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Billet de blog 419. Des données minières granulaires permettent de montrer que l’offre de minerais critiques à la transition énergétique réagit rapidement aux variations de prix induites par un choc de demande. Cette réaction dépend des caractéristiques des mines et du marché mondial. Elle est plus faible sur le continent africain, en raison de conflits plus nombreux à proximité des mines, limitant la capacité de réaction de l’offre.
Graphique 1 : Élasticité-prix moyenne de l’offre de 8 minerais critiques à horizon 5 ans
Note : la ligne bleue désigne l’effet estimé, avec, en zone grise, un intervalle de confiance à 90%. Un an après une hausse de 1 % du prix d’un minerai, sa production a augmenté de 0,5 %.
La transition énergétique est susceptible de provoquer une forte hausse de la demande mondiale de minerais « critiques », sur lesquels repose la production et le stockage d’énergie bas carbone ou le développement de l’IA. Entre 2020 et 2040, la demande de minerais critiques pourrait être multipliée par sept afin d’atteindre des émissions nettes de CO2 nulles à l’horizon 2050 (Miller et al., 2023). La capacité de l’offre de minerais critiques à s’ajuster pour répondre à cette hausse de la demande est essentielle pour maitriser les coûts de ces intrants et minimiser les risques d’instabilité macro-financière associée à la volatilité des cours. Ces matériaux critiques comportent également des enjeux géopolitiques importants, liés par exemple à la sécurisation des approvisionnements, notamment pour l’Union européenne.
La hausse tendancielle de la demande de minerais critiques devrait aller de pair avec une hausse de leur prix (Boer et al., 2024), d’ores et déjà observée au cours des dix dernières années (Graphique 2). Dans ce contexte, il est essentiel de comprendre dans quelle mesure ces variations de prix affectent en retour l’offre de minerais critiques, en fonction du coût supplémentaire des unités additionnelles qui seraient produites.
Une hausse des prix peut en effet pousser les entreprises à ouvrir de nouvelles mines, stimulant l’offre à long terme du fait de délais pouvant atteindre dix à vingt ans entre la découverte d’un gisement et sa mise en exploitation. Une hausse des prix peut également accroître l’offre à plus court terme, via une intensification de la production au sein des mines existantes. Parmi les facteurs pouvant expliquer la capacité de l’offre à réagir aux variations de prix figurent notamment les caractéristiques des mines (comme le niveau de leurs réserves, le nombre et le type de minerais qu’elles extraient, ou leur actionnariat). L’élasticité-prix de l’offre (i.e. l’effet des prix sur la production) est cependant insuffisamment documentée : les travaux récents sur le sujet, peu nombreux, concernent rarement les minerais critiques ayant connu de fortes hausses de leur demande mondiale (comme le cobalt ou le molybdène).
Graphique 2 : Indices des prix des minerais nécessaires à la transition énergétique
Note : L’indice PCPS est composé de 16 minerais, et l’indice CRMI est composé de 29 minerais. Dans l’indice CRMI, le poids de chaque minerai dépend de son poids dans les exportations mondiales. L’écart entre les deux courbes depuis 2022 s’explique par une hausse du prix de l’étain et du gallium (absents de l’indice PCPS mais inclus dans l’indice CRMI).
Une réaction marquée sur cinq ans de l’offre à un choc de prix
Dans un article récent (Vertier et al., 2025), nous mobilisons des données granulaires de production minière entre 2000 et 2019, couvrant 318 mines dans 43 pays, issues de Jasansky et al. (2023) pour proposer de nouvelles estimations de l’élasticité-prix de l’offre. Notre analyse porte sur huit des principaux minerais critiques à la transition énergétique : le cobalt, le cuivre, le plomb, le molybdène, le nickel, les métaux du groupe du platine, l’argent et le zinc. Pour chacun d’eux, les données couvrent au moins 20 % de la production mondiale, et en moyenne, les mines étudiées font l’objet de dix années d’observations.
Les fluctuations observées des prix des minerais sont susceptibles de refléter à la fois des chocs d’offre et des chocs de demande. Pour estimer l’élasticité-prix de l’offre, il convient de ne conserver dans les variations des prix que celles provenant de chocs de demande et de retirer des variations des prix la composante provenant de chocs d’offre. De plus, afin d’isoler les effets propres à la transition énergétique (Boer et al., 2024), nous nous intéressons uniquement aux chocs de demande propres à chaque minerai étudié (par exemple via l’introduction d’une nouvelle technologie verte), et excluons les chocs de demande communs à tous les minerais (cycle mondial des matières premières, crises financières).
