Billet de blog n° 374. Pendant les vagues de chaleur, les îlots de chaleur urbains (ICU) affectent les villes. Les personnes âgées, les enfants ou les ménages pauvres sont particulièrement vulnérables. Nous présentons la première mesure de l’exposition aux ICU en France en fonction du revenu. Le lien entre l’exposition et le revenu varie selon que les ménages aisés vivent dans les centres-villes, comme à Paris, ou dans les banlieues riches, comme à Lyon.
Graphique 1 : Indice d’îlot de chaleur urbain et distance au centre-ville
en fonction du revenu à Paris et à Lyon
Note : D2 à D10 correspondent aux déciles de revenu. À Paris, l’indice UHI et la distance au centre-ville ont respectivement une relation en forme de U et en forme de cloche par rapport au revenu. À Lyon, ils sont respectivement décroissants et croissants avec le revenu.
Les îlots de chaleur urbains, un défi majeur pour les villes
Alors que les effets du réchauffement climatique s’intensifient, les villes, où vivront près de 70 % de l’humanité d’ici 2050, sont confrontées à un défi majeur. Le changement climatique entraîne une augmentation de la fréquence, de l’intensité et de la durée des vagues de chaleur, même dans les pays à climat tempéré. Les vagues de chaleur autrefois considérées comme exceptionnelles, comme celle de 2003 en France, pourraient devenir la nouvelle norme d’ici la fin du siècle et se produire pendant une plus grande partie de l’été. L’environnement urbain exacerbe les effets des vagues de chaleur en créant des îlots de chaleur urbains (ICU) (GIEC, 2023). La concentration urbaine entraîne des températures plus élevées, en particulier la nuit, car les matériaux de construction, les routes et les infrastructures de mauvaise qualité absorbent et retiennent la chaleur. Les ICU sont également amplifiés par le manque de végétation et par la chaleur générée par les activités humaines (moteurs, climatisation) (EPA, 2023).
Les températures extrêmes peuvent être la cause directe de décès en provoquant des coups de chaleur, de l’hyperthermie et de la déshydratation. Certaines populations sont particulièrement vulnérables, comme les personnes âgées et les jeunes enfants, mais aussi les personnes à faibles revenus, car elles présentent en moyenne un état de santé plus fragile que l’ensemble de la population. En outre, les populations à faibles revenus n’ont pas les moyens de quitter les villes pendant les vagues de chaleur, par exemple de se rendre dans une location ou une résidence secondaire, comme le peuvent les ménages plus aisés. Ils sont obligés de rester dans leur logement mal isolé, où ils n’ont pas prise sur la situation thermique, notamment parce qu’ils n’ont pas les moyens de rafraîchir leur logement avec un système de climatisation.
Une première analyse de l’inégalité climatique par rapport aux ICU en France
Notre récente étude, un document de travail INSEE-Banque de France, présente la première analyse de l’inégalité climatique par rapport aux ICU en France. Nous mesurons l’exposition aux ICU des ménages en fonction de leur revenu dans les principales villes françaises. Pour ce faire, nous produisons des bases de données uniques très granulaires en compilant et en appariant des données finement localisées sur la température, la végétation, la densité des bâtiments résidentiels, la hauteur et la période de construction, ainsi que les caractéristiques socio-économiques des ménages dans neuf des plus grandes villes françaises.
Nous constatons que la relation entre l’exposition aux ICU et le revenu dans une ville donnée dépend de la répartition spatiale des ménages en fonction de leur revenu (graphique 1). À Paris, Bordeaux, Lille et Nantes, les ménages aisés et les ménages modestes vivent plus près du centre-ville que les ménages à revenu médian, et l’exposition aux ICU suit une courbe en U, particulièrement prononcée à Paris. À Lyon, Montpellier, Marseille, Nice et Strasbourg, les ménages aisés vivent dans des banlieues riches et l’exposition aux ICU diminue avec le revenu. Nous montrons également que dans toutes les villes, à l’exception de Paris pour la densité, les ménages plus aisés vivent en moyenne dans des quartiers plus verts, moins denses et avec des bâtiments moins élevés. Dans les villes où les ménages aisés vivent à proximité du centre-ville, ils habitent généralement dans des quartiers plus anciens. En revanche, dans les villes où ils vivent plus loin du centre-ville, ils ont tendance à habiter dans des quartiers plus récents.
