Dans cet article, nous abordons une limite critique des équations de gravité du commerce international : l’hypothèse d’indépendance des alternatives non pertinentes (IIA). Les équations de gravité sont des modèles empiriques largement utilisés en économie pour expliquer les flux commerciaux bilatéraux en fonction de facteurs tels que la taille économique, la distance et les coûts commerciaux entre les pays. Inspirées de l’analogie avec la gravité newtonienne, ces équations prédisent que le commerce entre deux pays augmente avec leur taille économique et diminue avec la distance qui les sépare. Bien qu’elles soient reconnues pour leur pouvoir prédictif et leur élégance théorique, les modèles de gravité traditionnels reposent sur des hypothèses simplificatrices, dont l’hypothèse IIA, qui suppose que toutes les variétés de biens sont substituables de manière égale. Cette contrainte néglige les dynamiques complexes de la concurrence entre pays, en particulier parmi les exportateurs ayant des caractéristiques similaires, telles que le prix ou l’origine géographique. Par conséquent, les modèles conventionnels ne parviennent pas à capturer les effets hétérogènes des chocs commerciaux sur les exportateurs concurrents.
Nous proposons une approche alternative en dérivant une équation de gravité linéarisée qui intègre des caractéristiques observables pour représenter des schémas de substitution réalistes. En nous appuyant sur des avancées économétriques récentes, notre méthode rejette l’hypothèse IIA restrictive et introduit des régresseurs « artificiels » qui quantifient le rôle du prix et de la différenciation régionale dans la concurrence commerciale. Notre modèle permet de capturer des dynamiques de substitution plus riches, montrant que les exportateurs ayant des prix similaires ou des traits régionaux communs sont des substituts plus proches. De manière significative, notre cadre conserve la simplicité d’estimation associée aux modèles traditionnels, ne nécessitant pas de données supplémentaires et utilisant la méthode des moindres carrés en deux étapes (2SLS) pour sa mise en œuvre.
Nous validons empiriquement notre approche en utilisant des données commerciales dans deux contextes importants : le « choc chinois » (essor massif des exportations chinoises suite à son entrée dans l’OMC en 2001) et la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Nos résultats révèlent que les pays ayant des niveaux de prix similaires à ceux de la Chine ont été tout particulièrement affectés par la montée des exportations chinoises lors du choc chinois. De manière analogue, pendant la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, des pays tels que le Vietnam, l’Inde et la Turquie, offrant des biens similaires à ceux de la Chine, ont tiré le plus grand avantage de la réallocation des flux commerciaux. Ces résultats contrastent nettement avec les prédictions des modèles standard basés sur la fonction CES (Constant Elasticity of Substitution), qui suggèrent des effets uniformes sur les concurrents, indépendamment de leurs caractéristiques.
Notre méthode propose un cadre pratique et accessible pour analyser les dynamiques commerciales. En introduisant l’hétérogénéité dans les schémas de substitution, nous améliorons le pouvoir explicatif et prédictif des modèles de gravité. Cette amélioration est particulièrement pertinente pour les décideurs politiques, car elle fournit une compréhension plus détaillée de la manière dont les politiques commerciales redistribuent les parts de marché et influencent la concurrence mondiale. De plus, nos résultats soulignent l’importance de la différenciation verticale et géographique, mettant en évidence leur rôle dans la structuration des résultats commerciaux en réponse aux chocs.
Mots-clés : équation de gravité, guerres commerciales, préférences mixtes
JEL classification: F14, F13