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Matières premières critiques : dépendances et vulnérabilités de l’UE
Billet n°325. La transition écologique nécessite d’importantes quantités de matières premières critiques, mais leur offre est géographiquement concentrée et les grandes entreprises extractives sont principalement contrôlées par des acteurs extérieurs à l’Union européenne. Cette dépendance vis-à-vis des importations expose l’UE à des risques géopolitiques forts et la pousse à sécuriser ses approvisionnements.
Sources : Refinitiv, calculs des auteurs.
Note : chaque entreprise minière cotée (flottant exclu) est pondérée par son poids dans la production mondiale du métal considéré. Plus le rouge est foncé, plus la part du capital détenu par zone est élevée.
Face au risque de « fragmentation géoéconomique » (Aiyar, 2023), l’UE s’efforce d’accroître la sécurité de ses approvisionnements, sa résilience aux chocs, notamment géopolitiques, ainsi que son autonomie stratégique, au travers de textes législatifs récents. De plus, sa stratégie « Fit for 55 » vise à réduire de 55 % ses émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990, tout en atteignant la neutralité climatique d’ici 2050. Pour réaliser ses objectifs climatiques, l’UE est cependant dépendante de ses importations en matières premières critiques (MPC).
Celles-ci sont qualifiées de critiques en raison de leur importance économique et des risques pesant sur l’approvisionnement de l’UE. Si la concentration géographique des ressources est bien documentée, celle de la détention du capital des entreprises extractives l’est moins. Or, l’analyse d’une base de données inédite que nous avons constituée sur l’origine des détenteurs de capitaux suggère que l’offre de certaines MPC est principalement contrôlée par des entités implantées dans de grandes économies concurrentes de l’UE (cf. graphique 1). Les productions de nickel, de cuivre et de cobalt sont concentrées entre les mains d’investisseurs extra-européens, notamment américains, australiens, britanniques et chinois, et plus de la moitié du capital des entreprises extractives de terre rares et de lithium est détenue par des investisseurs non européens.
La demande de matières premières critiques devrait fortement progresser avec la transition énergétique
Les technologies indispensables à la transition énergétique telles que les éoliennes, les batteries et les réseaux électriques requièrent de grandes quantités de MPC. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la production d’une voiture électrique requiert six fois plus de MPC que celle d’un véhicule conventionnel, tandis que la production d’énergie à partir d’un parc éolien terrestre nécessite deux fois plus de MPC qu'une centrale nucléaire.
Les technologies indispensables à la transition énergétique représentent déjà une part importante de la demande totale de MPC (graphique 2). Cette part devrait encore progresser : les projections de l’AIE (2023) ou de la Commission européenne (2023) suggèrent que la hausse de la demande mondiale de MPC, majoritairement tirée par les besoins du déploiement des véhicules et des réseaux électriques, serait particulièrement forte pour le cobalt, le lithium, le nickel, le graphite et le cuivre. Ces projections sont entourées de fortes incertitudes, reflétant les aléas liés à la mise en œuvre des politiques de décarbonation et la difficulté à prévoir les évolutions technologiques et les besoins nouveaux. Toutefois, des déséquilibres croissants entre offre et demande de MPC pourraient advenir (Dees et al., 2023).
Source : AIE (2023)
Note : les technologies de la transition énergétique représentent 56% de la demande mondiale de lithium en 2022. Ce poids atteindrait 87% en 2030 dans un scénario de transition climatique ambitieux (Net zero emissions by 2050).
De nombreux risques pèsent sur l’approvisionnement de l’UE en matières premières critiques
La notion de criticité recouvre de nombreux risques. Certains, de nature économique, reflètent la concentration de l’offre et le pouvoir de marché des fournisseurs de MPC.
Pour des raisons géologiques, économiques et socio-environnementales, la production de MPC s’est en effet concentrée géographiquement souvent hors de l’Europe (par exemple en RDC pour l’extraction du cobalt, au Chili pour le cuivre ou en Australie pour le lithium).
