Sources : RICA (Réseau d’information comptable agricole), Caisse Centrale de Réassurance sur la période 2002-2021 ; travaux des auteurs.
L’assurance récolte est fortement subventionnée, mais la souscription est faible en France
L'agriculture est une activité à risque et le climat, qui est à l'origine des variations annuelles de rendement, évolue vers des extrêmes plus fréquents. Dans ce contexte, l’assurance récolte multirisque, qui assure les agriculteurs contre les chocs climatiques, est un outil hautement stratégique dans le monde entier. Cela explique pourquoi elle est largement subventionnée dans de nombreux pays développés. Les autorités sont cependant confrontées à des défis majeurs lorsqu’elles déterminent les subventions pour ce type d’assurance. Aux États-Unis, par exemple, les rapports GAO 2023 montrent que si la souscription à l'assurance récolte est élevée, les subventions sont mal ciblées et bénéficient principalement aux grandes exploitations agricoles.
En France, pays qui est l’objet de l’étude de cas dans notre article récent, le taux de pénétration de l’assurance récolte est faible (graphique 1). Seules 13,3 % des exploitations agricoles étaient assurées en 2020, et les chiffres sont stables, voire en légère augmentation, par rapport aux 12 % de 2016. Les subventions, en revanche, sont élevées. Avant la réforme de 2022, un premier niveau de contrat d'assurance récolte était subventionné à 65 %, un deuxième niveau avec des produits et des garanties supplémentaires à 45 % et un troisième niveau permettant d'être complètement couvert n'était pas subventionné. En pratique, un agriculteur choisissait d'assurer le premier niveau uniquement, les deux premiers niveaux ou d'être entièrement assuré. On peut donc se demander pourquoi la souscription d’assurance est si étonnamment limitée. Non seulement la nécessité d'une protection par l’assurance est évidente, mais les primes d'assurance sont fortement subventionnées et l'assurance a un impact positif net sur les revenus, selon la littérature. La principale motivation de cet article est de comprendre ce paradoxe.
Une approche méthodologique est appliquée pour la première fois à l’assurance récolte
Si l’on considère les moyennes, la souscription d’une assurance bénéficie généralement aux agriculteurs (Di Falco et al., 2014 ; Annan et Schlenker, 2015 ; Wang, Rejesus et Aglasan, 2021). Nous présentons ici une analyse d’hétérogénéité unique de l'assurance récolte. Pour établir nos résultats et nos recommandations concrètes, nous combinons diverses méthodes économétriques, y compris le cadre de l'effet marginal de traitement (Marginal Treatment Effect, MTE) à la Heckman & Vytlacil, qui n'a, à notre connaissance, jamais été utilisé dans le contexte de l'assurance-récolte. Cette méthodologie nous permet essentiellement de comparer la volonté de souscrire à une assurance récolte affichée par des agriculteurs présentant des caractéristiques similaires avec les avantages qu'ils tireraient réellement de leurs contrats. Cela nous permet d'effectuer des analyses contrefactuelles afin d'explorer l'efficacité des différents types de politiques pour augmenter le taux d'adhésion et produire des bénéfices élevés pour les agriculteurs. De cette façon, nous fournissons des informations clés sur les politiques appropriées pour maximiser l'adhésion à l'assurance et le bien-être social.
Cette analyse à grande échelle à travers la France métropolitaine sur une période de 20 ans est réalisée à partir d’un ensemble de données unique et très granulaire, composé de données individuelles sur les agriculteurs entre 2002 et 2021. Cet ensemble de données combine plusieurs sources ; il comprend des variables agronomiques et financières provenant du Réseau d'Information Comptable Agricole français (qui fait partie du « European Farm Accountancy Data Network »), des données météorologiques à une résolution de 0,1°×0,1° (provenant de Copernicus) et des données administratives sur les catastrophes naturelles (provenant du réassureur public français, la Caisse Centrale de Réassurance).
Les assurances bénéficient aux agriculteurs, mais de façon très hétérogène
Premièrement, nous montrons qu'en France, tout le monde ne bénéficie pas de l'assurance. Les exploitations de plus grande taille et les exploitations diversifiées tirent notamment des bénéfices beaucoup plus faibles, voire négatifs, de leurs souscriptions. Deuxièmement, nous constatons une sélection « contraire » où, dans la plupart des cas, les agriculteurs qui bénéficieraient le plus de l'assurance ont tendance à s'assurer le moins. Nous constatons qu’il s’agit principalement de petites exploitations diversifiées, et également d’exploitations moins enclines à s’assurer pour des raisons idiosyncratiques (et non observables), ce qui signifie qu'il existe des barrières non observables à la souscription (croyances, barrières non financières, etc.).
Comment accroître la souscription des assurances ?
Nous montrons que le niveau des subventions à l'assurance n'est pas la cause de la faible souscription d'assurance, car une augmentation des subventions n'entraînerait pas une forte augmentation de la souscription, et les agriculteurs nouvellement assurés ne tireraient en fait que peu d'avantages de leurs contrats. Surmonter les obstacles non financiers à l'assurance (c'est-à-dire l'information, la paperasserie) en ciblant directement le score de propension (probabilité de s'assurer) semble plutôt être le meilleur moyen de résoudre ce problème. La poursuite d'un objectif de 100 % d'agriculteurs assurés n'est peut-être ni réalisable ni souhaitable, et il conviendrait plutôt de cibler les exploitations plus petites et plus spécialisées.
Une période de réforme
Cette étude intervient dans le sillage de la réforme du marché français de l'assurance récolte de 2023. Les observateurs et les parties concernées ont clairement indiqué que les obstacles à une extension généralisée de la couverture sont élevés et les solutions non consensuelles. Il semble que le taux de souscription ait été dopé en 2023, première année de la mise en œuvre de la réforme, mais moins par la suite.
Nous avons identifié des mécanismes peu efficaces et coûteux (subventions) et d’autres prometteurs, mais encore flous (information, aide à la souscription, incitations). Les subventions devraient cibler les agriculteurs qui bénéficieraient le plus du fait d'être assurés. Mettre l’accent sur les frictions cognitives et comportementales pourrait avoir un effet beaucoup plus important sur la souscription d’assurance que des hausses directes des taux de subvention. En ce sens, la réforme de 2022, qui augmente certes les subventions, mais simplifie fortement le système d’attribution, est un ajout bienvenu au paysage de l’assurance récolte. Le prochain défi que devra relever le secteur consistera à mieux comprendre comment les agriculteurs perçoivent réellement l'assurance récolte, à trouver des moyens d'améliorer la façon dont ils actualisent leurs croyances et à concevoir des contrats d'assurance permettant de réduire ces frictions.