et l’Espagne croît également fortement, à 3,2 % ; la dette publique la plus faible à la fin de l’année 2016, c’est l’Estonie, avec 9,5 % du PIB ; plusieurs pays de la zone, dont l’Autriche et l’Allemagne, sont quasiment au plein emploi, entre 4 et 6 % de chômage en 2016; l’Estonie et la Finlande sont dans le top 3 des meilleurs scores en sciences au test PISA. Donc ce n’est pas l’euro qui est en cause, ce sont les différentes politiques nationales.
Certes, l’euro nous a fait perdre l’instrument de la dévaluation de la monnaie. La dévaluation peut avoir un effet bénéfique à court terme en faisant baisser le prix des exportations, mais, à moyen terme, ses effets négatifs sont potentiellement considérables : un effet inflationniste via le renchérissement du prix des importations ; un effet d’appauvrissement du pays, via la diminution de valeur de son patrimoine, et à l’inverse l’augmentation de ses dettes extérieures ; et enfin, elle crée le risque d’une guerre commerciale, avec des dévaluations en chaîne, comme ce fut le cas dans les années 1930. Nous avons en moyenne un taux de change adapté avec l'euro. Mais aucun succès durable dans l’histoire économique ne s’est construit sur une monnaie faible ; tous se sont bâtis sur le bon environnement structurel, l’innovation des entreprises, leur bonne spécialisation. La créativité italienne, votre génie commercial depuis Venise, Gênes et Florence, comptent beaucoup plus que la facilité d’une lire faible.
b) L’euro serait une « assurance tous risques » pour les États
Cette vision semble être inverse de la précédente ; en fait elle procède de la même erreur de perspective : faire porter à l’euro un excès de maux ou de bienfaits. Une monnaie, c’est une valeur nominale essentielle ; mais ce n’est pas elle qui fait seule la performance réelle de l’économie. Dans la première partie des années 2000, une fois acquis ce gain collectif qu’a été l’euro, France et Italie comme d’autres pays du Sud ont cru, à tort, pouvoir relâcher l’effort de compétitivité, qui est pourtant un impératif permanent – « There is no free lunch ». Nous en subissons aujourd’hui les conséquences : [nous avons moins de croissance économique et moins d’emploi que certains de nos voisins européens, comme l’Allemagne et l’Espagne, qui ont su mener les réformes nécessaires pour les entreprises, l’emploi, l’éducation et l’État.
Notre retard de croissance n’est pas dû, contrairement à ce que certains disent, à la discipline budgétaire excessive. Le ratio dette publique/PIB a plus que doublé en Italie depuis 1980, et il a été multiplié par cinq en France. Quand ma génération avait 18 ans, la dette s’élevait à 20 % du PIB en France. Pour votre génération d’aujourd’hui, la dette frôle les 100 % du PIB en France et en Italie, c’est même plus de 130 %. Nous avons manqué la solidarité intergénérationnelle, et au développement durable. Et que je sache, la France comme l’Italie ne sont pas, pour autant, devenues les championnes d’Europe de la croissance. Ce qui fait le retard de la France et de l’Italie aujourd’hui, c’est l’insuffisance de réformes nationales. Cela, l’euro ne peut pas, et ne pourra jamais, le remplacer. Et c’est une bonne nouvelle : il reste un grand espace pour nos politiques nationales, pour nos débats collectifs, pour notre mobilisation créative.
c) La politique monétaire européenne serait facteur d’inégalités
Pour certains, les taux bas que la BCE génère actuellement créeraient des inégalités sociales : les épargnants en produits à taux fixe seraient pénalisés du fait de rendements plus faibles, les détenteurs d’actions ou d’immobilier seraient favorisés grâce à la hausse des prix d’actifs. La réalité est différente. D’une part parce que les épargnants et les détenteurs d’actifs sont en général les mêmes personnes. D’autre part, et surtout, parce que ce jugement très partiel omet l’impact macroéconomique de la politique monétaire, qui profite à tous. Nos mesures créent des conditions de financement très favorables, qui stimulent la demande via la consommation et l’investissement, et accélèrent la baisse du chômage. Tout ceci contribue à la baisse des inégalités, car le chômage frappe d’abord les plus pauvres et les moins qualifiés. Selon les estimations, à la suite de notre action, l’économie de la zone euro aura gagné 1,5 % de croissance sur la période 2015-2018.
Sur les inégalités, c’est d’ailleurs justement le moment pour nous Européens de parler de notre expérience. Nous partageons un modèle social commun, auquel nous sommes très attachés, avec un niveau élevé de services publics et des inégalités nettement inférieures à celles qui existent ailleurs, aux États-Unis par exemple. La bonne réponse aux inégalités, ce n’est donc pas un changement de politique monétaire. Ce n’est pas davantage le protectionnisme, même si les règles du commerce mondial doivent davantage profiter à tous. La bonne réponse aux inégalités, c’est de développer le bon modèle social.
d) L’euro serait dans les mains des technocrates de Francfort
Oui, Francfort est en Allemagne… comme Bruxelles est en Belgique. Mais oui tout autant, la BCE appartient à tous : ni aux Allemands – ce que tendent à croire les Italiens – ni aux Italiens – ce que tendent à croire les Allemands. Avec l’Eurosystème, c’est-à-dire la BCE et les 19 banques centrales nationales, nous avons depuis 1999 un vrai système fédéral qui fonctionne. Nous prenons nos décisions de façon collégiale au sein du Conseil des Gouverneurs, nous les appliquons ensuite dans chacun de nos pays. Les effectifs de la BCE – du centre – ne représentent que 5 % du total de l’Eurosystème. Le poids de la France et de l’Italie dans la décision est donc beaucoup plus grand aujourd’hui : avant l’euro, de fait, nos politiques monétaires suivaient de près celle de l’Allemagne.
