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France Inter « Trois quarts de l’effort doivent reposer sur les dépenses publiques, jusqu’à un quart sur des mesures fiscales »
Mise en ligne le 16 Septembre 2025

Interview du Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, dans la matinale de France Inter mardi 16 septembre 2025.
« Trois quarts de l’effort sur les dépenses publiques, un quart sur des mesures fiscales »
Benjamin Duhamel
Bonjour François Villeroy de Galhau.
François Villeroy de Galhau
Bonjour Benjamin Duhamel.
Benjamin Duhamel
Merci d'être avec nous ce matin sur France Inter pour nous donner votre regard sur l'état de l'économie française, percutée par l'instabilité politique, par des finances publiques très dégradées, et un débat politique où le compromis semble de plus en plus chimérique. Je voudrais commencer par les prévisions de la Banque de France. Elles datent d'hier soir et elles sont plutôt meilleures que prévues. Une croissance qui résiste sous contrôle, ça veut dire qu’on s’inquiète pour rien ?
François Villeroy de Galhau
Si, sur les finances publiques. Mais pour d’abord regarder notre économie, la Banque de France fait des prévisions indépendantes. Et nous le faisons en ayant interrogé des milliers d'entrepreneurs sur le terrain, grâce aux femmes et aux hommes de la Banque de France. Il y a dans une situation qui n'est pas facile, vous l'avez dit, deux points d'appui positifs. Le premier c'est la victoire contre l'inflation.
Benjamin Duhamel
Donc ça c'est bon pour le pouvoir d'achat des Français ?
François Villeroy de Galhau
Exactement, et souvenez-vous c'était le grand sujet des Français il y a deux-trois ans. On est revenu aujourd'hui à 1 % d'inflation et on ne dépassera pas 2 % qui est notre objectif dans les années qui viennent. Un deuxième point d'appui, c'est que la croissance Française résiste : souvenez-vous il y a quelques mois beaucoup de gens craignaient une récession. Aujourd’hui nous prévoyons une croissance pour l'année à 0,7 % et le taux de chômage ne monte pas, c'est une bonne surprise sur l'emploi. Ces deux points d'appui sont une raison de plus pour traiter notre problème numéro 1 qui est les finances publiques.
Benjamin Duhamel
Sur la question des finances publiques, la note de la France a été dégradée par l'agence Fitch. Les taux d'intérêt français à 10 ans sont désormais plus importants que ceux du Portugal, de l'Espagne, de la Grèce, quasiment au niveau des taux italiens. Concrètement ça veut dire que le remboursement de la dette coûte de plus en plus cher, est-ce qu'il y a un risque de dérapage financier majeur ?
François Villeroy de Galhau
Je crois en tout cas qu'il faut qu'on s'occupe sérieusement du problème et qu'on n'attende plus. Plus on attend, plus le traitement deviendra difficile. On doit y arriver. Parce que sinon la France est étouffée progressivement sous le poids de la charge de la dette, vous le citiez.
Benjamin Duhamel
Au risque d'un dérapage majeur, d'un moment où des institutions internationales seront forcées d'intervenir ?
François Villeroy de Galhau
Écoutez, il n'y a pas besoin d'attendre l'intervention des institutions internationales. Il y a d'ores et déjà notre liberté qui se réduit chaque année. Je vais vous citer un chiffre très simple. En 2020, les intérêts de la dette nous coûtaient 30 milliards par an. D'ici la fin de la décennie, en 2029-2030, ils vont nous coûter plus de 100 milliards. La différence entre les deux, c'est 70 milliards de poids de la dette supplémentaire qu'on ne peut pas dépenser pour des choses beaucoup plus intéressantes pour les Français : l'éducation, la défense, le climat. Donc il faut s'en occuper maintenant. On doit y arriver et on peut y arriver, si vous me permettez de le souligner. Tous les voisins que vous avez cités, pas seulement l'Allemagne, c'est vrai du Portugal, de l'Italie, des pays nordiques, ont réussi à le faire. Donc il n'y a vraiment pas de raison que la France s'installe comme la lanterne rouge de l'Europe.