Les principales sources de cette inégalité d’exposition
Afin d’orienter les interventions des pouvoirs publics, nous identifions les principales sources d’inégalités d’exposition aux ICU en fonction du revenu dans les villes et nous quantifions leurs contributions à l’exposition inégale aux ICU en fonction des déciles de revenu (cf. l’INSEE Analyses basé sur notre document de travail INSEE-Banque de France). Tout d’abord, la densité des bâtiments, puis la végétation et la hauteur des bâtiments contribuent à une relation décroissante de l’exposition aux ICU avec le revenu dans toutes les villes, à l’exception de Paris pour la densité des bâtiments. Comme les logements anciens sont généralement de moins bonne qualité, la date de construction des immeubles résidentiels au niveau du quartier explique en partie la forme en U dans le premier groupe de villes et la décroissance des courbes de l’exposition à l’ICU en fonction du revenu dans le second.
Les ménages vulnérables sont plus exposés
Certaines populations sont particulièrement vulnérables pendant les vagues de chaleur, comme les jeunes enfants et les personnes âgées. Nous trouvons que les ménages comportant au moins un enfant de moins de 10 ans ou une personne âgée de plus de 65 ans ne sont pas plus exposés au ICU que les autres. Toutefois, ce n’est plus le cas lorsque ces ménages vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Dans toutes les villes étudiées, ces ménages particulièrement vulnérables sont exposés à des températures légèrement plus élevées que les autres.
En revanche, ces petites différences d’exposition peuvent être amplifiées, les ménages à faibles revenus étant moins à même d’atténuer les effets des îlots de chaleur urbains. Ils sont moins susceptibles d’améliorer l’isolation de leur logement dont ils sont moins souvent propriétaires, de fuir la ville pendant les vagues de chaleur car ils possèdent rarement un logement secondaire, ou de refroidir leur logement avec un système de climatisation.
Recommandations politiques
À l’échelle des villes, même en tenant compte des contraintes urbanistiques existantes, les solutions réalisables pour rafraîchir les villes sont nombreuses et leurs effets cumulatifs. La nature peut être réintégrée dans les zones urbaines en désimperméabilisant les sols, en plantant des arbres, en végétalisant sols, façades et toits ou en désenfouissant les cours d’eau. Les bâtiments et l’urbanisme jouent également un rôle crucial. L’intégration d’objectifs de confort d’été dans les critères de construction ou de rénovation, l’utilisation de bardages clairs ou de toits blancs pour réfléchir la chaleur, l’adaptation aux couloirs de vent et la construction de fontaines publiques ou d’ombrières peuvent atténuer considérablement l’impact des vagues de chaleur (Santamouris, 2007).
Notre étude montre que les ménages pauvres sont souvent les plus exposés aux effets des ICU, car ils vivent en moyenne dans des quartiers moins verts, plus denses et plus hauts. Les mesures mises en œuvre pour réduire localement les effets des ICU devraient viser en priorité les quartiers pauvres afin d’éviter d’exacerber leur exposition relativement plus élevée. Cette précaution est essentielle compte tenu des impacts régressifs, tant en termes d’exposition initiale que de revenus, observés dans les politiques d’atténuation de la pollution (Champalaune, 2020), ou dans les politiques de verdissement urbain.
À l’échelle des ménages, nous examinons la faisabilité pratique d’une limitation de l’utilisation de la climatisation par les ménages exposés, qui exacerbe le stress thermique à l’extérieur. Viguie et al. (2020) montrent que les stratégies d’adaptation (végétalisation urbaine à grande échelle, politique d’isolation des bâtiments, changements généralisés de comportement dans l’utilisation de la climatisation) peuvent réduire de moitié la consommation d’énergie liée à la climatisation pendant les vagues de chaleur.
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Mise à jour le 13 Novembre 2024