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Audition de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, devant la Commission des finances de l’Assemblée Nationale

Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur général, Mesdames et Messieurs les Députés,

Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui pour cette audition, la première de l’année 2023. Le contexte économique envoie des signaux contrastés, avec plutôt de bonnes nouvelles sur l’activité, mais une inflation et une incertitude qui restent prégnantes, et toujours en toile de fond la guerre russe en Ukraine. Je viserai d’abord à éclairer ces signaux conjoncturels et les évolutions de politique monétaire qui en découlent (I), avant d’aborder l’effet de celle-ci sur les conditions de financement de l’économie, c’est-à-dire des entreprises, des particuliers, et de la dette publique (II).

I Pas de récession, mais encore trop d’inflation

Bien qu’en ralentissement — prévu — au tournant de l’hiver 2022-2023 en France et en Europe, l’activité fait preuve d’une meilleure résistance qu’anticipé, confirmée mois après mois par notre enquête mensuelle de conjoncture réalisée auprès de 8 500 entreprises. Le pouvoir d’achat en moyenne a finalement été préservé en 2022. Le risque de récession qui planait sur nos économies peut aujourd’hui être écarté, sauf évènement mondial majeur. Nous actualiserons nos prévisions macroéconomiques trimestrielles le 20 mars. Nous prévoyons en France une croissance faiblement positive pour l’année 2023 – a priori un peu supérieure au +0,3% prévu en décembre – avant une reprise attendue en 2024.

Pour autant, l’inflation reste aujourd’hui la principale préoccupation de nos concitoyens – et notamment des plus défavorisés parmi eux –, et la nôtre. Elle a certes commencé à se stabiliser, voire à se replier à 8,6% en zone euro fin janvier dans un contexte d’accalmie des prix de l’énergie. Pour autant, les premiers chiffres de février publiés hier pour l’Espagne et pour la France nous appellent à la vigilance, et à la persévérance dans notre action monétaire : l’inflation persiste, pour la France à 7,2% en indice harmonisé européen, 6,2% en indice national. Selon nos prévisions, elle devrait atteindre son pic dans ce 1er semestre et pourrait avoir diminué de moitié en fin d’année. Mais cela reste encore trop, et l’inflation « sous-jacente », hors énergie et alimentation, continue d’augmenter, nous l’estimons à 4,5 % en France. L’inflation a en effet changé de nature au-delà de la crise énergétique d’origine: elle est non seulement plus haute mais plus large, non seulement importée mais aussi domestique, non seulement liée à un choc d’offre temporaire mais potentiellement persistante. Dès lors, personne ne peut plus nier que la politique monétaire peut réagir, et doit réagir.

Je redis devant vous avec force non seulement notre prévision, mais notre engagement à ramener cette inflation vers 2 % d’ici fin 2024-à fin 2025.

Après le « sprint » de la normalisation monétaire entamé en juillet 2022, nous entrons à présent dans une nouvelle phase de la politique monétaire plus comparable à une course de fond : elle sera plus longue — il ne faudra surtout pas crier victoire trop vite —, mais plus graduelle et plus pragmatique dans le rythme des prochaines hausses. Il est clairement trop tôt pour dire, au-delà des 3% que nous atteindrons en mars – très inférieurs aux actuels 4,75% américains, ou aux 4% anglais – le taux « terminal » auquel les taux directeurs se stabiliseront. Mais je crois possible d’éclairer le chemin que nous devrions suivre à mon sens, pour donner une certaine prévisibilité économique. Sur le calendrier d’abord, il me parait souhaitable d’atteindre ce taux terminal d’ici l’été, c’est-à-dire au plus tard en septembre. Et nos décisions seront guidées par les données économiques : nous devrions avoir pour critère central de la stabilisation monétaire le retournement jugé assez sûr de la trajectoire d’inflation sous-jacente, qui « informe » le mieux sur la perspective de moyen terme de l’inflation totale, et que la politique monétaire peut le mieux traiter. Nous ne sommes pas encore à ce retournement, ce « seuil » économique.

Je veux en outre dissiper une crainte: la désinflation que nous allons mener à bien ne conduira pas à la récession, compte tenu de la résilience de l’activité et de l’emploi. Au contraire, c’est une inflation durable qui serait le pire ennemi de la croissance.

II Les conditions de financement se normalisent en conséquence, sans peser excessivement sur la situation des entreprises

Le resserrement de la politique monétaire entraîne celui des conditions de financement, après plusieurs années exceptionnellement accommodantes. Mais le relèvement des taux d’intérêt se transmet à l’économie réelle de manière progressive et ordonnée, particulièrement en France.

