Bloc-notes Éco

Les anticipations des chefs d’entreprise face au cycle d’inflation 2021-2025

Mise en ligne le 19 Juin 2025
Auteurs : Olivier Coibion, Erwan Gautier, Maxime Ponsart, Frédérique Savignac

Billet de blog 407. Chaque trimestre, la Banque de France collecte les anticipations d’inflation auprès de 1 700 chefs d’entreprise. Ceux-ci ont correctement perçu l’ampleur de la vague inflationniste de 2022-2023. La réaction de leurs anticipations a été plus transitoire et modérée. Le retour à 2 % de leurs anticipations depuis 2024 et le fort consensus autour de ce scénario confirment la confiance des entreprises dans une stabilité durable des prix.
 

Graphique 1 : Évolution de la perception et des anticipations d’inflation au cours du cycle d’inflation (médianes en %) 

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Source : enquête « anticipations d’inflation » - Banque de France. Note : les données pour fin 2020 et mi-2021 sont issues du pilote de l’enquête mené dans deux régions.

Les anticipations d’inflation sont dites ancrées quand les agents économiques sont convaincus que l’inflation va rester durablement stable dans le futur, au voisinage de l’objectif de moyen terme de la Banque centrale. Cet ancrage est important pour la stabilité macroéconomique car les anticipations d’inflation se répercutent sur les décisions économiques. Par exemple, pour les entreprises, des anticipations en hausse peuvent se traduire par des hausses de prix et des hausses de salaire plus soutenues, alimentant une dynamique plus forte de l’inflation à terme. De ce point de vue, le regain inflationniste entre 2021 et 2023 dû à des chocs sur le prix des matières premières a représenté un risque pour l’ancrage des anticipations d’inflation et donc pour la stabilité des prix à moyen terme.

Quelle a été la réaction des anticipations d’inflation des chefs d’entreprise au regain inflationniste puis à la désinflation entre 2021 et 2025 ? Pour analyser cette réaction, ce billet s’appuie sur les résultats de l’enquête conduite chaque trimestre par la Banque de France auprès de 1 700 chefs d’entreprise. Cette enquête les interroge sur leur perception actuelle de l’inflation et leurs anticipations d’inflation à horizon d’un an et à moyen terme (3 à 5 ans). Les questions sont relativement simples, peu techniques et ne font pas référence à un indice particulier (IPC, IPCH). Menée depuis fin 2020, cette enquête permet une analyse sur tout le cycle récent d’inflation (Graphique 1).

Trois critères sont retenus pour analyser l’ancrage des anticipations d’inflation des chefs d’entreprise (comme le font Coibion et Gorodnichenko (2025)) : i) les anticipations sont-elles restées proches de la cible de la politique monétaire (2 % à moyen terme) ? ; ii) quel est le degré de divergence entre les chefs d’entreprise sur ces anticipations ? ; iii) l’inflation perçue à court terme affecte-elle les anticipations des chefs d’entreprise sur l’inflation à plus long terme ?

Les anticipations d’inflation sont redevenues stables à 2 % depuis plusieurs trimestres

Alors que les ménages surestiment largement l’inflation, les chefs d’entreprises ont une perception d’inflation plus proche de l’inflation réalisée (Savignac et al., 2024). En moyenne, leurs perceptions sont supérieures à l’inflation d’un peu moins d’un point de pourcentage (pp) alors que pour les ménages l’écart peut être supérieur à 5 pp (Bignon et Gautier, 2025). Les chefs d’entreprise ont donc perçu plutôt correctement le cycle inflationniste dans son ensemble (Graphique 1). Toutefois, au moment du reflux récent de l’inflation, ils surestiment l’inflation un peu plus qu’habituellement : depuis début 2025, la médiane des perceptions est ainsi stable à 2 % alors que l’inflation se situe en dessous de 1 % selon l’Insee. C’est un phénomène qui s’observe aussi chez les ménages et peut s’expliquer par des effets de mémoire des hausses de prix passées.

Les anticipations d’inflation à l’horizon d’un an ont, elles, d’abord sous-estimé la hausse des prix à venir lors du regain inflationniste (Gautier et al., 2025). Fin 2021, les chefs d’entreprise anticipaient que l’inflation atteindrait 3 % un an plus tard alors que la hausse des prix a finalement atteint 6 %. Cette sous-estimation a également concerné les ménages et les prévisionnistes professionnels. Ensuite, les chefs d’entreprise ont eu tendance à sur-réagir au choc inflationniste et ont anticipé une inflation bien supérieure à ce qu’elle a finalement été un an après. Cette sur-réaction s’observe au moment du pic du cycle inflationniste mais aussi lors de la désinflation. Toutefois, depuis trois trimestres, les anticipations à un an sont stables à 2 %, le niveau de la cible d’inflation.

