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L ’euro nous a protégés des crises financière successives

Le taux de rémunération du Livret A va baisser de 1% à 0,75%. En quoi est-ce une bonne nouvelle pour l’économie ?

Le Livret A, comme les livrets indexés sur lui, sont une source importante de financement du logement social et des PME. Lorsque les taux de ces produits sont trop élevés, la transmission à l’économie de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), très accommodante, se fait mal et cela ampute la reprise. La baisse du taux du Livret A va donc permettre de meilleures conditions de financement, ce qui est favorable à la croissance et àl’emploi.

Cela nuira aux petits épargnants !

On a coutume de présenter le Livret A comme le produit d’épargne phare des classes populaires. C’est faux : 60% de l’encours est composé de livrets supérieurs à 15 000 euros. Le véritable livret populaire est le Livret d’épargne populaire (LEP), qui bénéficie d’une rémunération plus favorable et s’adresse aux populations plus modestes. L’image déformée du Livret A explique la résistance de la société à la baisse du taux. Mais c’est une grande méprise et c’est bien regrettable.

Faut-il réformer l’épargne réglementée ?

Oui, elle gagnerait à être simplifiée, avec un produit phare comme le Livret A qui serait indexé sur les taux de la BCE et un LEP préservé, offrant une meilleure rémunération et ouvert aux  épargnants non imposables. Là, ce serait vraiment de l’épargne populaire. Il faut aussi que l’épargne réglementée soit mieux utilisée et que son but initial ne soit pas détourné comme c’est le cas pour le Plan épargne logement (PEL) qui, parce qu’il a des taux trop élevés, n’est plus utilisé pour financer l’achat de logement mais comme un placement financier.

La France est-elle à la traîne de la reprise européenne ?

Le redémarrage français est moins fort que celui de l’Allemagne à cause du déficit de compétitivité que nous avons accumulé. Ce déficit a pour origine une hausse du coût du travail supérieure aux gains de productivité, et les rigidités qui handicapent notre économie. Le gouvernement a heureusement pris des mesures pour y remédier, à l’exemple du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) et du pacte de compétitivité, qui allégeront peu à peu le coût du travail. La loi Macron limitera également les rigidités sur le marché des biens et services. Mais les effets de ces mesures ne se feront sentir que progressivement.

C’est donc un bon point pour François Hollande ?

Oui, à condition de ne pas s’arrêter au milieu de chemin : ce serait perdre le bénéfice des réformes entamées et briser l’élan qui porte aujourd’hui les entreprises sur la voie de la reprise. Ces dernières ont besoin de stabilité et de constance pour créer des emplois et investir.Notre politique monétaire accommodante ainsi que le redémarrage conjoncturel de la zone euro offrent un cadre idéal pour mener des réformes de fond. Il faut en profiter pour aller plus loin, dans tous les domaines. Prenez le marché du travail : le mode de fixation du Smic est déconnecté de la conjoncture. Il conviendrait de l’assouplir, pourquoi pas en donnant plus de pouvoir aux branches et entreprises en la matière : ce serait bien plus efficace.

C’est donc un bon point pour François Hollande ?

Oui, à condition de ne pas s’arrêter au milieu de chemin : ce serait perdre le bénéfice des réformes entamées et briser l’élan qui porte aujourd’hui les entreprises sur la voie de la reprise. Ces dernières ont besoin de stabilité et de constance pour créer des emplois et investir.Notre politique monétaire accommodante ainsi que le redémarrage conjoncturel de la zone euro offrent un cadre idéal pour mener des réformes de fond. Il faut en profiter pour aller plus loin, dans tous les domaines. Prenez le marché du travail : le mode de fixation du Smic est déconnecté de la conjoncture. Il conviendrait de l’assouplir, pourquoi pas en donnant plus de pouvoir aux branches et entreprises en la matière : ce serait bien plus efficace.

Quels sont les risques pesant aujourd’hui sur la reprise ?

Ils sont nombreux : troubles géopolitiques, ralentissement de certains pays émergents… Mais la croissance mondiale pourrait également nous surprendre en étant plus forte que prévue.La spécificité de la zone euro est qu’elle a vécu un double choc : la crise des dettes souveraines a succédé à la crise financière de 2008. Cela a décalé la reprise de deux ou trois ans, le temps que nous réglions nos problèmes.Nous avons monté des mécanismes de solidarité, tels que le mécanisme européen de stabilité (MES), l’union bancaire, et renforcé le cadre de convergence de nos politiques budgétaires, via le pacte de stabilité.La zone euro doit poursuivre dans la voie des réformes afin de retrouver une croissance potentielle suffisamment élevée pour lutter efficacement contre le chômage.

Le contexte de taux d’intérêt bas ne représente-t-il pas une menace pour le secteur financier ?

Non, je ne crois pas mais ce contexte oblige les banques et les assureurs à une gestion fine de leurs risques. Les assureurs doivent constituer suffisamment de réserves, pour faire face à une éventuelle remontée des taux. C’est l’objet de contrôles sur place que mène actuellement l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Le risque d’une sortie grecque de la zone euro est-il derrière nous ?