D’autres risques sont géopolitiques. L’instabilité politique dans un pays producteur ou les rivalités géopolitiques font courir des risques de rupture d’approvisionnement, notamment pour les MPC concentrées dans les mains de quelques acteurs, comme les terres rares et le cobalt. La concentration géographique de l’offre rend ainsi l’UE vulnérable à des mesures de restrictions commerciales. Selon l’OCDE, plus de 70 % des mesures de restrictions aux exportations portent sur les matières premières critiques.
L’analyse de la distance géopolitique des exportateurs de MPC vis-à-vis de l’UE, mesurée par les comportements de vote des pays à l'Assemblée Générale de l'ONU (Bailey et al., 2017), révèle les risques géoéconomiques pesant sur la fourniture de certaines MPC. Le graphique 3 montre qu’une part importante de la production de lithium ou de cobalt est réalisée par des pays géopolitiquement éloignés de l’UE (Chine, RDC). Les tensions géopolitiques accrues pourraient donc renforcer les difficultés d’approvisionnement de l’UE.
Sources : Bailey et al. (2017), EC (2023), calculs des auteurs
Note : l’axe vertical est croissant en fonction de l’éloignement géopolitique. Sont seulement représentés les deux principaux producteurs pour chaque minerai et étape de production.
En outre, certaines MPC sont soumises à d’importantes contraintes géologiques : les ressources connues seraient insuffisantes pour répondre au surcroît de demande. Par ailleurs, leur production comporte des risques environnementaux (pollution liée à la production, tensions sur les ressources hydrauliques).
Le graphique 4 synthétise la criticité des MPC pour l’UE à l’aide de 3 indicateurs.
- Le risque d’approvisionnement, mesuré par le degré de dépendance de l’UE aux importations, qui tend à être plus élevé au stade de l’extraction.
- La criticité géologique, évaluée par la consommation cumulée d’une matière première d’ici 2050, rapportée aux ressources actuellement connues.
- La concentration géographique de la production (extraction minière) et des réserves mondiales de MPC, évaluée par l’indice de Herfindahl–Hirschman, dont les valeurs varient de 0 (faible concentration) à 1 (forte concentration).
Le cuivre, indispensable au déploiement des réseaux électriques, se distingue par une production et des réserves peu concentrées, une dépendance de l’UE aux importations relativement faible, mais une criticité géologique forte. Le cobalt, nécessaire aux batteries, conjugue une production fortement concentrée, une forte dépendance de l’UE aux importations et une criticité géologique élevée. En revanche, si la production de lithium (indispensable pour les batteries) et de terres rares (nécessaires pour les éoliennes) est concentrée et l’UE fortement dépendante de ses importations, la criticité géologique est faible, suggérant une stratégie européenne différenciée selon la MPC.
Sources : US Geological Survey, Commission européenne, IFPEN, calculs des auteurs
Note : plus le rouge est foncé, plus l’offre est concentrée, plus la dépendance de l’UE aux importations est élevée et la criticité géologique importante (données manquantes en gris).
La détention du capital des entreprises extractives est également très concentrée
La concentration géographique de la production se double d’une concentration des acteurs contrôlant l’offre de MPC. Or, en cas de tensions sur la disponibilité des ressources ou de stress géopolitique, les détenteurs du capital de ces entreprises pourraient orienter les exportations vers certains marchés au détriment d’autres. Pour étudier cette vulnérabilité, nous avons créé une base de données, regroupant les entreprises cotées au niveau mondial et impliquées dans le secteur des MPC. Documentant l’origine géographique des détenteurs des capitaux, cette base de données permet de cartographier les acteurs décisionnels et le poids des investisseurs extra européens. Pour chaque matière première, la détention du capital de chaque entreprise est pondérée par la part de sa propre production dans la production mondiale en 2022 (Graphique 1).
L’offre de certaines MPC est donc principalement contrôlée par des entités implantées dans des pays rivaux systémiques de l’UE, soulignant la nécessité pour l’UE d’élaborer une stratégie visant à accroître son autonomie stratégique. La Commission européenne, qui a recensé une trentaine de MPC, envisage à cet effet de diversifier ses fournisseurs et d’en augmenter la production et le recyclage dans l’UE. C’est l’objet de sa proposition de règlement Critical Raw Materials Act de 2023.
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Mise à jour le 25 Juillet 2024