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Mise en ligne le 26 Juin 2025

Pay Tech Day
26 juin 2025
Discours de Denis Beau, Premier sous-gouverneur
- Dans le contexte géopolitique actuel, la souveraineté s’impose désormais comme un enjeu majeur pour l’Europe dans tous les domaines. Le secteur des paiements n’y échappe pas. Si notre système de paiement est solide, il est fortement tributaire d’acteurs et de technologies extra européens. Et cette dépendance est susceptible de s’amplifier avec la perspective du développement de la finance tokenisée et de l’essor des stablecoins - quasi exclusivement adossés au dollar et encouragés par la nouvelle administration américaine.
- Ce contexte ne doit pas cependant nous accabler. Comme le disait récemment le Gouverneur de la Banque de France dans sa lettre annuelle au Président de la République, il doit au contraire nous inciter à nous mobiliser. De mon point de vue de banquier central, au service d’une institution dont l’une des missions est de veiller à la sécurité et l’efficacité de notre système de paiement, cette mobilisation doit avoir pour objectif de concilier innovation et maîtrise de la fraude d’une part, innovation et souveraineté d’autre part. Cette double conciliation est indispensable pour garantir la confiance dans notre monnaie, nos moyens de paiement et notre liberté de choix les concernant. Et elle est à notre portée car nous disposons d’atouts et d’une expérience importants pour cela, au niveau national et européen, que je voudrais rappeler et souligner devant vous aujourd’hui.
I. Concernant la conciliation de l’innovation dans les paiements du quotidien et la maîtrise de la fraude,
- Il est clair que les transformations profondes que connait l'écosystème des paiements créent des défis nouveaux pour le maintien d’un haut niveau de sécurité.
Ces transformations se traduisent par une numérisation rapide, nourrie notamment par les innovations technologiques, l’apparition de nouveaux acteurs dans l’écosystème des paiements et de nouveaux actifs de règlement privés, comme les stablecoins, qui ont émergé depuis quelques années et se développent depuis quelques mois.
Ces bouleversements créent des défis nouveaux pour le maintien d’un haut de niveau de sécurité des moyens de paiement car la numérisation permet une sophistication inédite des schémas de fraude, avec l’apparition notamment des cas de spoofing usurpant l’identité de l’interlocuteur bancaire. En parallèle, l’utilisation de l’intelligence artificielle par les fraudeurs leur permet d’industrialiser leurs attaques, et ceci dans toutes les langues, ou d’améliorer encore leurs techniques de manipulations, à travers par exemple la possibilité de créer des deepfakes ou de falsifier des documents.
Pour faire face à ces défis et prévenir le développement d’une fraude qui serait susceptible d’affecter la confiance dans nos moyens de paiement, nous pouvons nous appuyer sur des leviers techniques et règlementaires ainsi que sur l’action des superviseurs, en France celle de l’ACPR et de la Banque de France. Ainsi, par exemple, la généralisation du contrôle de cohérence des IBAN, permise par le paquet « virement instantané », qui entrera en vigueur en octobre prochain, sera de première utilité pour endiguer la fraude par substitution d’IBAN, après le piratage d’une boîte mail notamment. C’est une illustration très concrète d’une nouvelle réglementation qui permet d’accompagner et de sécuriser la croissance d’usages innovants, comme celui du virement instantané. Un autre exemple concerne le partage interbancaire d’identifiants utilisés pour commettre des fraudes, que la Banque de France soutient et pour lequel elle est prête à fournir un outil technique. Les conditions de ce partage font actuellement l’objet d’une proposition de loi de M. le député Labaronne, validée à l’Assemblée Nationale et prochainement examinée par le Sénat.
- Mais je voudrais souligner aussi l’utilité et l’efficacité éprouvées dans la prévention de la fraude d’organismes comme l’OSMP et le CNMP, dont nous disposons en France pour fédérer l’action de toutes les parties, tant du côté de l’offre que de la demande, dont dépend la sécurité des moyens de paiement. Ainsi, parmi les principales réussites de l’OSMP figure le déploiement et la mise en œuvre concertée de l’authentification forte (SCA), qui a permis de diminuer nettement la fraude à la carte.