Oui, je le crois. Mais les douloureuses mesures mises en oeuvre ces dernières années en Grèce portaient trop sur l’ajustement budgétaire et pas assez sur les réformes structurelles susceptibles de favoriser la compétitivité et la création d’emplois. L’essentiel est désormais qu’Athènes mette en place ces mesures avec détermination. L’exemple des autres pays passés sous assistance européenne, comme l’Irlande et le Portugal, montre que les réformes structurelles permettent de renouer avec la croissance.

Quel bilan dressez-vous de l’action de la BCE, que certains accusent d’avoir asphyxié les banques grecques pour forcer un accord ?

La BCE a été exemplaire et a agi dans le strict cadre de son mandat, en assouplissant au maximum ses règles d’intervention, notamment pour mettre en place des liquidités d’urgence. Nous avons résisté aux sirènes qui appelaient à couper toutes les aides et à mettre en faillite le système bancaire. Nous n’avons pas davantage répondu à celles qui nous demandaient de financer sans limite les banques. Nous avons fait notre possible pour donner aux Etats le temps nécessaire pour trouver un accord.

La crise grecque a-t-elle mis à mal le couple franco-allemand ?

Cette situation est l’une des plus délicates auxquelles la zone euro ait dû faire face. Mais une fois de plus, quelles que soient les différences de sensibilité et culture, les problèmes ont été réglés lorsque les points de vue français et allemand ont convergé. Aucune crise ne peut être résolue sans une forte implication du couple franco-allemand.

Que sait-on de l’état de santé des banques hellènes ?

Il y a six mois encore, nous étions fondés à considérer que le système bancaire, fraîchement recapitalisé et restructuré, fonctionnait bien. Depuis, l’économie s’est dégradée et la qualité des crédits s’est détériorée. De nombreux déposants ont sorti leur argent, pour le transférer à l’étranger ou le thésauriser. L’urgence est de stabiliser l’économie et de restaurer la confiance, pour faire revenir ces dépôts. C’est l’objectif du nouveau plan de recapitalisation intégré à l’accord du 13 juillet.

De l’argent public sera injecté dans le système bancaire pour le remettre à flot. Combien, sachant qu’une fourchette de 10 à 25 milliards d’euros est annoncée ?

La BCE conduira des tests à l’automne afin d’évaluer leurs besoins. Nous en connaîtrons le résultat en fin d’année. Mais d’ici là, une première injection de capital serait souhaitable pour stabiliser le secteur, juste après la signature du plan d’aide attendue le 11 août. Le Fonds grec de stabilité financière contrôle déjà 55 % du capital des banques et sa part va donc s’accroître, le temps de passer la crise. Dans quelques années, il pourra revendre ses actions au secteur privé.

Les clients des banques seront-ils eux aussi mis à contribution, comme à Chypre en 2013 ?

C’est l’un des aspects à clarifier au plus vite, si possible au cours de l’été. Je suis contre l’idée de solliciter les gros déposants grecs car ce sont aujourd’hui en majorité des PME. Cela reviendrait à détruire l’outil productif du pays. Ma position est largement partagée au sein du conseil des gouverneurs. Nous espérons qu’une telle clarification favorise le retour de la confiance et d’une grande partie des 90 milliards d’euros sortis de Grèce depuis 2010 et sortir les billets de banque de sous les matelas.

N’y-a-t-il réellement aucun risque de contagion au reste des banques européennes ? Le traumatisme lié à la chute de la banque américaine Lehman Brothers est prégnant…

Les risques de contagion sont quasi-nuls. Les banques étrangères sont déjà largement sorties de leurs investissements en Grèce. La part des financements entre banques s’est réduite. Les produits dérivés utilisés pour gérer les risques des banques sont en quantité négligeable.

Votre mandat s’achève le 1er novembre. Quel bilan dressez-vous des douze ans écoulés ?

La Banque de France s’est profondément transformée. Nous avons considérablement augmenté notre contribution à la recherche économique et monétaire, et sommes au tout premier plan pour la capacité opérationnelle de l’Eurosystème sur les marchés. Un deuxième plan de transformation du réseau est en cours, afin d’augmenter son efficacité et réduire ses coûts. Nous avons réduit les délais de traitement du surendettement, pris en charge la médiation du crédit et nous nous mettons au meilleur niveau d’efficacité et de modernité pour la gestion de la circulation des billets.

Quel bilan faites-vous de l’euro ?

La monnaie unique nous a protégés des crises financières successives. Si nous étions restés dans la configuration monétaire des années 1990, nous aurions subi des tensions bien plus violentes, des crises de change, une augmentation brutale des taux d’intérêt. Mais l’euro à lui seul ne suffit pas. Il faut désormais adjoindre à l’union monétaire un voletéconomique, parfois désigné du terme de gouvernement économique. En clair, il faut nous doter d’une vraie discipline financière collective, faire converger les conditions de la compétitivité des différents pays et donc décider collectivement des réformes à mettre en place. C’est à cette condition que la zone euro sera capable de traverser le temps.

Quel meilleur profil pour votre successeur ?

C’est au président de la République d’en décider mais, pour moi, l’essentiel est qu’il soit d’abord compétent, surtout en ces périodes difficiles, profondément européen et totalement indépendant des milieux politiques ou financiers.

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InterviewChristian Noyer, Gouverneur de la Banque de France
L ’euro nous a protégés des crises financière successives
  • Publié le 24/07/2015
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