Document de travail

Quantifier l'incertitude sur la trajectoire de la dette française : une analyse VAR

Mise en ligne le 14 Novembre 2025
Auteurs : Kéa Baret, Frédérique Bec, Marion Cochard

Document de travail n° 1019. Nous proposons un cadre simple, fondé sur la simulation, pour l’analyse stochastique de la soutenabilité de la dette. En estimant un VAR parcimonieux (fréquentiste et bayésien) sur des données françaises trimestrielles (1990:T1–2023:T4) pour les principaux déterminants de la dette, nous produisons des fan charts prédictifs et des mesures de probabilité pour les trajectoires du ratio dette/PIB. Les trajectoires médianes issues des VAR sont proches d’un scénario déterministe hypothétique, dérivé du cadre d’analyse déterministe de la soutenabilité de la dette. Le BVAR génère des cônes légèrement plus larges et des probabilités de dépasser la dernière valeur observée plus faibles que le VAR fréquentiste, les largeurs de cône se situant entre celles publiées par la Commission Européenne et la BCE. Notre analyse, qui ne prend pas en compte les développements budgétaires les plus récents, suggère qu’un effort ambitieux de consolidation budgétaire serait nécessaire pour améliorer de manière significative les perspectives de stabilisation du ratio dette/PIB à moyen terme.

Primary balance ratio fan charts and debt-stabilizing primary balance ratio (red line)

image Image WP1019
Non-Technical Summary

Cet article développe une méthode simple et transparente pour quantifier l'incertitude entourant les prévisions relatives à la dette publique. Plutôt que de produire une seule « meilleure estimation » de l'évolution de la dette, cette approche génère une série de trajectoires plausibles et associe des probabilités aux différents résultats. Cette approche probabiliste vise à donner aux décideurs politiques et aux analystes une idée plus claire du risque budgétaire et de la probabilité que certaines politiques parviennent à stabiliser la dette publique. Basée sur des données de 2023, cette analyse ne reflète pas les évolutions budgétaires récentes et n'a donc pas pour objectif d'alimenter le débat public actuel sur la dette publique. Son but est d'améliorer les méthodologies SDSA.

Notre approche modélise la dynamique jointe des principaux facteurs déterminants du ratio dette/PIB, à savoir le solde primaire (recettes moins dépenses, hors intérêts), la croissance du PIB nominal et les taux d'intérêt nominaux à court et à long terme, à l'aide d'un modèle vectoriel autorégressif (VAR) standard estimé à partir des données trimestrielles françaises de 1990 à 2023. Nous mettons en œuvre deux variantes de ce modèle : une spécification conventionnelle (fréquentiste) et une version bayésienne qui intègre des priors modérés. Elles sont utilisées pour simuler un grand nombre (10 000) de trajectoires futures pour ces facteurs, en tirant des chocs qui reflètent leur volatilité historique et leur interdépendance. La combinaison de ces trajectoires simulées avec l'identité comptable bien connue de la dette produit un « graphique en éventail » pour le ratio dette/PIB : une représentation visuelle et quantitative de la gamme des résultats possibles et de leurs probabilités.

Les trajectoires médianes de la dette produites par les deux variantes du modèle suivent de près les projections déterministes de référence pour 2024-2028, qui s'appuient sur le cadre d'analyse déterministe de la soutenabilité de la dette de Bouabdallah et al. (2017). Il est important de noter que cette projection de référence se situe près de la médiane de la distribution produite par nos simulations, ce qui suggère qu'il s'agit d'un scénario central plausible compte tenu de la dynamique historique connue. Le modèle bayésien produit des intervalles de confiance légèrement plus larges que le modèle fréquentiste pour l'horizon que nous étudions ; par exemple, l’écart entre les dixième et quatre-vingt-dixième quantiles de la distribution bayésienne pour 2028 est légèrement plus large que son équivalent fréquentiste. Les deux variantes du modèle attribuent également des probabilités élevées au fait que le ratio d'endettement de 2028 restera supérieur à son niveau de 2023, bien que le modèle bayésien produise une probabilité légèrement inférieure à celle du modèle fréquentiste. Dans l'ensemble, nos intervalles de confiance se situent entre les mesures rapportées par la Commission Européenne et la Banque Centrale Européenne, ce qui renforce la crédibilité de l’ordre de grandeur des résultats.

Le cadre probabiliste permet de poser directement des questions pertinentes pour l'élaboration des politiques, telles que : quelle est la probabilité qu'un scénario budgétaire donné permette de stabiliser la dette publique dans un horizon cible ? Appliquées à la France (voir graphique 1), nos simulations indiquent qu'un assainissement plus précoce et plus important que dans le scénario de référence améliorerait considérablement les chances de ramener la dynamique de la dette sur une trajectoire stable.
La méthode proposée privilégie délibérément la parcimonie et la transparence plutôt que la complexité structurelle : elle quantifie le risque en fonction des relations historiques entre les principaux facteurs déterminants de la dynamique d’accumulation de la dette. Une extension importante consiste à intégrer l'analyse dans le nouveau cadre budgétaire de l'Union Européenne (la révision de la gouvernance économique adoptée en février 2024), qui modifiera à la fois les trajectoires de référence et les critères utilisés pour juger de la soutenabilité de la dette.

En convertissant les projections déterministes en évaluations probabilistes, cette approche offre un complément pratique et reproductible aux projections institutionnelles standard en matière de dette et contribue à clarifier le degré d'effort politique nécessaire pour modifier les chances de stabiliser la dette publique.

Mots-clés : soutenabilité de la dette, analyse stochastique, modèles VAR, prévisions bayesiennes, distribution des prévisions
Codes JEL : C3, E6, H6

Mise à jour le 14 Novembre 2025