Benjamin Duhamel
Mais c'est le cas, on est en train de devenir l'homme malade de l'Europe.
François Villeroy de Galhau
En termes de déficit et en termes de signature de crédit, aujourd'hui, oui, la France est la lanterne rouge de l'Europe. Mais nous aimons tous notre pays, et on ne va pas se résigner à cette situation. Je crois que nous avons les moyens de régler le problème, mais il faut des compromis politiques et sortir des querelles politiciennes.
Benjamin Duhamel
Justement, l'effet de l'instabilité politique sur le climat économique. Est-ce que la France risque de payer cash cette incapacité à trouver des compromis et la perspective éventuellement qu'il n'y ait pas de budget au 31 décembre 2025.
François Villeroy de Galhau
Tout ce qui augmente l'incertitude diminue la croissance. C'est mauvais pour notre pays, pour l'économie, c'est évident. Maintenant, si on regarde un peu ce qu'ont fait les autres pays et le chemin qu'ils ont suivi, il faut que nous trouvions notre chemin à nous. Il faut d’abord qu'on soit clair sur le point d'arrivée. Le point d'arrivée, c'est réduire le déficit à 3 % en 2029. C'est l'engagement que nous avons pris vis-à-vis de l'Europe.
Benjamin Duhamel
Donc ça veut dire qu'il ne faut pas réduire l'effort qui était prévu par François Bayrou, qui lui disait qu'il faut faire 44 milliards d'euros, ce qui permet effectivement de tomber à moins de 3 % en 2029. Il ne faut pas bouger la trajectoire.
François Villeroy de Galhau
Si vous me laissez expliquer, pour aller à 3 % en 2029, il ne faut pas traîner en chemin. Si, dès la première étape, vous prenez du retard, personne ne croira que vous arriverez à temps. Savoir exactement l'effort en 2026, ce sera à voir. Et puis après, il y a divers itinéraires possibles, mais j'insiste sur ce point d'arrivée et sur ce rythme en chemin, parce que nous avions déjà négocié l'an dernier, on l’a un peu oublié, les 3 % reportés à 2029. Donc si chaque année, on reportait d'un ou deux ans le point d'arrivée, personne ne nous croira.
Benjamin Duhamel
Mais vous entendez aussi, François Villeroy de Galhau, ceux qui disent : « L'effort d'ajustement budgétaire va casser la croissance. C'est un plan d'austérité ». Que répond le gouverneur de la Banque de France à cela ?
François Villeroy de Galhau
Le gouverneur de la Banque de France que je suis effectivement va répondre deux choses. La première sur la croissance : c'est vrai qu'autrefois, on craignait qu'un effort de redressement budgétaire freine la croissance. Aujourd'hui, nous le disons dans nos prévisions, nous pensons que c'est compensé par la réduction de l'incertitude dont vous parliez tout à l'heure. Si on ne traite pas le problème budgétaire, il y a trop d'incertitudes, les Français épargnent au lieu de consommer, et c'est mauvais pour la croissance. Donc il n'y a pas d'effet restrictif du redressement budgétaire. Ensuite, il y a diverses façons d'arriver à ce 3 %, divers itinéraires possibles. Cela, c'est le débat politique. Vous connaissez notamment le grand débat : est-ce qu'il faut plutôt maîtriser les dépenses ou plutôt augmenter les impôts ? Je vais vous le dire, avec un grand pragmatisme : il faut les deux. Mais pas dans les mêmes proportions. Le cœur de la solution, c'est la maîtrise des dépenses. Parce que c'est le cœur de notre problème.
Benjamin Duhamel
Deux questions sur ce sujet, d'abord sur les dépenses. La première décision de Sébastien Lecornu sur le train de vie de l'État, c'est de supprimer les avantages à vie des anciens premiers ministres au 1er janvier prochain. Je rappelle les chiffres pour que chacun ait les ordres de grandeur en tête : 4,4 millions d'euros par an, dont près de 3 millions d'euros pour la seule sécurité des anciens premiers Ministres. Ce n'est pas avec ça qu'on va réduire la dette et le déficit, non ?