Pour ce faire, nous estimons des modèles à vecteur autorégressif structurels sur des données mondiales d’activité économique, de prix et de production de minerais, de 1912 à 2019. Nous y introduisons trois types de chocs (choc de demande spécifique au minerai, choc de demande non spécifique et choc d’offre spécifique), identifiés en appliquant des restrictions au signe des effets qu’ils ont sur les variables du modèle. Ceci permet de décomposer complètement la variation du prix mondial de chaque minerai (Graphique 3 pour l’exemple du cuivre), et d’isoler la composante liée à un choc de demande spécifique.
Graphique 3 : Décomposition de la variation du prix du cuivre (2000-2019)
Note : la variable décomposée est la variation du prix réel du cuivre en dollars US, i.e. déflaté par l’indice des prix à la consommation aux États-Unis.
Nous étudions ensuite comment, au sein de chaque mine, la production d’un minerai donné réagit à une hausse des prix induite par un choc de demande spécifique, en appliquant la méthode des projections locales jusqu’à un horizon de cinq ans. Nous estimons qu’en moyenne, pour une hausse de 1 % du prix d’un minerai liée à un choc de demande spécifique, la production à l’échelle de chaque mine augmente rapidement, de l’ordre de 0,5 % en moyenne au cours des cinq années suivant le choc. L’effet, relativement stable au cours de l’horizon de projection, oscille entre 0,2 % et 1 % (Graphique 1 supra).
Cette réaction marquée de la production minière, sur un horizon de temps assez court, contraste avec les contributions existantes, reposant sur des données agrégées et faisant état de réactions plus modérées. Ceci est susceptible de s’expliquer par la mobilisation de données granulaires, qui permettent d’éviter un possible biais d’agrégation.
Une forte hétérogénéité des effets estimés, liée à des facteurs locaux et mondiaux
Ces résultats suggèrent qu’à l’échelle de la mine, et à relativement court terme, il existe une capacité d’ajustement de l’offre aux variations de prix. Néanmoins, la réaction de l’offre est hétérogène. Elle est particulièrement forte pour l’argent, le cuivre et le nickel (Graphique 4) et dépend à la fois de caractéristiques de la mine, de sa localisation et des caractéristiques du marché mondial.
S’agissant des caractéristiques de la mine, la réaction est plus faible si la mine produit plusieurs minerais, suggérant de potentiels effets de lissage de l’offre. Néanmoins, parmi ces mines, la réaction est plus forte pour les minerais « principaux » (i.e. ceux représentant la principale valeur économique produite par la mine) que pour les minéraux « secondaires ». La production de ces derniers réagit plus fortement aux variations de prix du minerai principal qu’aux variations de leur propre prix. La réaction de l’offre est également plus faible lorsque la mine est détenue par plusieurs entreprises (suggérant une moindre réactivité dans les prises de décision), et lorsque les réserves de minerais sont plus importantes (permettant possiblement une gestion à plus long terme des ressources).
S’agissant de la localisation de la mine, le niveau d’activité économique local et la proximité à des infrastructures de transport n’affecte pas la réaction de l’offre. Celle-ci est cependant plus faible dans les mines situées à proximité de conflits. Ceci contribue en partie à une moindre élasticité-prix de l’offre en Afrique, où les conflits sont plus nombreux qu’ailleurs. Ces résultats confirment l’importance des contraintes, notamment de gouvernance, de logistique et de transports, qui pèsent sur le développement du secteur minier en Afrique (Clair et al., 2023).
Enfin, s’agissant des caractéristiques du marché mondial, nous testons la sensibilité de l’élasticité de l’offre au niveau de concentration de la production (pouvant refléter des économies d’échelles ou des situations de pouvoir de marché). L’élasticité-prix s’avère plus faible dans les cas où la production est concentrée dans un nombre plus faible de mines. En revanche, nous ne trouvons pas que la mise en place de mesures de restriction d’export affecte la réaction de la production, du moins jusqu’en 2019. Compte tenu des enjeux croissants d’indépendance énergétique liés aux matériaux critiques depuis lors, la question de l’impact des comportements stratégiques des États producteurs ou investisseurs demeure toutefois ouverte.
Graphique 4 : Élasticité-prix estimée pour chaque minerai
Note : la ligne bleue désigne l’effet (en %), sur la production d’un minerai, d’une hausse de 1 % de son prix, induite par un choc sur sa demande mondiale, avec un intervalle de confiance à 90% (en gris). Par exemple, un an après une hausse de 1 % du prix de l’argent, sa production a augmenté d’environ 1 %.
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Mise à jour le 20 Novembre 2025