Note : Axe vertical : moyenne pondérée par le PIB des indices trimestriels d'incertitude des pays membres de la zone euro (EAUI). Axe horizontal : demi-somme des paiements et recettes du compte courant de la zone euro rapportés à son PIB (CHELEM). Les données d’incertitude manquent pour Chypre, l'Estonie, le Luxembourg et Malte.
Un haut niveau d’incertitude dans une économie fortement mondialisée
Pourquoi Christine Lagarde affirmait-elle en 2020 "Il ne fait aucun doute que la situation économique à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui est caractérisée par une profonde incertitude. Il a rarement été aussi difficile de se projeter dans l'avenir" ?
Pourquoi en effet les responsables de la politique économique et notamment monétaire sont-ils devenus plus attentifs à l’incertitude ? Parce que celle-ci a fortement augmenté, de façon concomitante avec l’interconnexion croissante des économies du fait de la mondialisation. Mais la relation entre perception de l’incertitude, dont les chocs se transmettent à l’économie réelle, et mondialisation est complexe. Certains épisodes de forte incertitude (comme lors de la récession américaine consécutive au 11 Septembre) se sont produits alors que les économies étaient moins mondialisées qu’aujourd’hui, avec des impacts globaux limités. La période de croissance soutenue, de 2001 à 2008, a été marquée, en revanche, par une accélération de la globalisation dans un monde devenu moins incertain. C’est finalement le retour d’une incertitude forte dans un monde désormais fortement globalisé qui pose aujourd’hui question. La mondialisation a également changé de nature depuis la grande crise financière, avec des échanges de marchandises ne progressant plus à un rythme supérieur à celui du PIB mondial, même si cette tendance est moins marquée dans le cas de la zone euro. Ce sont désormais les services et les revenus qui progressent rapidement, notamment les revenus financiers, ajoutant ainsi une source possible d’incertitude. Quel que soit l’indicateur, le niveau de la globalisation reste élevé en fin de période en zone euro.
Cette relation entre globalisation et incertitude apparaît clairement en mettant en relation différents indicateurs d’intégration de la zone euro à l’économie mondiale avec l’indicateur de Ahir et al. (2018) ici reconstruit pour les seuls pays de la zone euro. Cet indicateur augmente avec la fréquence d’apparition du mot "incertitude" dans les rapports par pays de l'Economist Intelligence Unit pour les grands pays de la zone euro (EAUI dans les Graphique 1 et 2). Des pics d'incertitude apparaissent : outre la récession américaine déjà évoquée, la crise de la dette souveraine en zone euro, le vote en faveur du Brexit, le tournant vers le protectionnisme des États-Unis et la campagne présidentielle américaine, puis enfin le refus de vote de l’accord de retrait du Royaume-Uni.
Si la crise financière globale a illustré comment un choc financier pouvait se transmettre à l'échelle mondiale et conduire à une récession profonde et durable, bien plus que cette crise ce sont le Brexit et la crise de l'euro de 2011-2013 qui sont associés à une montée de l’incertitude dans l'UE. Dans le Graphique 1 cette incertitude est rapportée au degré de mondialisation de la zone euro à chaque date, prenant en compte le commerce de biens et services et les revenus internationaux de la zone rapportés au PIB de la zone, c’est-à-dire le compte courant. Cette relation est encore visible, bien qu’atténuée, si l'on se limite à la mondialisation des échanges de biens et services. Cela est illustré dans le Graphique 2, cette-fois ci pour les Etats-Unis, pour la période commençant là encore avec la création de l’euro, mais intégrant le premier trimestre de 2020. Le Graphique 3 étend la période couverte à l’ensemble des années 90, pour la zone euro, et intègre elle aussi le déclenchement de l'épidémie de Covid19 au premier trimestre 2020 (Berthou et al., 2020). La succession de ces chocs génère un sentiment croissant d'imprévisibilité à l'échelle mondiale, aggravant l'effet des interconnexions plus fortes (et plus complexes) entre les pays au niveau mondial (Ludvigson et al., à paraître).