L’efficacité de la lutte contre la fraude requiert en outre un souci permanent de trouver des réponses aux nouvelles menaces, sans jamais pour autant déresponsabiliser les utilisateurs. Le travail de veille mené au sein de l’Observatoire a vocation à y contribuer. Il a ainsi porté au cours de la période récente sur les réponses à la menace quantique, l’intégration de l’IA dans les modèles de lutte contre la fraude et, cette année, il portera sur la sécurité des paiements en crypto-actifs.
Face à des menaces et des réseaux criminels sans frontière, il serait utile que des organismes similaires à l’OSMP puisse opérer à l’échelle européenne, et j’espère vivement que la révision de la réglementation européenne sur les services de paiement (paquet DSP3 / RSP), qui entre désormais dans une phase de trilogue, y conduira.
II. Outre la sécurité, l’innovation doit également être conciliée avec la souveraineté
- Le constat est en effet clair : la tokenisation de la finance n’est plus simplement une perspective lointaine, elle a commencé à se concrétiser de manière tangible dans les marchés, les infrastructures et les usages. Elle porte une double promesse structurante : d’une part, celle de gains significatifs d’efficience dans les transferts d’actifs, et d’autre part, celle d’un potentiel de rapprochement plus fluide et plus direct entre les circuits d’épargne et les besoins de financement de l’économie réelle.
Mais ces promesses ne pourront se concrétiser qu’à la condition que le développement de la tokenisationsoit bien encadré, de sorte que ses principaux risques soient bien maitrisés. Au premier rang de ceux-ci figurecelui d’une dépendance accrue, en particulier vis-à-vis de technologies, de standards, d’acteurs et d’actifs de règlement non européens, et d’un renforcement de la fragmentation de notre marché européen.
- Pour assurer cette maîtrise nous disposons de trois leviers qui sont complémentaires et qu’il nous faut utiliser résolument, conjointement et avec célérité :
- Le levier de la réglementation d’abord : nous devons rester attentifs à la promotion de conditions de concurrence équitable entre les acteurs des paiements, par un cadre clair et équilibré, notamment si à l’échelle internationale, et aux États-Unis en particulier, une politique de dérégulation est mise en œuvre. C’est dans cet esprit que fut décidée l’ouverture de l’accès aux antennes NFC, sur les iPhones, à d’autres opérateurs qu’Apple, afin de garantir un cadre de concurrence ouvert. Pour les nouveaux acteurs innovants, le règlement MiCA apporte des règles harmonisées pour les émetteurs de stablecoins et autres crypto-actifs, ainsi que pour les prestataires de services sur crypto-actifs, tout en veillant à protéger les utilisateurs de ces services en encadrant les risques. Il demeure que tous les risques associés au développement de la tokenisation et à celui de passerelles entre son écosystème et celui de la finance traditionnelle ne sont pas couverts par MiCA. En particulier, celui de « dollarisation numérique », si l’élargissement des usages des stablecoins se traduit par une prééminence pour le règlement des transactions impliquant des utilisateurs européens de stablecoins libellés en USD, émis en outre par des acteurs non bancaires et non européens.
- Le levier de l’offre de services des acteurs privés ensuite : le renforcement de notre souveraineté s’inscrit aussi dans le soutien à l’émergence et au développement de solutions de paiement pan-européennes performantes vecteurs d’un contrôle européen sur les paiements sûrs et innovants de demain. C’est pourquoi la Banque de France et l’Eurosystème dans son ensemble soutiennent les initiatives privées comme le portefeuille numérique « Wero », et les efforts engagés pour développer son interopérabilité avec d’autres solutions de paiement en Europe pour lui donner une dimension pan-européenne, qui semblent commencer à porter leurs fruits avec l’annonce ces derniers jours d’un partenariat entre EPI et EuroPA.