Et pour garantir que nous agissons dans l’intérêt général de l’ensemble de la zone euro, pas de tel ou tel pays, les banques centrales de l’Eurosystème sont indépendantes de toute pression. Cette indépendance est parfois contestée, mais elle est un atout : nous devons durablement nous dédier au mandat qui nous a été confié – la stabilité des prix et de la monnaie. Cette indépendance est donc strictement cadrée : un objectif clair ; l’obligation de rendre régulièrement compte des résultats aux citoyens et à leurs élus ; et une procédure de nomination démocratique de chacun des responsables.
III. Ce qui nous reste à faire, demain, ensemble
L’euro nous a apporté des avantages majeurs de solidité et de confiance, d’unité et de souveraineté, je vous les ai rappelés. Il suscite des questions, j’ai voulu y répondre et souligner que l’euro n’est pas responsable de tout. Mais nous ne sommes pas au bout du chemin. Nous ne pouvons pas nous voiler la face devant l’euroscepticisme qui existe en Europe, et le cas extrême du Brexit. J’aime cette maxime attribuée à Dante, un des grands Florentins : « Certains attendent que le temps change ; d’autres le saisissent avec force et agissent ». Mais quelle est la direction à prendre ? Moins d’Europe ? Ce serait une erreur si nous voulons maîtriser collectivement notre destin dans ce monde nouveau, marqué par les critiques directes et les actions unilatérales du nouveau Président américain. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas forcément de plus d’Europe, mais d’une « meilleure » Europe : une Europe moins dispersée dans les détails, plus concentrée sur quelques priorités et plus efficace. Une Europe qui parle moins et qui agit plus : « peu, bien, jusqu’au bout. ».
Il y a bien sûr des domaines non-économiques : la formation des jeunes - je crois, avec Enrico Letta, à un programme « Erasmus-pro » pour les apprentis - le changement climatique, la défense et la protection des frontières par exemple. Dans le domaine économique, nous pouvons être fiers de nos réussites – notre monnaie unique, notre marché unique et notre modèle social commun. Mais pour compléter le succès de l’union monétaire, nous devons impérativement progresser sur la voie de l’union économique. Il y a pour cela deux leviers concrets .
⦁ Une « Union de financement pour l’investissement et l’innovation »
La première étape, dès maintenant, c’est une « Union de financement pour l’investissement et l’innovation» (UFI). Pourquoi ? Dans des économies proches ce qu’on appelle de la « frontière technologique », comme c’est le cas en France et en Italie, l’innovation est la clé de la croissance économique, et pas seulement pour les start-ups. Le problème, c’est qu’il y a aujourd’hui en Europe des entreprises qui veulent investir et innover, mais qui ne trouvent pas les financements adaptés, notamment en fonds propres. Et pourtant, les ressources ne manquent pas : la zone euro a plus de 350 milliards d’euros d’excédent d’épargne, soit plus de 3 % du PIB. C’est considérable. L’UFI doit permettre de mieux mobiliser cette épargne abondante en faveur de l’investissement.
Pour cela, il faut bien sûr s’appuyer sur les initiatives qui existent déjà au niveau européen : l’Union des marchés de capitaux, le Plan d’investissement Juncker et l’Union bancaire. Mais il faut créer des synergies entre elles et aller plus loin.
⦁ Davantage de réformes nationales et une meilleure stratégie économique collective
Quand chaque État agit sans se préoccuper de ses voisins, nous nous retrouvons tous dans une situation sous-optimale. Sans aucun doute, la croissance et l’emploi seraient plus forts dans la zone euro si les pays s’engageaient à davantage de réformes structurelles là où elles sont indispensables, comme en France et en Italie, et davantage de soutien budgétaire ou salarial là où des marges de manœuvre existent, comme par exemple en Allemagne. Mais nous devons pour cela recréer la confiance entre pays. D’abord en accélérant les réformes chez nous - France et Italie - : c’est notre intérêt national, je l’ai dit. Ensuite, pour que cette stratégie collective existe, la zone euro a besoin d’une institution de confiance, qui incarne et qui fasse vivre l’engagement commun des États. Cette institution de confiance pourrait être un « Ministre des Finances » de la zone euro, légitime démocratiquement. Il pourrait aussi, dans certaines conditions, disposer d’un « budget de stabilisation » européen pour amortir les chocs conjoncturels dans certains États ; une des formes possibles, à discuter, pourrait être un dispositif mutualisé d’indemnisation du chômage comme proposé par le Ministre Pier Carlo Padoan.
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Permettez-moi de conclure avec les mots de Carlo Azeglio Ciampi, ce grand Toscan et président de la République italienne, qui vient malheureusement de disparaître. « Ce qui a été réalisé en Europe, dans les domaines économique et politique semble à chaque fois trop important pour être mis en danger : tellement important que cela donne aux gouvernements et aux peuples le courage de faire encore d’autres progrès […]. À cet égard, la création de l’euro est non seulement un aboutissement, mais aussi un point de départ. » L’euro n’a jamais été facile mais ce n’est pas un carcan imposé, c’est une volonté politique et historique. Dans cette période troublée pour l’Europe, il nous faut non seulement conforter cet acquis essentiel, mais construire sur lui pour l’avenir. Nous devons le faire pour votre génération, qui est l’espoir de l’Italie et de l’Europe. Et nous devons plus encore le faire avec votre génération. Je vous remercie de votre attention.