Le diagnostic d’ancrage des anticipations se fait souvent à partir d’anticipations de long terme qui sont moins susceptibles de dépendre des fluctuations de court terme de l’inflation. Les anticipations à 3-5 ans ont nettement moins fluctué au cours du cycle inflationniste : elles ont atteint 3 % au pic de ce cycle avant de revenir à 2 % et de se stabiliser à ce niveau sur les cinq derniers trimestres.

Un consensus fort des chefs d’entreprise sur une stabilité durable de l’inflation autour de 2%

Les anticipations des chefs d’entreprise sont dites ancrées s’il existe un consensus fort entre eux sur une stabilité durable de l’inflation autour de la cible. Or, les chefs d’entreprise n’ont pas tous les mêmes anticipations. Par exemple, elles sont en moyenne plus élevées dans les plus petites entreprises.

La dispersion des anticipations entre entreprises a varié au cours du cycle inflationniste, augmentant en particulier nettement avec le niveau d’inflation (Graphique 2a). Au moment du pic de l’inflation fin 2022, un chef d’entreprise sur cinq anticipait une inflation dans un an supérieure à 8 % mais une proportion identique l’anticipait inférieure à 4 %. À l’horizon 3-5 ans, cette dispersion a aussi progressé avec l’inflation mais de façon moins importante que pour l’horizon d’un an, signalant que le consensus vers un retour de l’inflation vers sa cible était plus fort à long terme (Graphique 2b).

Graphique 2 : Évolution entre 2020 et 2025 de la répartition parmi les chefs d’entreprises des anticipations d’inflation

Image a)	Anticipations à un an -  b)	Anticipations à 3-5 ans
Source : enquête « anticipations d’inflation » - BDF. Les données de fin 2020 et mi-2021 sont issues du pilote de l’enquête mené dans deux régions. Pour chaque trimestre, une barre de couleur correspond au % de réponses dans un intervalle donné.

La dispersion des anticipations a toutefois largement reflué à partir de début 2023. Depuis plusieurs trimestres, un large consensus se dégage parmi les chefs d’entreprise sur des anticipations en ligne avec la cible d’inflation. Depuis fin 2024, plus de deux tiers des chefs d’entreprise anticipent que l’inflation à un an et à 3-5 ans se situera proche de 2 %. Lors de la dernière vague de l’enquête, moins de 10 % des entreprises anticipent un niveau d’inflation dans un an supérieur à 4 %, alors qu’elles étaient une majorité à le penser fin 2022.

Les anticipations de long terme sont moins sensibles aux évolutions de court terme

Des anticipations à long terme ancrées supposent qu’elles dépendent peu des évolutions à court terme de l’inflation. Or, en général, les chefs d’entreprise, comme les ménages, ont tendance à former leurs anticipations en extrapolant ce qu’ils observent aujourd’hui. Aussi, en période d’inflation élevée, une dépendance renforcée entre inflation perçue et anticipations rend plus difficile la stabilisation de l’inflation. 
À l’horizon d’un an, les anticipations d’inflation des chefs d’entreprise sont fortement corrélées à l’inflation actuelle, telle qu’ils la perçoivent au moment où ils sont interrogés (Graphique 3). Cette corrélation a varié au cours du cycle inflationniste : elle a été forte lors de la vague inflationniste (entre fin 2021 et fin 2022) puis plus faible lors de la phase désinflationniste (entre 2023 et 2024) (Gautier et al., 2025). Quand l’inflation a ralenti, les chefs d’entreprise signalaient alors anticiper un niveau d’inflation dans un an inférieur à leurs perceptions. Autrement dit, ils anticipaient une inflation moins persistante que d’habitude. 

Graphique 3 : Corrélation entre les anticipations et les perceptions d’inflation 

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Source : enquête « anticipations d’inflation » - Banque de France. Chaque point correspond à une moyenne des anticipations (à 1 an ou 3-5 ans) calculée sur un groupe d’observations ayant des réponses proches en termes de perceptions d’inflation.

Les anticipations de long terme sont, elles, beaucoup moins sensibles au niveau d’inflation perçu. Si la corrélation entre les anticipations des chefs d’entreprise à un an et leurs perceptions est supérieure à 0,5, celle entre leurs anticipations à long terme et leurs perceptions de l’inflation actuelle est à peine de 0,2 (Graphique 3). Les anticipations de long terme ont donc moins réagi au cycle inflationniste dans son ensemble en restant proches de la cible d’inflation. 

L’ensemble de ces éléments conforte le diagnostic que les anticipations d’inflation des chefs d’entreprise sont restées globalement bien ancrées pendant la vague inflationniste. Cet ancrage a contribué à éviter qu’une boucle prix-salaires ne s’installe et a permis un retour rapide et durable de la stabilité des prix en France, sans récession.

Mise à jour le 19 Juin 2025