- Enfin, le troisième levier est celui des services en monnaie de banque centrale pour les paiements du quotidien comme pour les paiements associés aux échanges d’actifs tokenisés entre intermédiaires.
- Le levier de la réglementation d’abord : nous devons rester attentifs à la promotion de conditions de concurrence équitable entre les acteurs des paiements, par un cadre clair et équilibré, notamment si à l’échelle internationale, et aux États-Unis en particulier, une politique de dérégulation est mise en œuvre. C’est dans cet esprit que fut décidée l’ouverture de l’accès aux antennes NFC, sur les iPhones, à d’autres opérateurs qu’Apple, afin de garantir un cadre de concurrence ouvert. Pour les nouveaux acteurs innovants, le règlement MiCA apporte des règles harmonisées pour les émetteurs de stablecoins et autres crypto-actifs, ainsi que pour les prestataires de services sur crypto-actifs, tout en veillant à protéger les utilisateurs de ces services en encadrant les risques. Il demeure que tous les risques associés au développement de la tokenisation et à celui de passerelles entre son écosystème et celui de la finance traditionnelle ne sont pas couverts par MiCA. En particulier, celui de « dollarisation numérique », si l’élargissement des usages des stablecoins se traduit par une prééminence pour le règlement des transactions impliquant des utilisateurs européens de stablecoins libellés en USD, émis en outre par des acteurs non bancaires et non européens.
Pour les paiements du quotidien, l’Eurosystème se prépare à mettre à disposition du grand public un « billet numérique + », et travaille activement avec les banques commerciales pour maximiser les synergies entre leurs solutions privées et ce « billet numérique + ». Les enjeux de ce projet sont importants et de deux ordres : il s’agit d’abord de garantir l’accès à une monnaie publique, dans un contexte où les paiements dématérialisés et l’économie numérique progressent. Il s’agit aussi de contribuer à maintenir et renforcer la souveraineté européenne sur son système de paiement, face au risque d’une privatisation de celui-ci au profit de solutions de paiement entre les mains d’acteurs non européens.
En parallèle, l’Eurosystème est également en train de construire une solution de règlement sur DLT en monnaie de banque centrale pour accompagner et soutenir le développement de la finance tokenisée, la monnaie centrale étant la solution de paiement de référence la plus sûre et universellement acceptée. Le conseil des Gouverneurs a décidé de mener cette construction en deux volets :
- Premier volet, à court terme (d’ici la seconde partie de 2026), en capitalisant sur le succès des expérimentations menées en 2024, l’Eurosystème mettra à disposition des acteurs une monnaie numérique de banque centrale disponible sur DLT. C’est une première étape essentielle pour continuer à garantir la sécurité des transactions financières qui ont lieu dans la finance tokenisée.
- Le second volet consiste à explorer dès maintenant, avec tous les acteurs européens intéressés, une infrastructure plus intégrée, qui serait un « shared ledger européen », conçue pour enregistrer, synchroniser et traiter de manière partagée les transactions financières entre tous les acteurs de marché européens, publics et privés, et qui pourrait contribuer à la réalisation de l’Union de l’épargne et de l’investissement (UEI).
- En conclusion, je voudrais vous dire ma conviction que nous vivons un moment-charnière pour notre système de paiement européen. Ses parties prenantes publiques et privées ont un rôle important et complémentaire à jouer pour nous permettre d’en conserver la maîtrise et de garantir l’unicité de notre monnaie. Pour cela, il nous faudra concilier innovation, sécurité et souveraineté. Cette conciliation est nécessaire pour maintenir la confiance dans notre monnaie, l’euro, et notre liberté de choix en matière de solutions de paiement pour celui-ci. Elle est pratiquement à notre portée dès lors que nous aurons bien la volonté collective d’utiliser résolument, rapidement et de façon complémentaires les leviers importants que constituent la règlementation, les initiatives privées et celles de l’Eurosystème. Vous l’avez compris, la Banque de France jouera résolument le rôle qui est le sien dans cette perspective.
Merci pour votre attention.
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Mise à jour le 27 Juin 2025