Parlons d’abord des entreprises et PME, l’encours des crédits bancaires aux entreprises reste dynamique à +6,8 % en janvier dont +5% pour les PME et TPE. Le crédit bancaire se substitue partiellement au financement de marché du fait d’une hausse plus contenue de son coût. Sur la situation des entreprises, il convient d’être vigilant mais pas alarmiste comme on l’entend parfois. Leur trésorerie s’est certes dégradée à partir d’un niveau initialement élevé, comme le confirme notre dernière enquête mensuelle — dans l’industrie davantage que dans les services —, mais nous n’observons pas de retour majeur du « spectre des défaillances ». Fin janvier, le nombre de défaillances est en progression à un peu moins de 43 000 sur les douze derniers mois[1], au-dessus du niveau artificiellement bas des années Covid avec leurs mesures de soutien exceptionnelles, mais encore sensiblement en deçà de la moyenne enregistrée sur la période 2010-2019 à environ 59 000 : nous devrions progressivement tendre vers ce chiffre, et nous suivons très attentivement la situation des PME et TPE dans certains secteurs plus fragiles. Parallèlement, les créations d’entreprises restent à un niveau record, à plus de 400 000 hors microentrepreneurs.

De la même manière, nous n’avons pas d’inquiétude généralisée s’agissant du remboursement des PGE. Depuis février 2022, nous avons reçu 671 demandes, portant sur seulement moins de 0,1 % du nombre total de PGE. Sur les 143 milliards d’euros qui ont aidé près de 700 000 entreprises, 46 milliards ont déjà été remboursés. Et aujourd’hui, plus de 95 % des entreprises remboursent correctement leur PGE. La Médiation du crédit de la Banque de France reste pour autant mobilisée, dans chacun de vos départements, pour traiter les cas les plus difficiles, dans le cadre de « l’accord de place » renouvelé pour 2023.

Pour les particuliers, la croissance des crédits à l’habitat s’élève encore à +5,3 % en décembre (et +5,1% en janvier) dans un contexte de remontée progressive du taux moyen qui atteignait alors 2,05 %[2], contre 2,9% en moyenne dans la zone euro et 3,5% en Allemagne. En France, le crédit à l’habitat reste le moins cher, le plus abondant et le plus sûr d’Europe - avec 97 % des encours à taux fixes.

Source : BCE

Bien sûr, nous sommes sortis des années du crédit exceptionnellement facile. Les besoins de financement de l’économie réelle restent cependant largement satisfaits, grâce à la solidité des banques françaises. La décélération du crédit dès lors qu’elle est ordonnée est d’ailleurs justifiée, après la hausse récente des taux d’endettement privés (ménages et entreprises non financières). Permettez-moi à cet égard de souligner que ce ratio est en France le plus élevé des grands pays européens à 147 % du PIB au T3 2022, contre 119 % en moyenne en zone euro.

Reste le troisième grand agent économique : les administrations publiques dans leur ensemble. Le ratio de dette publique de la France est non seulement plus élevé de 20 points que celui de l’ensemble de la zone euro (113% du PIB contre 93% au T3 2022[1]), mais il ne diminue pas contrairement à celui des autres grands pays de la zone euro. Dès lors que les prix de l’énergie refluent, il faut aujourd’hui commencer à réduire rapidement les mesures de soutien, en les ciblant vers ceux qui en ont le plus besoin. Les boucliers tarifaires ont pu être utiles à court terme pour amortir le choc énergétique, mais ils ne peuvent le faire disparaître. La victoire durable contre l’inflation ne passe en effet pas par des mesures budgétaires, mais par la politique monétaire, et par le renforcement de notre offre productive. Plus largement, la réponse à cette crise, à ce monde nouveau, passe avant tout par un effort majeur d’adaptation. Dans la justice – j’y tiens comme vous – et dans la durée, nous devons réussir les trois grandes transformations qui sont la clé de notre succès économique et social : la transformation énergétique et climatique ; la transformation numérique ; la transformation du travail en accroissant sa quantité collective et sa qualité individuelle. Je redis ici pour conclure cette conviction : nous avons la capacité de réussir ensemble. Soyez assurés que la Banque de France, avec ses équipes sur le terrain, sera totalement mobilisée en ce sens.


[2] Hors frais et assurances ; Crédits aux particuliers — décembre 2022, Banque de France, 3 février 2023

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AuditionFrançois VILLEROY DE GALHAU, Gouverneur de la Banque de France
Audition de François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, devant la Commission des finances de l’Assemblée Nationale
  • Publié le 01/03/2023
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