François Villeroy de Galhau
Non ; c'est une mesure symbolique d'exemplarité, pourquoi pas ? Mais heureusement, il y a pas mal d'autres mesures possibles. Quand nous nous comparons à nos voisins européens, nous avons le même modèle social que nos voisins et c'est très bien. Je soutiens, comme l'immense majorité de nos concitoyens, le modèle social européen de services publics, de solidarité sociale. Mais notre problème, c'est qu’il est beaucoup plus cher. Il nous coûte 9 % de PIB, cela fait 270 milliards d'euros de plus que nos voisins européens.
Benjamin Duhamel
La priorité, c’est le modèle social, ce n’est pas les avantages des anciens Premiers ministres.
François Villeroy de Galhau
Je n'ai pas dit qu'il fallait attaquer le modèle social, j'y crois. Mais est-ce qu'on peut avoir un modèle social proche de nos voisins, pour moins cher ? Cela veut dire à peu près trois quarts de l'effort reposant sur les dépenses. Je vais souligner une chose qu'on n'a peut-être pas dite à propos des -44 milliards affichés par M. Bayrou. Il ne s'agit pas de faire reculer les dépenses globalement. Elles vont augmenter l'an prochain.
Benjamin Duhamel
Mais elles progressent moins vite.
François Villeroy de Galhau
Il s'agit qu'elles progressent moins vite, c'est-à-dire qu'elles ne progressent pas plus vite que l'inflation. Pour le dire autrement, nous ne pouvons pas à la fois garder les dépenses publiques qui sont les plus élevées, pas seulement d'Europe, mais du monde, et puis continuer à les faire augmenter plus vite que l'inflation.
Benjamin Duhamel
Après la question de la dépense, c'est la question des impôts, la possibilité d'augmenter la fiscalité pour les très hauts patrimoines. La taxe Zucman, taxer à hauteur de 2 %, les patrimoines de plus de 100 millions d'euros, vous avertissez dans les colonnes du Parisien contre, je cite : « des remèdes quelquefois un peu simplistes ». C'est simpliste de dire qu'on va faire contribuer les plus hauts patrimoines ?
François Villeroy de Galhau
D'abord, je crois qu'il faut une part de mesures fiscales. Trois quarts sur les dépenses, et jusqu'à un quart sur les mesures fiscales. Encore une fois, des compromis pratiques. Ensuite, ce n'est pas à la Banque de France de décider les mesures fiscales. La seule prudence à laquelle j'invite - elle vaut pour la taxe Zucman, et vaut aussi quand on parlait il y a quelques mois, dans un autre bord politique, de la TVA sociale - c'est que notre débat public rêve périodiquement de solutions fiscales qui seraient faciles, qui ne pèseraient en rien sur l'économie, indolores, et qui résoudraient notre problème. Ça, ça n'existe jamais. C'est vrai notamment pour la taxe Zucman : on pénaliserait très fortement la base de notre prospérité, que sont nos plus belles entreprises d'aujourd'hui ou de demain, pensez à une entreprise comme Mistral. Il faut diverses mesures pour aller dans le sens de la justice. Nos concitoyens sont extrêmement sensibles à la justice, ils ont raison, je le suis aussi. Je vais citer un exemple, parce que là, je crois qu'il y a un certain consensus : ce sont des mesures anti-optimisation fiscale, pour certains hauts patrimoines. On peut regarder d'autres mesures…
Benjamin Duhamel
Pardon, mais le gouverneur de la Banque de France dit ce matin : « La taxe Zucman, ce n'est pas une bonne idée ».
François Villeroy de Galhau
Je dis qu'il n'y a pas de remède miracle à notre problème de finances publiques. Il faut un effort partagé par tous. On n'est pas dans une situation facile et il n'y a pas de solution facile, mais il y a des solutions possibles et justes.
Benjamin Duhamel
Merci beaucoup, François Villeroy de Galhau.
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Mise à jour le 16 Septembre 2025